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Gaming

Payés pour jouer : des testeurs de jeux vidéo nous parlent de bogues et de burn-outs

Contre toute attente, le métier le plus cool du monde a aussi ses inconvénients.
Batman: Arkham Knight était plein de bogues à sa sortie sur PC.

Pour pas mal de monde, se lever le matin, prendre sa manette et commencer un marathon devant son écran, c'est le début d'un samedi parfait. Pour un testeur, c'est une journée de travail comme une autre. Si on a tendance à envier ceux qui sont payés pour jouer à des jeux vidéo avant tout le monde, le quotidien des testeurs peut se révéler assez peu divertissant. Pour en savoir plus, on a rencontré deux testeurs qui ont perdu pas mal de neurones à analyser les rebonds de la poitrine de Lara Croft, entre autres détails. Évidemment, leurs noms ont été changés.

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VICE : Vous êtes payés à jouer à des jeux toute la journée. C'est un peu le job parfait, non? Link : C'est un boulot prenant, mais assez gratifiant. Parfois, on a effectivement l'impression de jouer pour le plaisir, avant de se rappeler qu'on est testeur et qu'on doit faire preuve de vigilance. La plupart du temps, on analyse chaque élément du jeu par tous les prismes possibles, histoire de voir s'il tient le coup. C'est souvent chronophage, épuisant, et ça demande pas mal de patience. Il m'est déjà arrivé de passer une journée et demie à faire tourner mon personnage en rond autour du même petit endroit, sur demande des développeurs, afin de trouver une manière particulière de faire planter le jeu. Aussi, quand la sortie du jeu approche, les échéances arrivent plus vite, et on travaille souvent tard le soir.

Mario : Tout dépend du jeu que je teste, de mes supérieurs, de l'équipe et du client. Il ne faut cependant jamais oublier qu'un testeur ne joue pas aux jeux : il ne fait que les tester. Bien sûr, quand on nous envoie les toutes premières versions d'un Batman ou d'un Grand Theft Auto, on est très contents au début. Mais après 18 mois, ça devient très ennuyeux et très frustrant. Si tu es un grand amateur d'une série de jeux, par exemple, et qu'on te demande de finir un nouveau jeu et de le faire planter, on se gâche en quelque sorte le plaisir. Mais oui, c'est clairement un problème de riche.

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Vous êtes bien payés?

M : Parfois c'est relax, parfois c'est tendu. À la fin de chaque projet, on est dans le rush et on peut être contraint à sacrifier nos soirées, nos week-ends ou même nos vacances. Bien sûr, tous les testeurs ne sont pas aussi impliqués et certains préfèrent conserver leur temps libre. Mais parfois, on n'a pas vraiment le choix. Certains restent volontairement et mettent leur vie sociale sur pause pendant deux ou trois mois. Les revenus sont donc très variés dans le secteur : il y a des jobs qui paient bien et d'autres un peu moins. Dans la plupart des cas, les salaires sont proportionnels aux efforts fournis.

Pouvez-vous décrire brièvement le test d'un jeu? L : La procédure de test dépend des besoins et des capacités financières du client et du type de jeu. Pour tester les jeux à monde ouvert, par exemple, ça ressemble plus ou moins à ça : on se balade dans le monde, on essaie de trouver les erreurs et on teste certains endroits, en observant bien les textures et l'éclairage. Parfois, on crée des douzaines de scénarios avec différentes combinaisons d'armes, de véhicules, de quêtes principales et secondaires, d'objets et d'autres éléments, et on sélectionne systématiquement chaque élément pour s'assurer de son bon fonctionnement. M : On peut avoir des tests qui durent jusqu'à 18 mois, tout comme certains peuvent durer une journée. C'est important de se rappeler que certains jeux sont testés après leur sortie, et pas toujours par une grosse équipe

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Est-ce qu'on risque le burn-out quand on gagne sa vie en jouant? Est-ce qu'on attend toujours les nouveaux jeux avec autant d'impatience? L : Quand je regarde des collègues plus chevronnés, c'est difficile de ne pas avoir l'impression qu'un burn-out est inévitable, tôt ou tard. Mais personnellement, je suis toujours enthousiaste quand un projet arrive avec son lot de nouveaux défis.

