Qu'est-ce qui se passe lorsqu'on donne notre corps à la science ?

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Qu'est-ce qui se passe lorsqu'on donne notre corps à la science ?

Aider des gens quand on n'est plus là est sans doute l'acte le plus beau qui soit.

Toutes les photos sont de Jake Lewis.Ci-dessus, une main humaine conservée dans des produits chimiques pendant plus de 30 ans.

Mise en garde : certaines photos sont très explicites. Si vous ne supportez pas les images de cadavres, nous vous recommandons de bien réfléchir avant de continuer la lecture de cet article.

Regardez autour de vous. Combien de personnes ont déjà vu un cadavre ? Certains en voient tous les jours – c'est le cas des croque-morts, des thanatopracteurs, des chauffeurs d'ambulances et autres. Pour eux, la mort fait partie de la vie et n'est qu'une simple industrie. Si on y regarde de plus près, la mort peut même sauver des vies : c'est ce qui se passe quand on décide de donner son corps à la science.

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Cet acte altruiste est une manière d'exercer sa liberté une dernière fois – un acte ultime pour le bien de tous. En donnant votre corps, vous avez choisi que votre cadavre soit utilisé pour le plus grand bien de l'humanité. C'est très bien, mais comment s'y prendre ? Tous les corps sont-ils acceptés ? Puis-je donner le mien ? Si oui, que dirait ma mère ?

Mes questionnements sur la « vie » après la mort de la chair humaine m'ont mené jusqu'au King's College de Londres. Dans ce palais remarquablement bien agencé se trouvent deux boxes minuscules, séparés par un couloir. C'est le London Anatomy Office, où tous ceux qui décident de donner leur corps viennent en faire la demande.

Emma Cole travaille dans l'un de ces bureaux. Elle est coordinatrice ; en gros, elle est comme agent de voyages, mais pour cadavres. Emma est en contact avec les familles des « patients » et travaille avec sa collègue Jeniene à la distribution de formulaires de consentement et aux transports des corps jusqu'aux universités qui disposent d'un département médical. Une fois, elle a eu droit à une visite guidée des salles de dissection.

« J'étais sereine, parce que ces trucs ne me foutent pas les jetons. Je les trouve juste fascinants, explique-t-elle. Quand je suis allée là-bas, il y avait trois médecins qui cherchaient de nouvelles méthodes pour traiter les traumatismes thoraciques. Ils m'ont autorisée à regarder ; ce n'est pas quelque chose qu'on peut voir tous les jours. »

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Emma Cole du London Anatomy Office

Chaque volontaire désireux de donner son corps à la science a le choix entre différents types de consentement. Il y a le consentement indéfini, qui autorise l'université à garder le corps aussi longtemps qu'elle le souhaite et faire ce qui lui plaît avec. Un autre type de consentement permet à l'école de garder le corps trois mois, avant de devoir s'en débarrasser. Un troisième type limite le temps de manœuvre, mais l'école peut conserver certaines parties du corps et prendre des photos pour les mettre dans les livres de cours. Un corps ne peut pas être donné si la personne est morte de maladie infectieuse du type VIH ou tuberculose.

Selon Emma, les gens sont parfois poussés à donner leur corps pour des raisons financières – un enterrement rudimentaire est organisé par l'école pour le donneur, une fois que les cadavres sont « rendus ». Ainsi, la famille n'a pas à payer de frais après la mort. « La cérémonie est très courte. Ça dure environ dix minutes, il y a un prêtre, les proches peuvent participer… En revanche, ils ne peuvent pas personnaliser la cérémonie. Ils peuvent juste récupérer les cendres à la fin, s'ils le souhaitent. Tout est pris en charge par l'école. »

À la fin du semestre, les familles rencontrent les étudiants qui ont travaillé sur le corps. Ainsi, l'entretien permet de finaliser la procédure. Certaines écoles autorisent même les étudiants à assister à l'enterrement de la personne sur laquelle ils ont travaillé.

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Au-dessus de l'écran d'ordinateur d'Emma, des cartes et des lettres bienveillantes des familles des donneurs sont accrochées à un tableau. Elle est bien plus satisfaite avec ce travail que dans son ancien job de comptable. « Je me plais ici, dit-elle. J'ai quand même un peu de pression, mais ce n'est rien par rapport à ce à quoi j'ai dû faire face en travaillant avec des patrons de grosses firmes. »

Les morts, eux, n'ont pas d'ego.

À quelques minutes de marche de la station de métro Mile End, à l'est de Londres, se trouve l'université Queen Mary. Les corps y sont amenés directement depuis les maisons funéraires. Dans le complexe, un petit bâtiment accueille le Turnbull Center for Basic Science Teaching. C'est ici que les étudiants apprennent l'anatomie. Comme la plupart des écoles, l'endroit est orné de meubles marron clair et de quelques distributeurs de soda. En revanche, contrairement aux autres écoles, on peut trouver derrière certaines portes différents cadavres et des organes.

