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Une histoire accélérée du GHB

Synthétisée dans les années 1920 et présente dans tous les clubs, cette drogue est au cœur d'une série de meurtres à Londres.
Max Daly
London, GB

Photo via WikiCommons

« J'en peux plus. J'ai buté Gabriel. On était en train de se marrer chez un pote, j'ai voulu lui filer un autre shot de G mais je me suis planté. C'était un accident. Je sais que je finirai en prison si je balance tout à la police. J'ai pris tout le G qui me restait, avec des somnifères. Si je meurs, c'est que je le mérite. Au moins, comme ça, je serai avec Gabriel. »

Ce texte constitue la lettre d'adieu récupérée dans la main de Daniel Whitworth après son suicide. Le corps de cet apprenti cuisinier de 21 ans, originaire du Kent, a été retrouvé contre le mur du cimetière de l'église de Barking, dans l'est de Londres, en septembre de l'année dernière.

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À ce moment-là, la police a classé l'affaire – il s'agissait d'un suicide évident. Un mois plus tôt, le corps du petit ami de Daniel, Gabriel Kovari, avait été retrouvé au même endroit, suite à une overdose supposée de GHB. Ce fait divers a fait la une du journal local, laissant planer un soupçon de tragédie shakespearienne sur cette affaire – une sorte de Roméo et Juliette se déroulant au sein de la communauté gay londonienne, avec pas mal de GHB gravitant autour.

Il y a trois mois, le corps sans vie d'un jeune designer de mode a de nouveau été retrouvé dans les environs – un autre homosexuel mort d'une overdose de GHB. La police a jugé les trois morts comme « peu communes, mais non suspectes ».

C'est seulement après la découverte d'un quatrième corps le mois dernier – celui d'un cariste nommé Jack Taylor – que la police a commencé à envisager la piste d'un tueur en série.

La semaine dernière, la Cour centrale de la Couronne britannique a accusé Stephen Port de ces quatre meurtres. Ce cuisinier de 40 ans – ayant un penchant pour les sites de rencontres et l'émission Masterchef a été inculpé pour avoir les quatre hommes en utilisant du GHB. Les procureurs ont établi que Port les avait invités dans son appartement à Barking après les avoir rencontrés en ligne. Après leur avoir donné une dose létale de drogue et les avoir violés, Port se serait débarrassé de leur corps dans les environs – la lettre trouvée dans la main de Daniel Whitworth ne serait donc qu'un vulgaire leurre.

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Au cœur de cette histoire sordide, le Docteur Jekyll et Mister Hyde des drogues récréatives semble jouer un rôle important. Le GHB, ou acide gamma-hydroxybutyrique, a été synthétisé dans les années 1920. Sa consommation à petites doses provoque un sentiment d'euphorie et décuple la libido – mais si vous avez le malheur d'en ingérer une trop grande quantité, la substance peut devenir très dangereuse. Ce n'est pas pour rien que le GHB et son grand frère, le GBL – un précurseur du GHB utilisé pour fabriquer du détergent à peinture, qui se transforme en GHB après ingestion – sont connus sous le nom « d'urine de Satan ».

Des études menées quelques années plus tard prouveront que les cas de viol consécutif à une ingestion de GHB ont été beaucoup plus rares qu'on ne l'imagine.

Le GHB s'est répandu aux États-Unis en tant que médicament permettant aux patients de s'endormir avant une opération, puis a été retiré du marché lorsqu'on a mis en évidence ses effets secondaires indésirables. La présence d'hormones de croissance en a fait une substance prisée par les culturistes dans les années 1980.

Pendant les années 2000, le GHB – vendu sous le nom « d'ecstasy liquide » – est devenu une alternative populaire à la MDMA au sein de la communauté gay. Peu coûteux, facile à cacher et à faire entrer en boîte de nuit, le GHB était souvent présent dans les partouzes d'après-soirées.

À l'époque, le GHB était connu aux yeux du grand public comme étant la « drogue du violeur », après la publication de faits divers mettant en scène des prédateurs sexuels qui en versaient dans les verres de certaines femmes.

