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Retour à Srebrenica, 19 ans après le génocide

Les stigmates du massacre orchestré par l'armée serbe sur la population bosniaque

Des femmes musulmanes ayant perdu des proches lors du massacre, devant le Mémorial de Srebrenica. Les photos sont de l’auteur   

Durant le mois de juillet 1995, plus de 8 000 Bosniaques – ou Bosniens musulmans – ont été assassinés par des soldats bosniens d’origine serbe, provoquant le seul génocide s’étant déroulé sur le continent européen depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Il s'agissait du point culminant de trois années d’épuration ethnique dont les Musulmans de la région ont été les victimes.

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À partir du 11 juillet 1995, des soldats membres de l’Armée de la République serbe de Bosnie, appuyés par une organisation paramilitaire – les « Scorpions » – et dirigés par le général serbe Ratko Mladić, ont fait vivre l’enfer à toute la communauté musulmane de la région de Srebrenica.

Le Mémorial de Srebrenica ou « Mémorial de Srebrenica-Potočari et Cimetière pour les victimes du génocide de 1995 ».

Tout a commencé après la chute du régime communiste de Tito à la fin des années 1980. À cette époque, la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, qui faisait partie de la Yougoslavie, comptait 44% de Bosniaques musulmans, 31% de Serbes orthodoxes et 17 % de Croates catholiques.

Après une déclaration d’indépendance prononcée le 15 octobre 1991, un référendum pour entériner la souveraineté du nouvel État a été organisé l'année suivante durant le mois de février. Les représentants politiques des Bosniens d’origine serbe, qui avaient boycotté le vote, ont dénoncé ce résultat qui validait la naissance de la Bosnie-Herzégovine. Néanmoins, celle-ci a été reconnue officiellement par la Communauté européenne le 6 avril 1992 puis par les États-Unis le lendemain.

Peu après la déclaration d'indépendance, les forces serbes de Bosnie, soutenues par le gouvernement serbe de Slobodan Milosevic et par l'Armée populaire yougoslave, ont attaqué la République de Bosnie-Herzégovine afin de réunifier le peuple serbe. S'en est suivie une lutte acharnée pour le contrôle du territoire et un massacre méthodique de toutes les populations non-serbes. Les Bosniaques de l'est du pays, qui vivaient près de la frontière avec l’enclave serbe de Bosnie, ont été particulièrement visés. C'est dans cette région que se trouve la ville de Srebrenica.

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Un fermier debout dans son champ près du Mémorial de Srebrenica.

Selon l'Institut bosnien du Royaume-Uni, 296 villages situés près de Srebrenica ont été rayés de la carte entre 1992 et 1995. Tous n'étaient pas composés de musulmans, les forces bosniaques s'étant, elles aussi, rendues coupables d'atrocités en rasant plusieurs villages serbes. Environ 70 000 personnes ont dû fuir la région et des milliers de musulmans ont été assassinés. Le monde entier a détourné le regard tandis que des massacres avaient lieu en plein cœur de l’Europe. Cette passivité constitue une tache indélébile sur le CV de l’ONU, et ce, même si l’organisation avait mis en place pour la première fois de son histoire une « zone de sécurité » autour de Srebrenica. Celle-ci se sera avéré totalement inefficace dans les semaines qui suivirent ce 11 juillet 1995.

Lorsque Mladić a débarqué à Srebrenica, il a rassemblé tous les hommes bosniaques et les a exécutés. Environ 25 000 personnes ont trouvé refuge dans la « zone de sécurité » gérée par des soldats néerlandais, avant d’être expulsés de cette même zone après des accords entre les soldats néerlandais et serbes qui garantissaient la sécurité des femmes et des enfants. Le lieutenant-colonel Thomas Karremans, à la tête des Casques bleus de la Force de protection des Nations unies (FORPRONU), est demeuré impuissant, ses demandes de frappes aériennes sur les forces serbes ayant été à chaque fois ignorées.

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Le graffiti d’un soldat hollandais sur le mur de l’ancien quartier général des Casques bleus

Beaucoup de reproches ont déjà été faits aux Casques bleus au sujet de leur passivité, mais la responsabilité du massacre est à chercher du côté des grandes puissances internationales, incapables de se mettre d’accord sur l’action à mener.

