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Hier, un squat du 10ème s'est fait vider

Du coup, on est restés devant pour voir ce qu'il s'y passait.

Ce mardi 6 décembre 2011, alors qu’on s’apprêtait à ranger gentiment nos affaires et à profiter d’une bonne soirée hivernale parisienne, on a appris qu’une expulsion était en cours devant la station de métro Jacques Bonsergent, dans le 10e arrondissement. Professionnels, on a bravé cette furieuse envie d’aller boire une bière et on s’est dirigés sur les lieux du crime, à deux pas de nos bureaux.

Arrivés sur place, on a été accueillis par une lignée de cars de CRS. Il nous était impossible de nous approcher du bâtiment, protégé par un épais cordon de sécurité. On a donc dû observer la scène plantés devant ces Judge Dredd de la vie réelle, tendant l’oreille pour comprendre ce que disaient les quelques squatteurs qui s’étaient enfermés sur leurs balcons du deuxième étage. Des gens criaient leur soutien au maître des lieux, un dénommé « Aladdin », perché sur une corniche entre deux balcons. Dans la foule, on a rencontré des passants qui demandaient à tout le monde de l’air de celui-qui-comprend-ce-qui-se-passe-mais-qui-pose-quand-même-la-question-histoire-de-se-sentir-impliqué ce qu’il se passait, et diverses personnalités du milieu des squats parisiens – on a découvert qu'il existait une vraie scène, avec ses codes, ses revendications et ses chiens. Apparemment, le squat était ouvert depuis 10 jours et 18 personnes y vivaient, dont un gamin de 3 ans.

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La police est entrée dans le bâtiment vers 20h, conspuée par les slogans « Un toit, c’est un droit » de la foule. Les squatteurs, mis à part ceux prostrés sur leurs balcons, sont descendus et ont été embarqués dans un car. L'un des squatteurs étaient plutôt OK avec l'idée de se faire arrêter. « Il fait plus chaud dans le car qu'en haut », selon lui. Difficile de lui donner tort.

On a rencontré Martin, jeune parisien qui connaît bien les squats de la capitale et qui a rappliqué dès qu’il a appris ce qui se passait. Il nous a dit que l’expulsion était illégale car on se trouvait en pleine trêve hivernale, une loi qui vise à protéger les mal logés contre les expulsions en hiver. « Cette expulsion est complètement illégale, » nous a dit Martin, « car aucun préavis n’a été donné. Les flics sont venus aujourd’hui pour la première fois, et la préfecture leur a donné l’ordre de procéder à l’expulsion. Malgré la trêve hivernale, beaucoup de squatteurs continuent de se faire expulser, c’est illégal, dégueulasse, et personne n’en parle. » On était contents de voir que des gens étaient là pour apporter un soutien constructif aux squatteurs, parce qu’ensuite on a eu droit à notre lot d'alcooliques criant leur parole sainte à  qui voulait l’entendre. Parmi eux, Djamel, un mec bourré mais plutôt marrant.

Après nous avoir expliqué ce qu’il se passait à quatre reprises, Djamel nous a fait part des ses inquiétudes quant à la santé du nourrisson : « Là il y a un bébé, peut-être qu’il va lui arriver quelque chose, peut-être qu’il va mourir, et là, ce sera la faute de l’État. » Avant d’y aller de son conseil de vote aux prochaines présidentielles : « Là, je vois pas de fraternité. Faut voter Hollande, faut changer de groupe ! » Pendant ce temps-là, les flics bouffaient un gros Bô-Bun (ç'aurait pu être un burger) et dans leurs yeux brillaient déjà cette lueur de lassitude qui signifie : « j'aimerais bien rentrer chez moi. » Plus tard, Djamel, mécontent de la tournure que prenait le siège, s'est barré en pétant.