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En 2003, le GHB a été interdit en Grande-Bretagne après deux affaires importantes. David Meachen, un gallois de 52 ans, a été condamné à dix années de prison après avoir versé du GHB dans le verre d'une femme rencontrée dans un bar, femme qu'il a ensuite violée. Un autre violeur, Lea Shakespeare, a reçu une peine de prison à vie pour chacun de ses dix chefs d'accusation, après avoir versé la substance dans les verres de trois victimes. La France,de son côté, a classé la substance comme stupéfiant dès 1999.

Certaines femmes ont commencé à avoir peur de laisser traîner leur verre au bar. Rendue « célèbre » par l'hystérie médiatique qui a accueilli certains faits divers, la dangerosité de la substance a donné naissance à un tas de gadget douteux, comme les sous-verres de bières, les pailles, les couvercles pour verres et même un vernis à ongles censé réagir à la présence de GHB. Des études menées quelques années plus tard prouveront que les cas de viol consécutif à une ingestion de GHB ont été beaucoup plus rares qu'on ne l'imagine. L'une d'elles suggère que la substance la plus utilisée comme « drogue du violeur » est en réalité l'alcool.

Pendant ce temps-là, dans les clubs, l'interdiction du GHB a conduit à l'augmentation de la consommation d'une drogue alternative – plus dangereuse, mais légale –, le GBL. Si vous aviez le malheur d'avaler un ou deux milligrammes de trop, vous passiez d'un état de défonce à une overdose – surtout si vous ajoutiez l'alcool.

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Le récit de ces catastrophes sanitaires n'a pas attiré l'attention des médias – peut-être parce qu'elles impliquaient des homosexuels et non des enfants, ou des jeunes femmes.

À la fin des années 2000, le nombre d'hommes de la communauté homosexuelle britannique se réveillant dans des lits d'hôpitaux ou s'effondrant en plein milieu de soirées a augmenté fortement. Un hôpital du sud de Londres, près de Vauxhall – célèbre quartier de la communauté gay – a fait état d'au moins trois cas d'overdoses au GHB ou GBL par semaine en 2009.

Le récit de ces catastrophes sanitaires n'a pas attiré l'attention des médias – peut-être parce qu'elles impliquaient des homosexuels et non des enfants, ou des jeunes femmes – jusqu'à ce que Hester Stewart, une étudiante de 21 ans, décède en 2009. Sa mort a provoqué un émoi national : comment une telle drogue pouvait-elle être encore légale ? Le GBL a été interdit dans l'année.

Aujourd'hui, le GHB et le GBL – tout comme la meth et la méphédrone – sont souvent associés à la communauté chemsex londonienne, au sein de laquelle les drogues sont consommées – souvent par intraveineuse – pendant les orgies gays. Ce phénomène a provoqué une recrudescence des cas de VIH, ce qui a conduit David Stuart – président de l'association antidrogue « 56 Dean Street » – à décrire le GHB et le GBL comme étant les « drogues les plus dangereuses de la planète ». En 2014, ces drogues ont été responsables de 20 cas d'overdose au Royaume-Uni, et une étude du Global Drug Survey a montré qu'un consommateur sur quatre s'est déjà évanoui après avoir ingéré cette drogue.

Le GBL est, de plus, très addictif. Certains consommateurs doivent en consommer toutes les trois heures afin de ne pas ressentir les symptômes liés au manque. En 2009, une clinique spécialisée a été construite au sud de Londres afin d'aider les gens à décrocher.

« Être accro au GBL m'a rendu dingue », estime Bluestreak sur un forum dédié aux drogues. « J'ai manqué de sommeil pendant six mois. J'hallucinais tout le temps ; je parlais à des gens qui n'étaient pas là ; je voyais des choses qui n'existaient pas. J'ai perdu deux ans et demi à cause de cette merde. »

Finalement, le GHB et le GBL sont des substances dangereuses, addictives et potentiellement mortelles. Il a fallu attendre le décès d'une jeune femme avant que le gouvernement n'interdise le GBL en 2009 – et quatre morts suspectes d'homosexuels sur une période de 15 mois pour que la police commence à se poser des questions. Ce que cela nous apprend sur l'attitude des autorités envers certains groupes mériterait un autre article. En revanche, on peut tout de même admettre qu'il est nécessaire que les gens prennent conscience du danger de ces drogues, parce qu'elles ne signifient pas uniquement euphorie et augmentation de la libido.

Max est sur Twitter.