M : Après un certain temps, c'est naturel qu'une personne veuille en faire plus, aller plus loin. Mais c'est compliqué dans ce type de carrière, parce qu'il y a un certain nombre de chefs d'équipe et de chefs de projets, donc c'est dur de garder un bon moral dans l'équipe sans perspective de promotion. Et comme je le disais tout à l'heure, après quelques mois sur un titre, on peut vite se lasser.

Jouer est censé être un plaisir, pas une corvée. Mais parfois, on est tellement fatigué que ce n'est plus possible.

Après le travail, vous jouez quand même pour le plaisir?

M : Je trouve toujours du temps après le travail pour jouer : c'est comme un retour au monde réel. Jouer est censé être un plaisir, pas une corvée. Parfois, on est tellement fatigués que ce n'est plus possible. Mais c'est encore autre chose. On a mal aux yeux à force de regarder l'écran et nos mains sont douloureuses parce qu'on a tenu une manette toute la journée.

L : J'aime jouer aux jeux de stratégie, aux jeux de tir, aux RPG et à des jeux style Metroidvania, aux jeux d'aventure et à plein de trucs un peu bizarres. Mais les genres les plus anciens sont souvent inadéquats pour les jeux d'aujourd'hui. Par exemple, Deus Ex — c'est un jeu de tir, un RPG et un jeu d'infiltration en même temps. Mais pour revenir à la question : ça dépend des gens. Certaines personnes arrêtent complètement de jouer pour le plaisir quand ils deviennent testeurs.

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Quand vous jouez à la maison, vous restez en mode « test »?

M : Évidemment, on remarque certaines choses plus facilement. Dans certains gros titres, j'observe des erreurs incroyables de stockage de données, mais ça n'intéresse personne parce que le gamer ordinaire n'en pense pas grand-chose. Je n'envoie pas de courriels enragés aux développeurs pour leur dire qu'ils ont sorti un jeu merdique. Je les laisse se débrouiller seuls.

À quoi ressemble une journée au bureau?

M : En général, l'ambiance est très détendue. Bien sûr, quand c'est le rush, tout le monde est un peu stressé et travaille très dur, mais personne n'est exploité comme un enfant chinois dans une usine de chaussures. On blague en permanence, mais il arrive que les situations deviennent un peu tendues. On faisait des soirées LAN au bureau après le boulot, mais elles ont été interdites un matin quand on a découvert une fenêtre brisée dans l'entrée. Tout le bureau puait la vodka et on a perdu un de nos chefs d'équipe. Même sa femme ne le retrouvait plus. Aujourd'hui, on se contente de boire quelques coups ensemble de temps en temps.

L : Le plus souvent, on s'assoit et on passe la journée à tester un jeu. Mais si on est en train de télécharger un nouveau build et qu'on n'a rien d'autre à faire que regarder la barre de téléchargement, on se rejoint dans la cuisine et on se fait à manger, on discute… Pendant les deuxièmes quarts et le vendredi, l'ambiance a tendance à devenir un peu folle, on se lâche un peu et c'est là que surviennent les blagues et les conversations les plus absurdes.

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Vous avez des exemples de bogues monumentaux sur des jeux que vous avez testés?

L : Un jour, on a reçu un jeu dans lequel il y avait un mode co-op. Il se trouvait que trois des quatre testeurs avaient des cartes graphiques Nvidia et que le dernier avait une carte Radeon, avec laquelle les ennemis n'apparaissaient pas du tout, donc les trois autres devaient le diriger à l'aveugle avec des ordres du style : « Cours vers la gauche! Non, l'autre gauche! » Une des premières erreurs que j'ai dû signaler dans ma carrière, c'était quelque chose comme : « Quand on écrase un enfant avec une voiture, il disparaît. » Je débutais tout juste, et je n'avais pas compris que cette erreur était basée sur le fait qu'il était possible de conduire la voiture dans un endroit qui était interdit d'accès.

On a vu des jeux à très gros budget sortir avec des bogues. Batman: Arkham Knight a été un désastre sur PC, et il a dû être retiré des ventes. Qui est en faute, ici : les développeurs ou les testeurs? L : C'est une question à laquelle je ne peux pas répondre à cause de ma clause de confidentialité, mais c'était une situation sans précédent. De ce que je sais, aucun éditeur de grosse production n'a jamais retiré de jeu des ventes. Mais c'est intéressant de voir que ç'a été fait à peine quelques semaines après que Valve a permis de rendre des jeux sur Steam.

