Yanis Varoufakis

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Une discussion avec Yanis Varoufakis

L'ancien ministre grec des Finances nous parle de la trahison de Syriza et du rôle néfaste des institutions européennes.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Comme certains d'entre vous, j'ai suivi avec attention le parcours de Yanis Varoufakis. Le gouvernement de Syriza représentait la première vraie opposition au néolibéralisme imposé par les institutions de l'Union européenne (UE). Ce parti avait remporté les élections législatives grecques en janvier 2015 et critiquait violemment les agissements de la Troïka – qui regroupe le Fonds monétaire international, la Commission européenne et la Banque centrale européenne. Cette troïka avait imposé à la Grèce des mesures d'austérité radicales en échange d'un sauvetage financier. Syriza, de son côté, avait le soutien des mouvements sociaux et des syndicats. Le parti était composé d'intellectuels, dont Yanis Varoufakis, un économiste devenu ministre des Finance – et grand pourfendeur des agissements de Bruxelles.

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Professeur et blogueur, Varoufakis s'était retrouvé en charge d'un ministère de la plus haute importance – après avoir pourtant affirmé qu'il ne deviendrait jamais un homme politique. Quelques semaines après sa nomination, il publiait une tribune dans le Guardian intitulée : « Comment je suis devenu un marxiste inconstant. » OK, Varoufakis avait beau mettre en avant les défaillances des écrits de Marx, il se revendiquait tout de même du marxisme ! Un rêve devenait réalité pour nombre de gauches européennes.

Varoufakis s'était engagé à négocier avec les créanciers du pays. Il demandait un allégement de la dette – une mesure respectant la dignité d'une « nation fière », réduite au statut de colonie. Il voulait que l'on admette que la dette grecque était symptomatique des problèmes structuraux de la zone euro. Mais l'intransigeance de la Troïka était pathologique. Les tensions entre Varoufakis et le reste de Syriza, notamment le Premier ministre Alexis Tsipras, étaient latentes. « Je savais que la Troïka paralysait les négociations dans le but de nous affaiblir », m'a précisé Varoufakis. Les espoirs placés en Syriza se sont évanouis peu après le 5 juillet 2015 – date du référendum sur le projet d'accord soumis par la Troïka. 61 % de « Non » n'auront pas empêché Tsipras de capituler en acceptant des mesures d'austérité encore plus punitives qu'auparavant.

Du jour au lendemain, six mois de discours anti-austérité de Syriza étaient caducs. Le flamboyant ministre des Finances était résigné. Sa démission quelques heures seulement après « sa » victoire lors du référendum en disait long sur la volte-face à venir de la part d'Alexis Tsipras.

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Varoufakis, lui, s'est montré surpris que les ministres de la zone euro ne veuillent pas discuter de macroéconomie – notamment au sujet de l'absence d'harmonisation des politiques fiscales au sein de l'eurozone.

Comme toutes les rock stars, Varoufakis est continuellement épuisé. Je l'ai rencontré dans son hôtel à l'issue d'une longue semaine de promotion. Il avait pris part à une émission radio le matin même pour vanter son nouveau livre, Et les faibles subissent ce qu'ils doivent ?

Je lui ai reparlé du moment où Tsipras et lui ont appelé les Grecs à voter « Non » au cours d'un rassemblement à Athènes, à 48 heures du référendum. « Ça a été le jour le plus important de ma vie politique, affirme-t-il. Quand est venu le moment décisif et que nous avons appelé à l'unité du peuple grec, les citoyens ont réagi de manière spectaculaire. Ce vendredi soir était le point culminant. Je m'attendais à voir moins de 100 000 personnes. Ils étaient presque un demi-million. C'était tout bonnement incroyable », a-t-il poursuivi. Selon les informations du Monde, les partisans du non n'étaient « que » 25 000 sur la place Syntagma ce soir-là.

Sous cette radicalisation utopique du peuple grec se cachaient des manœuvres politiciennes « bien moins héroïques ». Varoufakis de poursuivre : « Vers la fin du mois d'avril, Tsipras semblait enclin à capituler face à la Troïka, ce qui allait à l'encontre de tout ce qui m'avait attiré au sein du gouvernement ». Le référendum était-il un geste vide de sens ? « C'était, à mon avis, un subterfuge de Tsipras. Il allait recommander aux Grecs de voter non, ce qu'il a fait, en espérant qu'ils voteraient oui et que ce serait sa porte de sortie. Je pense que c'est pour ça qu'il était si abattu le soir du référendum. »