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Lui (le mec à droite) ne faisait que passer et a commencé à se plaindre qu’il ne pouvait pas rentrer chez lui. Il s’en est pris au mec de gauche en affirmant qu’il empêchait ces « bons défenseurs de la République » de « faire leur travail. » Comme tout se déroulait très calmement et qu’aucun débordement n’était à signaler (une belle parabole de la France en 2011), personne n’a compris ce qu’il a voulu dire exactement, ni les gens dans la foule, ni les CRS. À un moment, il a été question de l'embarquer à son tour, jusqu'à ce qu'un inspecteur – il s'est présenté comme tel – lui suggère de « fermer sa gueule ».

On a plus tard croisé un mec à vélo qui, après nous avoir traité de « gauchistes de caricature » et nous avoir conseillé d’ « aller manger nos kebabs plus loin », nous a expliqué qu’il venait de Tel-Aviv et qu’il habitait en plein « quartier socialiste. » Ça, c’était pour la partie « incidents » des événements, et comme on commençait à en avoir marre d’entendre des conneries dénuées de sens sortir de la bouche d’abrutis finis qui avaient juste envie de pousser leur coup de gueule en vertu de leur liberté d'expression et du fait de « vivre en démocratie », on est retournés près des CRS.

Vers 22h30, des mecs en tenue orange qui véhiculaient une attitude de type SOS Fantômes sont apparus aux fenêtres du troisième étage. Ces mecs de la Sécurité Civile allaient descendre en rappel pour choper les derniers dissidents ou si jamais, faire tomber Aladdin et ses compères de balcon sous les yeux d'une centaine de gens venus profiter du spectacle. Les pompiers avaient pris soin d’installer deux matelas sous les fenêtres, ce qui n'a pas empêché certains de les traiter de « fils de pute » ni de « mange-boules ».

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Un élu est alors arrivé, et s’est mis à se plaindre avec toute l'indignation qu'on est en droit d'attendre d'un type qui trace perpétuellement avec un drapeau tricolore en guise d'écharpe. Il était visiblement là depuis deux heures et n’avait eu droit de parler à personne. Les CRS, intransigeants, lui ont fait quelques blagues du genre « Nous non plus on ne nous dit pas ce qui se passe – clin d'oeil.jpg » et l’ont maintenu à distance du bâtiment. L’élu a protesté qu’il tenait absolument à savoir si les biens à l’intérieur avaient été consignés, mais son appel est resté sans réponse.

Là on a rencontré Christophe, un mec du collectif Jeudi Noir, venu apporter son soutien « indépendamment » de son organisation, et qui nous a offert quelques précisions indépendantes sur cette histoire de trêve hivernale : « La trêve hivernale ne s’applique pas automatiquement à tous les squats. En France, le squat n’est pas un délit, et donc aucune expulsion n’est possible sans que la justice se prononce sur les faits. Ici, c’est une motivation politique de la préfecture qui a décidé de mener la guerre aux squats et aux pauvres. »

L’affaire commençait à durer et tout le monde se demandait s’il allait enfin se passer quelque chose. Là, notre photographe s’est rendu compte qu’il n’avait plus de batterie, et que comme par hasard, on n’allait pas pouvoir prendre en photo la fin des opérations. La foule était d’humeur joyeuse, et quand on lui a demandé s’il avait envie de manger un truc, Aladdin nous a répondu, « Non merci, ça va » en nous souriant du haut de sa corniche. Deux secondes plus tard, il menaçait de se jeter dans le vide.

Les mecs sur les balcons ont finalement ouvert leurs volets et sont rentrés dans le bâtiment. Les spidermans attendaient, tout le monde semblait un peu confus. Puis, vers 1h du matin, au bout d’une attente interminable passée à blaguer avec les CRS, à balancer des rengaines anti-UMP et à repousser le moment où il s'élancerait sur les énormes matelas pneumatiques (un truc que tout le monde rêve de faire une fois dans sa vie), Aladdin est finalement rentré en échange de l’abandon des poursuites qu’il risquait d’encourir. On lui a aussi promis que tous les squatteurs pourraient récupérer leurs affaires le lendemain, après avoir passé la nuit en GAV. En sortant, il avait l'air d'avoir froid.

TEXTE : MARTIN COURTOIS

PHOTOS : FRANÇOIS SÉGALLOU