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Calculettes, inflation et publicités désuètes : quand l’euro était cool

On a demandé à plusieurs contributeurs européens de se souvenir de l'époque où l'euro était encore synonyme de promesse.

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Les Européens n'ont jamais connu période plus merveilleuse que les années 2000. La plupart d'entre nous étions encore des enfants minuscules, « Because I Got High » de Afroman passait en boucle dans des lecteurs mp3 à capacité flash de 512 Mo, et tout le monde était ravi que le bug de l'an 2000 ne nous ait pas renvoyé à l'âge de pierre. Accessoirement, c'est aussi la décennie qui a marqué l'entrée en vigueur de l'euro, une initiative économique ambitieuse destinée à unir les peuples européens autour d'une monnaie unique – une initiative qui fut accueillie avec autant d'enthousiasme que de méfiance. Une partie considérable des Européens s'est montrée enthousiaste à l'idée d'un mécanisme financier qui nous protégerait des maux économiques venus de l'extérieur. Certains étaient plus sceptiques, craignant que tous les partenaires européens ne finissent 13 ans plus tard par s'accuser mutuellement d'être à l'origine de la dernière crise. Malheureusement, il semble aujourd'hui que cette deuxième assertion soit plus vraie que la première.

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Doit-on désormais admettre la faillite de ce joyeux bordel qu'est la monnaie unique ? On a demandé à nos contributeurs européens de se rappeler du temps béni où l'euro n'était pas si décrié. À l'époque, il était surtout question de pièces en chocolat, de calculettes gratuites et de campagnes publicitaires ringardes.

Irlande

La période de l'implantation de l'Euro fut un peu déconcertante pour de nombreux Irlandais. D'un côté, on était tous très heureux à l'idée de ne plus perdre d'argent à cause de taux de change exorbitants – et certains se préparaient déjà faire rôtir leur pâle carcasse à Ibiza lors des prochaines vacances. De l'autre, on craignait fort de perdre notre identité culturelle. Qu'est-ce nous réservait l'Union Européenne sur ce coup-là ? Je garde un souvenir ému des rumeurs concernant l'interdiction des bananes trop courbées, ou même de la suppression du système décimal anglo-saxon. N'étant pas un professionnel des maths, ma préoccupation principale était de savoir qu'une livre équivaudrait désormais à 1,27 euro. Devais-je payer plus cher pour un Mars parce que j'utilisais les mêmes pièces qu'un type du Continent ? Si oui, pourquoi ? Toutes ces futilités se sont envolées dès qu'on a pu se procurer les premières pièces de deux euros, sur lesquelles la Suède et la Finlande apparaissent comme un gigantesque pénis surplombant le reste de l'Europe.

À part ça, l'Irlande a été honorée d'un splendide spot publicitaire avec Kian de Westlife, qui explique le concept de l'euro tout en tripotant un boîtier CD. La pub en elle-même est tellement rétro que c'est l'équivalent publicitaire du minidisque. – IAN MOORE

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France

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Quelques semaines avant l'introduction officielle de l'euro, mon frère est rentré de son boulot avec un petit panier en osier fourni par ses supérieurs hiérarchiques. À l'intérieur se trouvait l'équivalent de 15 euros en pièces et en billets, le tout astucieusement agencé de manière à former un bouquet. À l'époque, je ne craignais pas grand-chose d'autre qu'une hausse des prix des bonbons de ma boulangerie de quartier – même si, comme tout Français né avant 2001, j'admets ne m'être jamais vraiment remise de la disparition du billet de 50 francs à l'effigie d'Antoine de Saint-Exupéry et du Petit Prince.