M : Je pense qu'il y a eu un échec de communication, ou peut-être que l'envie de sortir un jeu sans tenir compte de l'état du développement a triomphé. En réalité, c'est le deuxième revers pour ce jeu en une période de temps assez courte. Le premier concernait le retrait de Batman: Arkham Knight Batmobile Edition. Bien sûr, ce sont des affaires différentes, mais ça ne dit rien qui vaille. J'ai du mal à croire que des testeurs n'aient pas signalé les chutes du nombre d'images par seconde et les autres problèmes associés au fonctionnement du jeu. Si c'est le cas, c'est l'assurance qualité qui est responsable de cette perte de clients.

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Qui produit les jeux les plus irréprochables et ceux qui ont le plus de défauts?

L : De mon expérience en tant que joueur, les titres les plus irréprochables sont produits par Blizzard et Valve. On doit se rappeler que ce sont deux des plus riches développeurs de l'industrie des jeux vidéo. Ils prennent une éternité à produire un jeu mais, quand ils le sortent, il a la meilleure des finitions, sous tous rapports. Par rapport aux jeux « cassés », je dois malheureusement mettre en cause Obsidian Entertainment. J'adore les jeux qu'ils produisent, mais le jour de leur sortie, ils sont généralement truffés de bogues qui empêchent toute progression dans le jeu. Quoique pour être honnête, ils se sont améliorés. À titre d'exemple, South Park : Le Bâton de la vérité ainsi que Pillars of Eternity étaient relativement stables le jour de leur sortie.

South Park : le Bâton de la Vérité

Quelle est la meilleure plateforme selon vous, et laquelle possédez-vous? L : Ce qu'il y a de mieux aujourd'hui, c'est sans doute la combinaison PC et Wii U. De plus en plus de titres exclusifs à la PlayStation sont désormais disponibles sur PC, et le PC gagne au niveau de la puissance, des graphismes, de la vitesse de chargement et du prix des jeux. La Wii U, elle, a des titres qui ne sortent nulle part ailleurs — les Mario et les Zelda, bien sûr, et d'autres — et elle offre des mécaniques de jeux inédites, créées spécifiquement pour une manette tactile qui est utilisée de manière très intéressante par de nombreux jeux.

M : Cela dépend vraiment de ce que l'on cherche. Il est évident que The Witcher 3 a meilleure allure sur un PC avec les meilleurs paramètres possibles que sur PS4 mais, personnellement, ça ne me dérange pas. Je préfère avoir la possibilité de jouer au dernier Batman, de rentrer dedans directement comme on peut le faire sur console plutôt que d'avoir à bidouiller avec les paramètres de jeu comme on doit le faire sur PC.

Quel conseil donneriez-vous à ceux qui voudraient exercer votre profession? Qu'est-ce qui est requis? M : Il faut être observateur et patient. On doit avoir un certain intérêt pour les jeux vidéo, même s'il n'est pas nécessaire d'être un fanatique absolu. De bonnes compétences en anglais sont nécessaires. Il faut savoir travailler en équipe, tout en étant parfaitement autonome. Je pense que quiconque dispose de ces différentes qualités devrait bien s'en sortir. Ah et bien sûr, il faut pouvoir rester calme et gérer son stress.

L : Une expérience de jeu est bienvenue, mais pas essentielle. Certains des meilleurs testeurs que je connaisse ne jouent pas à titre privé, ou quasiment pas. Ce sont surtout les personnes qui pensent pouvoir être payées pour jouer huit heures d'affilée qui ne devraient pas postuler. Il y a une grosse différence entre tester et jouer. Il faut savoir que même si l'on a l'occasion de tester le meilleur jeu au monde, on ne pourra pas y jouer normalement. Prendre part au processus créatif, c'est sacrifier la possibilité de recevoir le jeu comme un joueur normal. On sait parfaitement comment ils sont créés, on connaît tous les textes par cœur et l'objectivité est tout simplement impossible.