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Le long chemin des skinheads racistes vers la rédemption

On a rencontré Christian Picciolini, ex-suprémaciste blanc qui cherche à enterrer la haine de ses anciens confrères.

Photo via l'utilisateur Flickr MortAuPat

Le néo-nazisme pourrait bien être l'un des sujets les plus tabous au monde. Le racisme ordinaire est un mal quotidien, mais le suprématisme blanc est une notion encore plus profonde. Un mal suffisant pour transformer le terme « skinhead », qui est à la base une scène pour des kids rebelles bercés au rocksteady et au ska, en un terme devenu un synonyme éternel de dérision et de mépris.

Vous avez probablement déjà capté l'idée. Certains skinheads ne sont pas racistes, mais pour d'autres, la haine demeure fermement ancrée dans leurs vies. Pour ceux qui se repentent et qui rejettent leur idéaux racistes, l'expiation de leurs fautes prend un certain temps. Une communauté qui se consacre à l'éradication d'êtres présumés « inférieurs » doit être traitée avec le plus grand mépris. Mais de nombreux ex-nazis sont devenus des pères et des maris – désormais, leur racisme repose désormais dans les limbes d'une adolescence peu reluisante. Aussi étrange que cela puisse paraître, il peut être difficile de ne pas ressentir une pointe de sympathie pour ceux dont les vies sont plombées par le remords et la culpabilité.

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Cette pensée me rappelle une photo où un demi-cercle de néo-nazi britanniques se recueillent, la tête basse, pour pleurer la mort d'Ian Stuart Donaldson. Donaldson était le chanteur de Skrewdriver, l'un des groupes suprématistes blancs les plus dégueulasses des années 1980 et du début des années 1990. Il est mort dans un accident de voiture en 1993. Sa musique était pleine de haine et terriblement naïve, mais il y avait quelque chose d'étrange à voir tous ces visages en deuil. Unis dans la destruction, mais toujours unis – avec une fine parcelle d'humanité encore présente dans le coin des yeux.

Ces gens peuvent-ils être sauvés ? Peu importe la gravité de leur injustice, est-il juste de laisser quelqu'un être hanté pour toujours ? Pour Christian Picciolini et son organisation Life After Hate (La vie après la haine), la réponse est non.

Au départ, Picciolini était un gentil garçon – du moins, c'est ce qu'il dit au début de chaque interview. Né d'immigrants italiens, au sein de la diversité ethnique de Blue Island dans l'Illinois – une petite banlieue située à l'extérieur de Chicago – il ne venait pas d'une famille raciste, et ne l'était pas jusqu'à sa rencontre avec un homme dénommé Clar Martell.

« J'avais 13 ans et je fumais un joint dans une ruelle avec un type que j'avais rencontré dans le quartier. Soudain, une Pontiac Firebird a déboulé dans la rue, et un mec chauve en Doc Martens et bretelles en est sorti », se rappelle Picciolini. « Je n'avais jamais croisé un type pareil. La plupart des Américains ne savaient pas ce qu'était un skinhead à cette époque. »

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« J'ai tiré sur mon joint et j'ai soufflé la fumée sur son visage. Il m'a mis une claque, avant de me dire : "Mon nom est Clark Martell, et je vais te sauver la vie."»

À cette époque, Martell était le leader des Chicago Area Skinheads (CASH). L'organisation gérait un service de commande par courrier appelé Romantic Violence, qui était à l'époque la seule manière de se procurer des disques de Skrewdriver aux États-Unis. Piccioloni était fasciné par le pouvoir de ce mec de 26 ans, ses idées politiques et ses goûts musicaux. En 1988, a l'âge de 15 ans, il est devenu un skinhead prônant le pouvoir des blancs.

Piccolini parle de sa relation avec Martell comme d'une séduction, l'histoire d'un garçon bien intentionné qui s'est laissé happer par une politique radicale et arriérée.

« J'avais l'impression d'appartenir à un groupe vraiment cool. Quand on marchait dans les rues, les gens changeait de trottoir », se rappelle Picciolini. « 20 ans plus tard, j'ai réalisé que tout ce qu'il m'avait dit était faux. Mais à cette époque, ça avait du sens pour moi. »

Martell pouvait se montrer très violent. En 1984, il a fait un an de prison pour avoir mis le feu à un foyer hispanique. En avril 1988, assisté de six complices, il s'est introduit dans la maison d'une femme et l'a tabassée avant de peindre une svastika sur les murs avec son sang. C'était une ancienne membre de CASH, et elle avait été surprise avec un homme noir dans la rue. Pour son acte, Martell a été condamné à 11 ans de prison.