Je devais avoir 10 ans, et la nouvelle ère glorieuse de force et d'unité européenne que nous étions supposés connaître m'importait peu. Le reste de mon entourage semblait plutôt ravi, exception faite de la poignée de râleurs qui se plaignaient de devoir faire un peu de calcul mental à chaque achat. Mais la personne la plus enthousiaste de tout le pays était clairement la jeune femme qui chantait dans la publicité ci-dessus – « Calculer en francs, c'est pas difficile, mais c'est bien plus beau de calculer en euros » ♪ – allez savoir qui est le concepteur rédacteur à l'origine de ce truc, mais il peut désormais se targuer d'avoir accouché du morceau le moins entraînant du monde. – JULIE LE BARON

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Pays-Bas

En 2000, l'équipe marketing chargée de vendre l'euro au peuple néerlandais a développé un acronyme afin que l'on puisse énumérer les pays qui adopteraient la nouvelle monnaie. Ça donnait DING FLOF BIPS – ce qui ne veut objectivement rien dire.

Néanmoins, la campagne du gouvernement s'est avérée puissante et efficace. Aussi ridicules que ces termes puissent paraître, tous les gens qui vivaient aux Pays-Bas à l'époque s'en souviennent. Cet acronyme était littéralement partout. Des enfants jouaient même au jeu du qui-énumèrera-les-pays-de-l'euro-le-plus-vite-possible.

Quand l'Euro est arrivé pour de bon, DING FLOF BIPS n'était plus pertinent. En 2011, deux ans après le début de la crise de l'euro, l'Union de la langue néerlandaise a cru bon de proposer un vote sur un nouvel anagramme. Parmi les choix possibles, on trouvait COBI'S SMS : PIN FF GELD, SMS DING FLOF BICEPS, CD, GSM OF FLES IN BIPS ou encore BEGIN SF FILMS OP CD'S. Finalement, SMS FF BONDIGE CLIPS l'a emporté avec 26 % des votes. Évidemment, le temps que cette formule soit mise en place, tout le monde se contrefichait des anagrammes. – WIEGERTJE POSTMA

Italie

En 2002, tout le monde trépignait d'impatience, sans doute parce que notre monnaie avait toujours été faible comparée à celle des autres nations européennes. Les Italiens espéraient qu'une sorte de rédemption accompagne cette nouvelle union économique avec nos voisins.

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Je me rappelle que ma grand-mère était particulièrement angoissée – l'idée de changer d'univers économique la terrifiait. Heureusement, Berlusconi est arrivé à la rescousse de tout le monde en envoyant un « convertisseur euro » bon marché à chaque Italien. Ma grand-mère le manipulait toujours avec précaution, avant de le ranger soigneusement dans un tiroir comme on le ferait avec un bijou de famille. Je crois qu'elle était convaincue que ça lui sauverait la vie un jour.

Le gouvernement a aussi produit un spot publicitaire très étrange sur lequel on voit trois hommes âgés qui se marrent et discutent du taux de change de l'euro. Je pense qu'ils cherchaient à dire quelque chose du style : « Regardez ces vieux qui ont tout compris, c'est simple non ? » – MATTIA SALVIA

Autriche

Mon attitude vis-à-vis de l'euro était plutôt décontractée. Sans doute parce que j'avais 10 ans et que je n'en avais rien à foutre. Mes camarades de classe se sont mis à collectionner les pièces de chaque pays. Je me demande combien de temps il a fallu avant qu'on ne dépense ces jolies collections en bières bon marché.

Mes parents m'avaient offert un kit débutant qui contenait une pièce de chaque type. Ils disaient que ça deviendrait peut-être un peu plus cher dans un futur lointain. Et au vu de la crise qu'on traverse actuellement, peut-être qu'ils avaient raison. Sauf qu'à l'époque, on ne pensait qu'à aller à l'étranger et à acheter plein de trucs au hasard pour le plaisir d'utiliser une nouvelle monnaie. C'était le but de l'euro et, rétrospectivement, c'était mignon comme tout. Personnellement, j'aime toujours cette monnaie tout comme l'idée d'une Europe unie. Plutôt crever que de revenir au schilling. – THOMAS HOISL

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Allemagne

Pour la plupart d'entre nous, l'arrivée de l'euro n'a pas été un fait particulièrement marquant, même si la perspective de pouvoir voyager et revenir chez soi sans avoir les poches remplies de pièces inutiles était plutôt enthousiasmante. Cela dit, on savait qu'il serait plus difficile de flamber dans des pays bon marché comme la Grèce.

