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Interviews

L’histoire de la transsexuelle qui a échappé à l’État islamique

Avant de fuir la Syrie, Sally vivait une liaison secrète avec le patron d'un cybercafé – puis les menaces de mort de Daesh ont afflué.

En Syrie, on l'appelait Samir, il vivait à Al-Mayadin, dans l'est du pays, et cachait sa liaison avec le patron d'un cybercafé. Mais ça, c'était avant que l'organisation État islamique ne découvre son homosexualité et menace de le jeter du haut d'un immeuble. Suite à ces menaces, Samir a réussi à fuir pour s'installer temporairement à Beyrouth.

Aujourd'hui, bien qu'elle s'habille encore en homme pour des raisons de sécurité, elle préfère qu'on l'appelle Mademoiselle Sally et qu'on parle d'elle au féminin. Elle sera bientôt transférée dans un pays européen qu'elle préfère garder secret, où elle subira une opération pour devenir une femme. Pendant 26 ans, Sally a caché sa véritable identité, non conforme à son sexe. Aujourd'hui, Sally sait qu'elle ne retournera plus jamais dans son pays, mais elle espère que son témoignage aidera la cause des réfugiés gays syriens, d'une manière ou d'une autre. J'ai discuté avec elle de l'arrivée de l'État islamique dans son village, de son passage à tabac par sa famille et de sa fuite jusqu'au Liban, où elle est venue grossir la communauté des quelque 1,3 millions de réfugiés syriens du pays.

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VICE : Comment vivais-tu ton homosexualité avant la prise de ton village par l'État islamique?
Sally : Jusqu'en juillet 2014, je vivais à Al-Mayadin, dans l'est de la Syrie, au sud de Deir Ez-Zor. J'ai toujours caché ma véritable identité : je ne m'affichais pas en tant que femme. J'entretenais alors une relation secrète avec un homme qui tenait un cybercafé où j'allais tout le temps pour consulter des sites web pour gays, surtout le site de rencontre Manjam. Mais bien entendu, je gardais tout ça secret.

Comment s'est déroulée la prise d'Al-Mayadin par l'État islamique ?
Le village était sous le contrôle de l'Armée syrienne libre et du front Al-Nosra. Les deux se battaient contre l'État islamique, c'était la guerre. L'EI a fini par l'emporter. La population civile s'est rendue sans faire d'histoire, parce que tout le monde avait très peur. L'attente s'est installée, on ne savait rien de ce qu'il allait se passer. Les rues étaient vides, il n'y avait plus de passants, plus de voitures.

Au bout d'une semaine, les gens ont commencé à s'adapter, et sont ressortis peu à peu pour faire leurs courses. Des patrouilles de l'État islamique étaient là pour faire respecter la nouvelle loi, dont les règles ont été énoncées dans les mosquées et sur des panneaux, dans la rue : plus de chansons ou de musique, plus de clopes ni d'alcool. Les filles ont dû porter le voile intégral, les mecs ne pouvaient plus mettre de jeans. En ce qui concerne les homosexuels, la règle était simple : il fallait les jeter du haut d'un bâtiment.

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Des membres de l'État islamique. Photo via VICE News

Comment Daesh a-t-il découvert ton homosexualité ?
Mon petit ami vendait de l'alcool de manière clandestine. Les membres de l'État islamique l'ont su et l'ont capturé. Ils le soupçonnaient aussi d'avoir des relations extra-maritales, donc ils l'ont torturé jusqu'à ce qu'il finisse par avouer qu'il aimait les hommes et que nous avions une relation. Je n'ai plus jamais eu de nouvelles de lui.

L'un de mes oncles, qui avait rejoint Daesh, était là lors de l'interrogatoire. Il a foncé chez ma famille pour dire à mon père que j'étais homosexuel. Mon oncle et mon père m'ont emmenée dans une chambre pour m'interroger. Ils m'ont frappée, puis menacée de m'emmener chez un médecin pour vérifier ma sexualité si je n'avouais pas. Sous le choc, je leur ai dit que cet homme m'avait violée. Mon père s'est alors mis à me frapper encore plus violemment. Aucune femme de la maison n'osait entrer dans la pièce.

Comment as-tu réussi à t'échapper ?
En me tabassant, mon père a perdu le contrôle de lui-même et a fait un malaise. Mon oncle a paniqué, les urgences sont arrivées et toute la famille l'a amené à l'hôpital. Je me suis retrouvée seule à la maison avec ma sœur enceinte. Je saignais du cou et du nez, j'étais dans un état déplorable. Ma sœur ne savait pas si elle devait se soucier de mon père ou de moi. Je l'ai implorée « Ma sœur, aide-moi. »

À cette époque, nos valises étaient toujours prêtes, on était dans un état de déplacement permanent pour fuir la guerre. Nous avions déjà quitté Racca, en mai 2013, après l'arrivée de l'EI. J'ai donc pris mon sac, et je suis partie me réfugier chez un ami homosexuel de mon village. Il m'a conduite à Deir ez-Zor, où j'ai fait les démarches pour repousser le début de mon service militaire de quelques mois : sans cela, je n'aurais pas pu quitter le territoire. J'ai alors regagné Beyrouth, seule.

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Vidéo associée : l'État islamique


Comment as-tu survécu à Beyrouth?
Au début, j'ai habité avec d'autres gays syriens que j'avais rencontrés sur Manjam et je me suis inscrite en tant que réfugiée à l'ONU. Aujourd'hui, j'habite dans un foyer assez cher, mais je m'y sens en sécurité. Ma chambre coûte 600 dollars par mois, je la partage avec un ami gay. C'est une association d'aide aux réfugiés, l'IRAP, qui paie ma part. Lui, a réussi à trouver du travail, il est « straight looking » : on ne remarque pas qu'il est homo. Moi, je ne parviens pas à me faire embaucher, à cause de mon apparence.

Tu assumes ton identité sexuelle aujourd'hui?
Maintenant, je veux qu'on m'appelle Sally et qu'on parle de moi au féminin, mais je m'habille toujours en homme. Lorsque je suis arrivée au Liban, il y a 11 mois, je croyais que Beyrouth était une ville ouverte, dans laquelle je pouvais vivre mon identité féminine et homosexuelle sans souci. J'ai en fait découvert l'une des villes les plus homophobes du monde. Quand je marche dans la rue, j'entends les commentaires sales des gens, ils me dévisagent. Il m'est arrivé d'être frappée dans le quartier où j'habitais. Même mes amis ont arrêté de me voir. Ils trouvent que je leur cause des problèmes. Eux sont gays, mais ne sont pas efféminés. Je suis la seule ladyboy du groupe.

Que vas-tu faire maintenant ?
L'Ambassade d'un pays européen – que je ne veux pas dévoiler – a déclaré son accord pour m'accueillir et se charge des préparatifs. Je devrais pouvoir partir d'ici deux à six mois. J'espère y avoir mon propre appartement. Là-bas, je corrigerai ma nature et deviendrai une femme. Le gouvernement de mon pays d'accueil va financer mon opération.

Penses-tu que tu pourras retourner en Syrie un jour ?
J'en rêve, mais non, je n'y retournerai jamais. J'aime mon pays, c'est ma patrie, c'est ma famille. Mais je suis certaine qu'il court vers le pire. Après toute cette destruction, il y en aura encore.

La plateforme de pétitions en ligne AllOut et l'association d'aide aux réfugiés IRAP ont réussi à récolter un peu plus de 20 000 dollars pour payer les logements de réfugiés LGBT. La pétition pour Sally est disponible ici

Thameen Kheetan a participé à la rédaction de cet article.