Les forces néerlandaises ont livré 3 000 civils aux mains des Serbes, majoritairement des hommes en âge de se battre et une poignée d'adolescents. Tous ont été exécutés. La plupart des enfants ont été épargnés et conduits à Tuzla. Les soldats serbes ont par ailleurs embarqué des jeunes musulmanes sous les yeux des soldats de la FORPRONU, avant de les violer dans les environs. Leurs cris étaient audibles depuis la base de l'ONU. La mission de ces forces armées, censées préserver la paix, a été un immense échec. En juillet dernier, la Cour internationale de justice de la Haye a reconnu la responsabilité des Pays-Bas dans la mort de 300 civils.

Les femmes et les enfants ont été conduits vers des zones de sécurité prévues pour les Bosniaques et situées 100 km plus loin. Les quelques 10 000 hommes restants ont eu moins de chance. Beaucoup ont été rassemblés et exécutés dans les jours qui ont suivi.

Une usine de la banlieue de Srebrenica dans laquelle des Bosniaques ont été rassemblés avant d'être conduits vers les collines alentour pour y être exécutés.

Les hommes ont dû creuser leur propre tombe. Après leur exécution, leurs corps ont été jetés dans ces mêmes tombes, situées dans des zones où la concentration de mines est tellement importante que les opérations d'identification demeurent très risquées aujourd’hui.

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Un an après les massacres, Jean-René Ruez, responsable de la commission d’enquête du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, évoquait « un crime contre l'humanité et [par conséquent] un crime commis contre chacun d'entre nous. »

8 372 noms sont gravés dans la pierre du Mémorial de Srebrenica

En juillet 2012, 6 838 victimes du génocide ont été identifiées grâce aux analyses ADN des corps retrouvés dans les charniers ; en juillet 2013, 6 066 victimes avaient été enterrées au Mémorial de Srebrenica. L'actuel président serbe Tomislav Nikolić a officiellement demandé pardon, même s'il s'est toujours refusé à employer le mot « génocide ».

Le 4 octobre 2005, le groupe de travail du gouvernement serbe de Bosnie a publié un rapport mettant en avant l'implication de 25 083 personnes dans l'opération militaire sur Srebrenica. Le nombre d'individus ayant directement participé au massacre semble tout de même bien inférieur – il tourne autour de 1 000. Sur la totalité des hommes engagés dans l'opération militaire, 17 074 ont été identifiés. Parmi ces suspects, 892 sont toujours employés par le gouvernement de la République serbe de Bosnie. Leur identité demeure secrète.

Ratko Mladić a finalement été incarcéré à La Haye en 2011, après avoir été en cavale 16 années durant. Le monde entier attend toujours l'issue du procès.

Une ancienne usine de batteries automobiles, qui constituait le QG des Casques bleus. Ces mots signifient « Camarade Tito, nous te prêtons allégeance ».

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Emir Suljagic, ancien traducteur pour l'ONU et habitant bosniaque de Srebrenica, me parle du moment où il a fui le massacre. Il y est revenu plus tard, avant de devenir ministre de l'éducation de Bosnie.

L'extérieur de l'usine de batteries. Le Mémorial se situe sur la colline en arrière plan.

Une statue d'une mère, d'une épouse et d'une enfant à l'extérieur de l'ancien QG des Casques bleus.

L'intérieur du bâtiment qui a servi de QG aux Casques bleus. Environ 25 000 musulmans ont trouvé refuge dans ces locaux pendant les massacres. Ils ont finalement été expulsés après le départ des Casques bleus en juillet 1995.

« Ratko est un héros ». Le général des forces serbes à l'époque du génocide est toujours vénéré par certains habitants.

Dans le centre-ville de Srebrenica, un minaret surgit au milieu des ruines.

Une usine qui a servi aux Serbes afin de réunir les Bosniaques avant leur massacre. Chaque année, des milliers de familles viennent rendre hommage aux victimes du génocide de juillet 1995.