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De l'eau a coulé sous les ponts depuis la grande trahison. Syriza est toujours à la tête du pouvoir, mais a capitulé face à ses créanciers. Varoufakis a été accusé d'avoir fait preuve de naïveté en croyant que les négociations avec la Troïka aboutiraient à des concessions importantes de la part de cette dernière. Varoufakis, lui, s'est montré surpris que les ministres de la zone euro ne veuillent pas discuter de macroéconomie – notamment au sujet de l'absence d'harmonisation des politiques fiscales au sein de l'eurozone. L'ancien ministre des Finances tient à se justifier contre les accusations de candeur excessive : « Je n'ai jamais pensé que nous allions gagner simplement en disant la vérité, précise-t-il. Nous ne nous faisions pas d'illusions. Il fallait avoir les armes adéquates pour répondre à leurs tentatives de nous asphyxier. » Varoufakis avait des armes – dont l'arme ultime, celle permettant au pays de sortir de l'euro en créant une monnaie parallèle, et de reprendre le contrôle de sa banque centrale. Sauf que, selon ses dires, « [ces armes] n'ont pas été utilisées car l'unité du gouvernement n'existait plus ».

Certains membres Syriza n'ont pas hésité à reprocher à Varoufakis sa dimension théâtrale, tribunitienne. Dans la New Left Review, Stathis Kouvelakis, a déclaré la chose suivante : « Tsipras a senti que, même si c'était de la comédie pure, [l'attitude conflictuelle de Varoufakis] était nécessaire à sa légitimation, ou à l'obtention de quelques concessions. » Il est clair que Varoufakis n'est aucunement impressionné par ces propos, mais il ne souhaite pas s'appesantir dessus.

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Nous en revenons donc à son bouquin. Et les faibles subissent ce qu'ils doivent ? n'est pas une autobiographie mais l'histoire économique de l'Europe après la Seconde Guerre mondiale. Varoufakis va à l'encontre du mythe fondateur de la construction européenne dans les années 1950 – ce récit fantasmé de nations éclairées qui se réunissent pour le bien de tous. Il explique comment l'UE a été pensée d'abord comme un cartel industriel. Selon lui, c'est une simple histoire de lutte monétaire, dans laquelle les bureaucrates français et les banquiers centraux allemands se disputent le rôle de protagonistes. J'interroge Varoufakis au sujet de l'une des contradictions du capitalisme qu'il décrit dans le livre – le fait qu'il s'attaque aux plus faibles, alors que ces derniers lui permettent de se perpétuer. L'ancien ministre des Finances me répond en insistant sur les similitudes entre le capitalisme et le docteur Frankenstein. Selon lui, il crée les conditions de sa propre disparition.

Selon Varoufakis, la création d'une union monétaire a placé les décisions politiques concernant le bien-être entre les mains de « technocrates non élus », ce qui a eu pour conséquence d'accélérer la dépolitisation des institutions européennes.

Malgré ses positions très critiques à l'encontre du dogmatisme de l'UE, Varoufakis conclut son livre en affirmant qu'il faut la démocratiser de l'intérieur. De plus, il affirme que ce n'est pas dans l'ADN de l'UE d'évoluer vers une fédération [démocratique]. « Nous avons besoin d'être en conflit avec les institutions de l'Union européenne », affirme-t-il. Il espère que la confrontation viendra de DiEM25 – un mouvement politique qu'il a contribué à lancer et qui vise à rallier les citoyens étant en faveur d'une Union européenne plus démocratique. « Nous devons prouver aux Européens que même le plus petit pas dans la bonne direction peut faire la différence », déclare Varoufakis.

L'une des observations les plus intéressantes du livre concerne les vrais décideurs en Europe. Selon Varoufakis, la création d'une union monétaire a placé les décisions politiques concernant le bien-être entre les mains de « technocrates non élus », ce qui a eu pour conséquence d'accélérer la dépolitisation des institutions européennes. Syriza allait à l'encontre de cette logique selon Varoufakis : « Nous étions des animaux politiques, oui, mais nos compétences techniques étaient meilleures que celles de la Troïka. Nous ne croyons pas aux modèles néoclassiques mais nous les comprenons. » La possibilité d'un changement d'orientation de l'UE a-t-elle disparu à jamais ? « Il ne fait aucun doute que nous avons trahi les gens, poursuit Varoufakis. Sauf que l'idée de changement est désormais ancrée dans l'esprit des gens, pas seulement en Grèce, mais ailleurs. »

C'est sur cette affirmation que Yanis Varoufakis se lève pour partir. Il s'excuse de me quitter aussi brusquement, mais il est en retard pour un appel sur Skype. Je me retrouve seul. Je regarde son livre. La quatrième de couverture relève de l'hagiographie : « La rock star émergente du mouvement anti-austérité », « l'homme le plus intéressant au monde », « une célébrité mondiale ». J'imagine que certains, à ma place, auraient demandé un autographe.