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Quelque part dans l’Aisne, une femme vient de pêcher non-stop pendant un mois

Jessika a ferré des monstres d'eau 30 jours sans s'arrêter pour la cause féminine.

Jessika avec l'une des nombreuses carpes qu'elle a attrapées récemment. Toutes les photos sont publiées avec son aimable autorisation.

Jessika habite à Flavy-le-Martel, dans l'Aisne. Certains diront que c'est une région sinistrée économiquement et culturellement, d'autres qu'il s'agit d'un joli petit village du nord-est de la France abritant un étang rempli de carpes. Ces derniers auront raison. C'est dans celui-ci que Jessika a décidé de pêcher le plus de carpes possible au nom du féminisme.

Jessika, 23 ans, pratique la pêche depuis l'âge de 8 ans. Longtemps considérée comme une activité strictement masculine, la pêche séduit depuis quelques années de plus en plus de femmes. En 2008, la Fédération Nationale de la Pêche, qui compte près d'1,4 millions de pratiquants en France, a lancé ses cartes annuelles Découverte Femme à « coût attrayant » – c'est-à-dire moyennant la modique somme de 32€. Depuis, le nombre de cartes vendues destinées à ces pêcheuses ne cesse d'augmenter. En 2014, la fédération comptait 50 296 licenciées, contre 45 833 en 2013. Malgré cela, Jessika continue de déplorer un machisme indéniable dans le milieu de la pêche, qu'elle a cherché mettre à mal en attrapant le plus de monstres d'eau possible, tous les jours pendant un mois complet, en s'accordant seulement quelques heures de sommeil chaque nuit dans une tente.

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Juste avant que son défi ne prenne fin il y a 15 jours, j'ai pu lui poser quelques questions.

VICE : Salut Jessika. Qu'est-ce qui t'a pris de transformer une partie de pêche en une grosse session d'un mois sans interruption ?
Jessika : Ça a commencé par une femme, celle du gérant de l'étang dans lequel je pêche. Un jour, pendant l'apéro, elle m'a demandé pourquoi je ne ferais pas, je cite, « une longue pêche pour les femmes ». C'est parti de là. Une simple question autour d'un apéro. Après, on a commencé à se renseigner sur Internet pour mettre sur pied le projet. On a posé des questions sur le fait de pêcher pendant une durée aussi longue, etc. Au début, j'étais assez confiante mais je ne vais pas te mentir, c'est pas facile de pêcher un mois tous les jours sans s'arrêter.

Ce défi serait donc pour toi, un moyen de féminiser la pêche ?
En quelque sorte. C'est vraiment pour faire parler les femmes qui hésitent à se lancer dans cette pratique. J'ai un ami qui venait pêcher avec sa femme mais elle, elle ne pêchait pas. En discutant un peu avec elle, de fil en aiguille ça lui a plu, elle a pris une canne et aujourd'hui elle pêche régulièrement. Je veux encourager les femmes à pratiquer cette passion aussi bien avec leur mari que toute seule. Souvent, elles n'osent pas.

Pourquoi, selon toi ?
Je pense qu'il y a la difficulté de la pêche en elle-même, mais je crois que c'est surtout une histoire de confort. Les femmes ne se rendent pas compte qu'on peut pêcher avec une certaine forme de confort en apportant tel ou tel matériel avec elles. Là, j'ai de quoi me faire à manger, un lit, le chauffage. Il est tout à fait possible de pêcher sans souffrir.

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Comment tu te sens après un mois de pêche à la carpe, 24 heures sur 24 ?
Je dirais, assez fatiguée physiquement et moralement. Il faut dire qu'avec le mauvais temps que j'ai eu, ça n'a pas été évident tous les jours. Bien entendu, je suis très heureuse d'avoir réalisé ce défi et d'en venir à bout – mais bizarrement j'appréhende un peu de rentrer chez moi.

Ah, pourquoi ?
En fait, je suis assez surprise de voir à quel point j'ai pris mes habitudes pendant tout ce mois au bord de l'eau. Et puis tu sais, la pêche à la carpe c'est pas si inconfortable que ça. Comme je te le disais, il y a mon biwy [l'abri des carpistes N.D.L.R.], une chaise et un lit.

Sur les photos on peut voir des barrières de sécurité tout autour de ton spot de pêche. À quoi servent-elles ?
Je m'isole, cela fait partie du défi. Personne n'a le droit d'entrer dans ma zone de pêche et je ne dois pas en sortir. Je me suis retrouvée seule avec mon chien à pêcher pendant un mois entier. Au bout d'un moment, le sentiment d'enfermement devient assez éprouvant. Je fais les cent pas pour me dégourdir un peu les jambes.

Sur Internet, j'ai même eu droit à des commentaires assez virulents, genre : « J'espère qu'elle n'est pas au RSA parce que c'est nous qui payons ! »

C'est si rare que ça de voir une pêcheuse planter sa tente au bord de l'eau pour attraper de grosses carpes ?
Il faut croire que oui. Après, je connais quand même quelques pêcheuses mais c'est rare qu'elles viennent pêcher seules comme je le fais, et surtout, pendant un mois entier, H-24. Je crois que c'est ça qui a beaucoup surpris.

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C'est difficile d'évoluer dans un milieu constitué majoritairement d'hommes ? Le machisme y est présent ?
Oui, il y a du machisme. Attention, je ne mets pas tous les hommes dans le même panier. J'ai déjà eu des remarques du genre « de toute façon tu sais pas lancer correctement ! » ou encore « ouais t'as eu de la chance, t'y connais rien ! » Mais généralement, les gens sont contents de voir une femme à la pêche.

Tu as déjà dû rencontrer de nombreux donneurs de leçons.
Oui, ça arrive. Un jour, je n'arrivais pas à ferrer un poisson, ça se décrochait tout le temps et un Monsieur est venu me voir en me disant que ce n'était pas normal que ça se décroche comme ça et il s'est mis à critiquer mes montages en prétextant qu'ils étaient « mal faits ». Sur Internet, j'ai même eu droit à des commentaires assez virulents, genre : « J'espère qu'elle n'est pas au RSA parce que c'est nous qui payons ! » et d'autres commentaires que j'ai effacés parce que c'était de la méchanceté gratuite.

Tu as eu des retours, suite à ton défi ?
J'ai reçu énormément d'encouragements, aussi bien au bord de l'eau que sur Internet. De nombreux journalistes locaux et régionaux, également. Et il y a des pêcheurs qui viennent régulièrement me voir pour me soutenir dans ma démarche alors que je ne les connais ni d'Ève, ni d'Adam. Il y a aussi pas mal d'habitants de mon village qui sont venus me rendre visite pour me dire qu'ils trouvaient ça bien, que je devais continuer. Je suis entourée, ça m'aide beaucoup.

Tu penses avoir donné envie à des femmes de se mettre à la pêche ?
Oui, je le pense sincèrement. Je veux montrer que nous en sommes capables et que ce n'est pas si difficile que ça en a l'air. Il faut arrêter d'avoir peur et oser se lancer, ça vaut le coup.

Merci Jessika.

Jessika a eu plus d'une cinquantaine de carpes et esturgeons au compteur durant son défi. Vous pouvez la suivre sur sa page Facebook.