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Les mecs de Magnum

Steve McCurry photographie la condition humaine

L'homme derrière l'une des photographies les plus célèbres du XXe siècle nous parle de son job.

Magnum est de loin l'agence de photo la plus connue au monde. Même si vous n'en avez jamais entendu parler, vous connaissez forcément ce qu'ils ont fait : les reportages de Robert Capa sur les conflits internationaux ou les escapades excessivement britanniques de Martin Parr. Contrairement aux agences classiques, les membres de Magnum sont sélectionnés par les autres photographes de l'agence – et comme il s'agit de la meilleure agence du monde, devenir membre est un truc plutôt tendu. En tant que partenaires de Magnum, nous allons vous présenter plusieurs de leurs photographes – qui sont pour résumer, nos photographes préférés – lors des semaines à venir.

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Le portrait de Sharbat Gula par Steve McCurry, Fille afghane, a fait la couverture de National Geographic en 1985, durant l'occupation soviétique de l'Afghanistan. Rapidement, c'est devenu l'une des photos les plus connues du monde. La travail que McCurry a fourni pour couvrir le combat de longue haleine mené par les moudjahidin contre la machine de guerre soviétique au cours de la seconde moitié des années 1980 a confirmé son statut de photojournaliste incontournable qui a influencé de manière durable tous les fous passionnés qui exercent ce métier. Depuis, il n'a jamais arrêté de documenter les conséquences humaines des guerres dans le monde et de récolter des récompenses. Je lui ai passé un coup de fil pour lui parler de ce que ça faisait de manquer de se faire tuer régulièrement et d'être témoin de tant d'atrocités.

Combattants moudjahidin, Afghanistan

VICE : Salut Steve. Fille afghane est probablement l'un des clichés les plus iconiques du XXe siècle. Ça vous ennuie parfois de vous voir presque réduit à cette image ?
Steve McCurry : Pas du tout. En fait, c'est le contraire. Et je ne pense pas qu'on ne voie que ça de mon boulot.

Vous avez travaillé longtemps en Afghanistan. De quelle manière le pays a-t-il changé depuis la guerre contre la Russie soviétique ?
Ça reste un endroit dangereux, et les combats n'ont jamais cessé. Je crois qu'au début, les étrangers étaient vus d'un bon œil, ça, ou quiconque souhaitait aider la population sur place – ça incluait les Occidentaux, en fait presque tout le monde en dehors de l'Union soviétique. L'Inde, l'Europe, la Chine, les États-Unis : tous étaient les bienvenus. Aujourd'hui, de toute évidence, la situation a changé : les talibans voient l'Occident et l'OTAN comme des ennemis, et vu l'endroit où je suis né, je suis l'ennemi aussi. Avant, ils vous prenaient en otage et demandaient une rançon, maintenant ils vous tuent pour des motifs politiques.

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L'Afghanistan vous semble plus dangereux que d'autres endroits où vous avez travaillé ?
Toutes les zones de guerre présentent des problèmes différents. L'Afghanistan, l'Irak pendant la guerre du Golfe, les endroits comme Beyrouth ou le Cambodge. Mais oui, de tous, l'Afghanistan était peut-être le plus dangereux. Quand j'étais là-bas en 1979 et 1980 aux côtés des combattants moudjahidin, je me retrouvais souvent à plusieurs jours de transport d'une quelconque assistance médicale, à deux jours de la route la plus proche, souvent avec des hommes qui n'étaient pas bien entraînés et avec lesquels j'éprouvais des difficultés à communiquer, du fait du barrage de la langue. On se faisait bombarder et pilonner de tous les côtés.

Afghanistan, province de Kunar, 1980. Un jeune combattant moudjahid

Est-ce qu'on a déjà essayé de vous mettre des bâtons dans les roues ?
Ouais, dans le sens que je ne pouvais pas quitter mon hôtel ou bosser. Je ne dirais pas que j'ai été tenu en otage, mais j'ai déjà été captif, je dirais.

Est-ce que le temps que vous avez passé en zone de guerre a changé votre relation à la politique ?
Tout bien pesé, je crois que ce que veulent les gens c'est le respect, et il y a souvent des luttes de pouvoir dans les pays en guerre ; dans le cas du Liban, c'était entre la faction chrétienne et les Syriens, les musulmans ou les Palestiniens. Dans le cas de l'Afghanistan, c'était entre ceux qu'on appelle aujourd'hui les talibans ou les Pachtounes contre d'autres divisions ethniques. Dans les endroits comme le Cachemire, c'est les musulmans contre les hindous. J'ignore si ça répond à votre question, mais la vérité c'est que je pense que souvent, les gens veulent juste s'emparer du pouvoir et prendre le contrôle, et ce par tous les moyens nécessaires.

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Vous vous êtes retrouvé dans des situations incroyablement dangereuses. Vous avez survécu à un accident d'avion, on vous a tiré dessus, et j'en passe. Comment vous faites pour équilibrer votre volonté de prendre des photos et celle de minimiser les risques que vous encourez ?
Il faut toujours s'assurer une marge de sécurité. À mon sens, un reporter ou un photographe se doit de travailler avec des gens compétents, des traducteurs, des guides, des assistants qui comprennent la situation. Il faut se montrer prudent. J'ai toujours essayé de fonctionner comme ça. Il vaut mieux éviter d'improviser. De toute évidence, des pays comme la Syrie ou la Libye présentent beaucoup de risques, mais il faut toujours s'assurer qu'on bosse dans des conditions un minimum sécurisées.

Jeune fille au châle vert, Peshawar, Pakistan, 2002

Il vous est déjà arrivé de mal évaluer une situation et de vous retrouver dans une situation très inconfortable ?
Oui, une fois, j'ai mal jaugé la situation et je me suis embarqué dans un petit avion en Yougoslavie, et le pilote l'a fait se crasher dans un lac. C'était… pfiou. Je sais pas. J'essaie toujours d'atteindre un certain équilibre : d'un côté, il faut prendre des risques, ne pas être trop timoré ; de l'autre, il faut calculer ces risques. Vous essayez d'estimer la situation, et parfois c'est un peu hasardeux, on n'est jamais sûr de rien. Ce n'est pas une science exacte, parce que tout évolue en permanence. Mais vous faites de votre mieux, et vous espérez que tout se passera bien. On peut aussi se faire tuer dans les rues de Londres ou de New York, vous savez ?

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Vous pensez que vous vous êtes en quelque sorte insensibilisé au danger ?
Avec plus d'expérience, je pense qu'on réalise pleinement la nature précaire du travail dans des zones aussi dangereuses. Donc je ne pense pas qu'on s'habitue, qu'on en arrive à trouver ça confortable. Ma façon de gérer le danger a sûrement changé, mais je ne suis pas insensibilisé. Il n'y a pas de routine. Mais non, on ne s'y habitue jamais. La violence, la guerre, c'est toujours aussi horrible.

Merci Steve.

Plus de photos de Steve McCurry ci-dessous 

Mineur de charbon à la cigarette, Pol-e-Khomri, Afghanistan, 2002

Entraînement de moines shaolin, Zhengzhou, Chine, 2004

La Havane, Cuba, 2010

Tribu Hamer, vallée de l'Omo, Éthiopie

Jeune garçon, Jodhpur, Inde, 2007

Rajasthan, Inde, 2009

Inde

Femme lisant, Thaïlande, 2012

Précédemment – Christopher Anderson