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Behind The Scenes

Tracer dans Paris au volant d’un énorme semi-remorque

Bruno a charrié des skateurs à l’arrière de son W900.

Bruno a charrié des skateurs à l’arrière de son W900

En 2003, alors que les sénateurs américains s’apprêtaient à déguster des Freedom Fries et que Jacques Chirac attendait tranquillement son Nobel de la paix pour avoir dit non à George Bush, dire en public qu’on aimait les États-Unis était une forme de suicide social, même dans la cour d’un lycée où la plupart des élèves portaient des DVS (c’était aussi l’époque où les Vans s’achetaient chez InterSport) et où la notion de contre-culture était intimement liée à Requiem for a dream. C’est justement à peu près à la même époque que j’ai découvert Adrenalin, un magazine anglais aujourd’hui disparu. Dans la centaine de pages que comptait leur numéro « We Love America » (qui sommeille encore aujourd’hui chez moi, entre des vieux SnowSurf et un Punk-Rawk consacré à Uncommonmenfrommars), les gars retraçaient l’influence qu’avait eue la culture américaine sur leur vie de surfeurs, skateurs ou musiciens. Leur constat était assez simple, mais hyper efficace : le gouvernement américain avait beau faire des choix pourris, ça restait un genre de terre sacrée que tout le monde se devait de visiter un jour.
J’ai repensé à ça quand je suis arrivé au pied de la Tour Eiffel, en septembre dernier, pour assister à la dernière étape du Sosh Truck. Juste devant l’énorme camion qui charriait la rampe de skate, un type à boots pointues, Stetson et bolo tie regardait des jeunes à casquettes s’amuser dans la remorque aménagée en rampe sur mesure. Je me suis approché de Bruno, le chauffeur et propriétaire du camion, et gérant de la Casse du Texas, près de Dijon. Je n’arrivais pas à m’empêcher de penser que, malgré les apparences, les skateurs et lui partageaient certaines influences. On a discuté un peu, puis Bruno a dû reprendre la route : c’est ce que font les routiers, une fois le travail accompli. Il a enfoncé son chapeau, s’est installé au volant de son énorme engin et a tracé la route vers le soleil couchant, sans un au revoir. Il avait promis de repasser mais quelque chose me disait que je ne le reverrais jamais. Quelques jours plus tard, il m’a rappelé et j’ai pu lui poser quelques questions.

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L’auteur faisant ses adieux à Bruno

Bonjour Bruno, vous allez bien ?
Impeccable. Désolé, on n’a pas pu rester à la soirée. On a mis deux heures pour rentrer les camions, et on s’est dit que si on remettait autant de temps pour revenir, ça ne valait pas le coup. C’est dommage.

Mais l’événement vous a plu ?
Ha oui. Je n’ai pas perdu mon temps ! J’ai rencontré des gars sympa, j’étais très content de participer. Le skate, c’est un monde que je ne connaissais pas. Enfin, j’ai 49 ans, j’ai quand même vu deux, trois choses ! J’avais déjà vu quelques vidéos, sur Internet, mais de voir tous ces petits devant moi, c’était super. Les gars étaient vraiment des cracks. Et le fameux Sam Partaix, celui-là, c’est vraiment un professionnel. Et puis les petits, et même les plus âgés, ils étaient tous bien gentils. Vraiment, bonne ambiance.

Alors, c’est quoi exactement, votre camion ?
C’est un Kenworth W900L. Il est de 1996 et il affiche un million quatre-cent-quatre-vingt mille kilomètres, roulés principalement aux Etats-Unis et au Canada. C’est un camion qui va bien, on fait l’entretien nous-mêmes. Je l’ai depuis plus de six ans. Il faut parfois commander des pièces au Canada, mais pour tout ce qui est filtres et tout, on peut se débrouiller en France. Il faut savoir que quand on importe un camion de ce genre en France, quelque soit le modèle, il faut le faire homologuer aux normes européennes chez un spécialiste, et ça coûte minimum 20 000 euros : il faut remettre les garde-boue à l’arrière, installer des feux à l’arrière, changer les pneus… Les freins aussi : le freinage se fait avec des bouteilles d’air et aux Etats-Unis, elles sont en aluminium mais l’Europe n’en veut pas donc il faut mettre celles en métal. Et puis, il y a beaucoup de paperasse.

Pourquoi vous vouliez ce modèle-là ?
Il y a largement une dizaine de beaux modèles de camions américains, mais moi je voulais précisément ce W900-là, avec les vitres aérodynamiques au-dessus. Je l’ai trouvé dans le midi de la France, donc je l’ai acheté déjà homologué.
Le W900, c’est vraiment le mythe américain. C’est celui qui a le plus la côte, là-bas. Il y a aussi Peterbilt et Mack, et chaque marque propose plusieurs modèles. Ce qui est intéressant, c’est que quand on va sur des rassemblements, comme les 24 Heures du Mans Camion ou à Magny-Cours, il y a une trentaine de camions américains. On dirait que c’est les mêmes, mais si vous les mettez tous à côté, il n’y en a pas un qui est pareil. Même au niveau du moteur : sur les camions américains, il y a trois moteurs différents. Soit des Cummins, soit des Caterpillar, soit des Detroit Diesel, comme sur le mien. C’est des moteurs qui développent 500 chevaux et qui font 12,7 litres de cylindrée.
Mais si je cherchais un camion de ce genre, c’est avant tout parce que je suis passionné des Etats-Unis, j’adore ce pays. Là-bas, les routiers parcourent les états, c’est monstrueux. Ils partent de chez eux pendant deux mois. Quand vous voyez un couple sur un parking, le mec n’est pas avec sa maîtresse mais avec sa femme. Ils travaillent beaucoup en couple, et ils ont une belle mentalité.

Et avant d’avoir ce camion, vous vous appeliez déjà La Casse du Texas ?
Ha oui, depuis que je me suis lancé, il y a trente ans. Je n’avais pas le camion, mais j’avais une Cadillac. Je l’ai toujours, d’ailleurs. C’est une Fleetwood, de 1969. C’est un engin qui fait 7,8 litres de cylindrée et 44 chevaux fiscaux – 300 chevaux DIN. Elle fait 2,3 tonnes, c’est un monstre. Et quand on appuie, c’est un avion de chasse ! Comme le camion. Il fait 9 tonnes mais croyez-moi, quand vous appuyez sur l’accélérateur, ça y va. Ça n’a rien à voir avec les camions européens.

OK, merci beaucoup Bruno, à bientôt.