Pour détourner notre attention, le gouvernement allemand a produit une vidéo pro euro qui cherchait à représenter l'incroyable multi-culturalité de l'Euro grâce à une jeune fille dévêtue qui joue du violon au beau milieu d'un décor antique pixelisé et un enfant irlandais qui fait de la flûte dans un pré. La vidéo atteint son paroxysme quand une pièce d'un euro atterrit au beau milieu de ce qui ressemble bien à la pire soirée jamais organisée sur le toit d'un immeuble.

Pour les numismates aguerris, le kit euro de démarrage était une pièce de choix. 13 ans plus tard, ces kits ne semblent pas donner lieu aux mêmes débordements. Il est aujourd'hui plus aisé de se pencher sur les faillites les plus saillantes du système monétaire. La monnaie a peut-être fait légèrement augmenter les prix des saucisses allemandes mais pour les Grecs, ce fut une perte de pouvoir d'achat gigantesque. En tant que pilotes du projet européen, nous devons prendre nos responsabilités. On ne peut impulser quelque chose d'aussi grand puis passer son temps à le détruire de l'intérieur. BARBARA DABROWSKA

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Espagne

J'ai une mémoire étrangement efficace quand il s'agit de retenir des choses inutiles. Je me souviens très bien de la première fois que j'ai retiré des euros au distributeur : c'était le 1er janvier 2002 et j'étais particulièrement enthousiaste. Je suis parfaitement conscient du ridicule de la chose en 2015, mais j'avais l'impression de vivre un moment historique, de faire un pas vers une Europe plus forte, plus grande, plus unie. Mais aujourd'hui, quand je vois toute la souffrance que l'Europe a causée à mon pays, je me sens un peu bête de dire tout ça.

C'est un peu triste de regarder les vieilles campagnes publicitaires que le gouvernement a imaginées pour nous convaincre que l'Euro était la chose la plus géniale du monde. Une pub mettait en scène la famille espagnole la plus traditionnelle du monde, les « García ». On entend notamment trois hommes âgés dire « L'euro nous offre la stabilité », avant de faire des claquettes. La vidéo est empreinte du même enthousiasme naïf qui nous a mené à la crise économique. Je suis certain que de nombreux García ont été expulsés pendant cette période. Cette semaine, je suis passé devant le même distributeur où j'avais retiré mes premiers euros. La banque qui le possédait a fait faillite et la filiale cherche un repreneur. – JUANJO VILLALBA

Grèce

En regardant cette pub de l'an 2000, je ne peux m'empêcher de me demander ce qu'est devenue la petite fille qui tient la pièce géante d'un euro. Elle ne devait pas être beaucoup plus jeune que moi à l'époque, et notre expérience des derniers mois est sans doute la même. Je me demande si son père a dû intensifier son traitement contre l'hypertension avant le référendum, ou si sa grand-mère a dû faire la queue devant une banque pendant des heures par 32 °C. Je me demande si elle réussit même à parler de quoi que ce soit d'autre que la crise économique en Grèce.

« Une monnaie puissante est synonyme d'un futur certain », dit la voix off, comme une claque dans la figure. Je me demande si cette petite fille aussi s'est réveillée un jour de juillet en se demandant de quoi serait faite sa journée. Je me demande si, elle aussi, ressent de la peur, de la honte, de la paranoïa ou de la culpabilité.

La vérité, c'est qu'il est difficile de raconter ce que les Grecs ont vécu au cours de ces derniers mois en s'en tenant aux chiffres et aux faits. Disons que notre situation ressemble à celle d'une relation amoureuse qui tourne mal : l'Europe est le petit copain dont on est tombée folles amoureuses, mais qui se comporte comme un enfoiré depuis un bon moment. La Grèce est la copine autrefois attirante mais qui est devenue impossible à comprendre – est-elle un peu excentrique ou complètement timbrée ? – ELEKTRA KOTSONI