Le directeur du centre – qui, tout comme plusieurs employés, a tenu à rester anonyme – m'a expliqué comment ces corps arrivaient ici :

« Nous avons une entrée prévue à cet effet pour les corps des personnes décédées. Une ambulance privée arrive dans la zone de déchargement et, à partir de là, le cadavre est directement emmené à la morgue, explique-t-il. Le lieu de réception est fermé au public. L'inverse serait peu respectueux et pourrait avoir un impact sur les passants. En plus, nous nous devons de suivre les procédures de la HTA [Human Tissue Authority], qui nous guident dans la prise en charge d'un nouveau cadavre. »

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Les corps sont ensuite transportés dans un endroit où ils se font embaumer. J'ai observé une partie du procédé, et autant dire que voir des corps se faire nettoyer est quelque chose de très étrange. J'avais déjà vu des corps immobiles et couverts de plastique, mais jamais d'embaumement. Les cadavres sont ainsi nettoyés avec des produits chimiques afin de mieux se conserver.

Un masque utilisé par les embaumeurs, pour les protéger des produits chimiques.

Quand j'ai visité le centre pour la première fois, il était en cours de réaménagement en prévision du prochain semestre. Il y avait un cercueil dans la pièce principale. On m'a confié qu'au début de la formation, aucun cercueil ne devait être présent à proximité de la table de dissection afin de ne pas mettre davantage mal à l'aise les étudiants.

Bizarrement, le travail d'embaumeur ne nécessite pas autant de connaissances académiques qu'on pourrait le croire. « Pour un poste de technicien, il suffit d'avoir deux A-levels. Ensuite, on apprend les ficelles du métier au fil du temps, explique le directeur. »

Dans la pièce voisine de celle où les cadavres reposent, une salle de classe sert de salle de recherches. À l'intérieur, on y retrouve des reproductions géantes de poumons, de têtes, de cerveaux et autres. Il y a aussi différentes boites de parties du corps conservées – les modèles sont vrais, cette fois-ci. On y retrouve des cerveaux, des cœurs, des thorax, des mains, etc. Ces spécimens sont appelés des « pro-sections » et leur préparation nécessite beaucoup d'expérience.

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Pour une main, l'embaumeur doit couper à un endroit particulier pour trouver les tissus, les tendons et les muscles. Si l'opération est fascinante à regarder, tenir ces « pro-sections » dans les mains l'est encore plus. Ainsi, par exemple, le cerveau devient très lourd une fois embaumé.

Est-ce qu'être entouré par tant de morts, dans un tel environnement, gêne ceux qui travaillent ici ?

« Je ne peux pas me prononcer pour les autres mais, pour moi, c'est une sensation étrange. Ça ne l'est pas d'une manière morbide, comme les gens pourraient l'imaginer, mais plutôt d'une manière fascinante », avoue le directeur.

« Ensuite, très rapidement, en commençant le boulot, ça se transforme en exercice de routine : vous êtes ici pour prendre soin des « pro-sections » et des cadavres. On se doit d'être respectueux envers eux. On insiste auprès du personnel aussi bien qu'auprès des étudiants qu'il s'agit de quelqu'un qui a donné son corps et que c'est un privilège de pratiquer un examen anatomique, comme l'a voulu le donneur. »

Je suis retourné dans l'école alors qu'un cours avait lieu. Une vingtaine d'élèves se trouvaient dans la salle de dissection. À cinq ou six par cadavre, ils essayaient de trouver les nerfs et vaisseaux des muscles fessiers. On m'a dit que, pour la plupart des étudiants, il s'agissait de la première fois qu'ils travaillaient sur un cadavre.

C'en était un peu trop pour Gemma, une étudiante de 23 ans.

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« C'est vraiment un choc pour moi. J'ai plus de mal que ce que j'imaginais. Je pense que ça serait plus facile en essayant de séparer l'être humain du cadavre, mais je n'y arrive pas encore. Ceci dit, je m'en approche ! », s'exclame-t-elle en riant nerveusement.

L'odeur était quelque peu dérangeante. Cependant, ce n'était pas une odeur de pourriture. Elle était plutôt due aux produits chimiques utilisés lors de l'embaumement. Le méthanal est la substance principale du produit. Le phénol, un produit antifongique auparavant utilisé, a lui été interdit en raison de sa dangerosité.

Si certains se sont sentis nauséeux, la grande majorité des étudiants semblaient enthousiastes.

« J'ai l'impression d'avoir atteint un nouveau palier de compréhension en l'espace d'une heure ou deux, admet Oscar, 23 ans. Ça rend le truc plus réel. À ma mort, j'ai moi aussi déjà prévu de donner mon corps à la science. En parlant à des apprentis docteurs et des étudiants en médecine, j'ai pris conscience de l'importance que ça a eu sur leur apprentissage. Aujourd'hui, je peux moi-même m'en rendre compte. »

On ne répétera jamais à quel point faire don de son corps pour que la science progresse est important. Le respect et la quasi-vénération que vouaient les étudiants à ceux qui ont pris cette décision étaient palpables à chacune de mes visites.

En y repensant, je suis encore émerveillé par le courage de ceux qui ont pris la décision de faire don d'eux-mêmes après leur mort, pour accomplir un dernier geste philanthrope – faire cadeau de l'enveloppe charnelle dans laquelle ils ont vécu toute leur existence. Le fait d'apprendre à connaître son corps jusqu'aux détails les plus intimes puis de le léguer à des étudiants afin qu'ils puissent aussi apprendre est la chose la plus merveilleuse qui soit. Tout comme le fait de pouvoir encore servir à quelque chose, même après le dernier souffle.

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