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Au moment de l'incarcération de Martell, Picciolini était passé au rang de second. Il était devenu la doublure de Clark Martell. À seulement 15 ans, il s'est retrouvé à diriger l'un des plus importants groupes néo-nazis d'Amérique.

« J'ai hérité de l'organisation, et j'ai commencé à faire ce que les autres faisaient. J'ai créé des flyers, mis en place une adresse postale, et avant même que je m'en rende compte, j'avais une armée de gamins derrière moi. On avait l'impression que les garçons de 13, 14, 15 ans étaient soit des skinhead prônant la race blanche, soit des skinheads anti-racistes. Avant même d'avoir 21 ans, j'étais l'un des premiers leaders du mouvement suprématiste blanc américain. »

En grandissant, Picciolini a commencé à se poser des questions. Il n'arrivait pas à justifier le fait qu'il ne voulait pas que sa femme et ses enfants soient associés au groupe. Il possédait un magasin de disques, l'un des seul du pays qui vendait de la musique pro-suprématiste, et c'est à ses nombreux clients qu'il doit son salut. Ces mêmes clients lui ont fait réaliser qu'il avait bien plus de choses en commun avec les gens de couleur qu'il ne le pensait. Il a formellement renoncé à ses convictions alors qu'il avait tout juste 20 ans, laissant le mouvement derrière lui. Sa période skinhead aura duré sept ans.

Depuis cette époque, il a managé des groupes et bossé avec Threadless et JBTV. Il a deux enfants et une femme, mais se sent toujours coupable. Avant de renaître, il a joué dans un groupe qui s'appelait Final Solution, et il sait que ses albums se vendent toujours aujourd'hui. Il a prôné la haine, et bien qu'il n'ait jamais tué personne, il a toujours la sensation d'avoir du sang sur les mains.

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En 2009, Picciolini a fondé Life After Hate, un groupe d'aide composé d'anciens skinheads racistes. L'organisation est en contact permanent avec la jeunesse défavorisée de Chicago, les empêchant de rejoindre des gangs ou des groupes extrémistes, tout en accueillant ceux qui veulent s'éloigner de leur sombre passé. Il est fondé sur le principe que nous avons tous de l'empathie, que tout n'est pas perdu et que n'importe qui peut changer. Picciolini m'a révélé qu'il avait vu plus de 40 membres du KKK renoncer à leurs convictions.

« Sortir de cette période a été l'une des choses les plus dures que j'ai jamais faites », m'a confié John Harrelson, un ancien skinhead d'Albuquerque. « Mon identité était skinhead. J'avais des plans pour déménager après le lycée et pour intégrer un gang d'ampleur nationale. »

Harrelson n'a que 23 ans, et il est toujours hanté par la culpabilité, mais une figure comme Picciolini l'a aidé à envisager un autre avenir. Il avait besoin de cette compassion pour aller de l'avant.

« Je suis allé dans un très bon lycée et de nombreux enseignants ont su qui j'étais. Ils voulaient me virer. Par chance, certains d'entre eux ont dépassé ça et ont réalisé que je n'étais pas un méchant garçon – je me sentais juste vulnérable et en colère », m' a dit Harrelson. « S'ils ne s'étaient pas mobilisés pour moi, je serai foutu aujourd'hui. J'ai connu beaucoup de skinheads ambitieux et intelligents – mais surtout des connards finis. Ce n'est pas parce qu'ils ont été orientés sur le mauvais chemin que nous devons oublier leur existence. On ne peut pas être condamné à mort pour avoir été un ado stupide, ce n'est pas possible. »

« Aujourd'hui, il n'est plus que Christian Picciolini. Quand je l'ai rencontré, il était indissociable de Clark Martell » m'a dit Ryan Tallon, qui a fait partie des skins anti-racistes de Chicago. « Clark était connu, et Chris était son pitbull. C'était mon ennemi. Des années plus tard, j'ai vu son nom dans ma boutique de tatouages. C'était une situation tendue pour moi, parce que je faisais partie de ceux qui lui balançaient des briques lors des rassemblements. »

Finalement, Picciolini et Tallon ont discuté ensemble et ont parlé de leurs combats respectifs. « Chris m'a expliqué qu'il n'était plus skinhead depuis des années, s'est rappelé Tallon. J'étais sceptique, mais on a fini par se comprendre – les skins anti-racistes pouvaient être tout aussi violents, mais sur un autre terrain. »

Selon Tallon, ces jeunes en colère veulent appartenir à un mouvement, et certains finissent dans le mauvais camp. « J'ai demandé pardon pendant de nombreuses années. J'ai fait pas mal de trucs moches, mais ce n'est qu'une petite période de ma vie », m'a expliqué Tallon. « Ça ne représente plus grand-chose, au final. »

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