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Une interview avec Joe Dante à propos de Gremlins 2

Le film pour enfants le plus invraisemblable des années 1990 était une putain de blague

Réalisateur de Piranhas (1978), Gremlins (1984), Gremlins 2 : La Nouvelle Génération (1990), L'Aventure Intérieure (1987), The Hole (2011).

En 1990, le réalisateur Joe Dante ne s'est pas contenté de prendre du blé en donnant au monde entier une très mauvaise suite à Gremlins, son plus grand classique. En tant qu'historien et amoureux du cinéma, il s'est servi de ces créatures aux grandes oreilles pour faire une satire anti-corporatiste sur la société du début des années 1990. De fait, il a mis l'accent sur l'ascension d'un capitalisme mortifère ainsi que sur la domination des médias, en foutant ses Gremlins au sommet d'un gratte-ciel ultra-moderne – le siège de l'entreprise dirigée par Daniel Clamp, personnage mégalo dont le logo montre la planète Terre pressée dans un étau.

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Gremlins 2 : La Nouvelle Génération résonne comme une effrayante préfiguration de ce qui arrive aujourd'hui à Joe Dante. En effet, à deux pas de son bureau, une agence immobilière vient de racheter les studios Pickfair et a fait couler la boîte  – l'un des derniers studios destinés au cinéma muet, et qui a notamment appartenu à Mary Pickford et Douglas Faibanks. D'ailleurs tout ceci arrive l'année où The Artist rafle la mise aux Oscars ; c'est fou mais c'est la vraie vie.

VICE : Comment tout cela a pu arriver ?

Joe Dante : C'est parce que l'immeuble qu'ils ont prévu de construire pour leurs petits bureaux va faire six étages. Ce nouvel immeuble pourra donc abriter beaucoup de grosses entreprises qui apporteront bien plus d'argent.

Je sais qu'il y a eu une pétition et des manifestations ; ils ne comprennent pas que c'est une partie de l'héritage d'Hollywood qu'ils veulent détruire ?

Ils savent que des gens s'y opposent mais, de leur point de vue, ils peuvent faire ce qu'ils veulent de l'immeuble dont ils sont propriétaires. Nous, on n'a plus qu'à se démerder.

Pourquoi avoir tourné Gremlins 2 dans un édifice comme celui-ci ?

À cette époque, tout le monde parlaient des « smart buildings » qu'on construisait dans la Silicon Valley. On a voulu pousser ça à l'extrême. On voulait tourner en dérision les grosses entreprises, c'est pourquoi on s'est inspiré de Ted Turner et de Donald Trump pour créer nos personnages ultra cyniques – c'est comme ça qu'est sorti Donald Clamp.

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Avec Gremlins 2, vous aviez la possibilité de conserver le contrôle de votre œuvre mais vous avez préféré faire un film complètement anarchique. Qu'est-ce qui vous a pris à ce moment-là ?

Après le succès financier de Gremlins, le studio voulait une suite. Quand ils m'ont contacté la première fois, j'ai refusé. Ça a été un film très difficile à faire ; il n'y a eu aucun soutien de la part studio pendant le tournage et même, « techniquement », c'était un film compliqué à réaliser. Ils voulaient simplement faire une faveur à Steven Spielberg – qui finançait le film. Le studio a travaillé cinq ans en essayant de trouver des idées pour une suite mais ils ne comprenaient pas ce qui avait fait le succès du premier volet. Ensuite, ils sont revenus vers moi en me promettant cette fois un contrôle artistique total. Je me suis dit que ce serait marrant de faire un film sur le fait que ce film n'avait justement pas besoin de suite. On a donc tourné en dérision tout le concept de Gremlins, y compris les « règles » [NDLR : ne pas asperger d'eau les Gremlins, ne pas les nourrir après minuit et ne pas les exposer à une lumière vive.]

L'exemple parfait du détournement de la règle de l'eau, c'est John Austin, aka Gomez Addams, qui joue un vulgaire technicien dans une grande chaîne de télévision et répare une fontaine d'eau qui va malencontreusement arroser Guizmo.

Il y a beaucoup de trucs comme ça. On avait aussi demandé à Al Lewis, le type qui jouait Granpa Munster dans la série The Munsters. L'idée de ce personnage m'est venue lors de mon passage dans l'une des tours des studios CNN, en Géorgie. Dans les sous-sols, il y avait ces vieux plateaux dont Al se servaient pour tourner ses films d'horreur. En les regardant, j'ai pensé : « Qu'est-ce qui se passerait si ce type qui a fait ces trucs gores merdiques devenait dans mon film un présentateur de journal télévisé tout à fait sérieux ? » Il y a aussi une apparition de Leonard Maltin – qui avait pas mal critiqué le premier Gremlins – et qu'on fait mourir pendant qu'il critique le premier volet dans la suite. Tout était très « méta », si on veut.

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Il y a aussi cette fameuse scène où le film s'arrête et on voit apparaître Hulk Holgan dans une salle de cinéma.

Je voulais vraiment faire cette blague. La bande s'arrête et tout le monde dans la salle pense que ça arrive vraiment et, ensuite, le public voit les ombres des Gremlins sortir de la salle de projection. Le studio ne voulait pas vraiment le faire. Ils détestent lorsque vous rappelez aux gens qu'ils sont en train de regarder un film – même si Bob Hope et Bing Crosby n'ont cessé de le faire pendant des années. Ils voulaient que je coupe la scène au montage mais Spielberg leur a suggéré qu'on fasse une avant-première pour voir comment les gens réagiraient. Comme ça a super bien marché, ils l'ont laissée. Lorsque c'est sorti en VHS, on a fait un gag différent : la bande avait l'air d'avoir été grignotée par un Gremlin.

Spielberg vous a vraiment soutenu sur tous ces trucs.

À l'époque, c'était le réalisateur le plus convoité. Il contrôlait son succès et protégeait les autres réalisateurs. C'est rare les gens qui ont fait des trucs aussi différents – et aussi réussis – que Les Dents de la mer et ET au cours de leur carrière. La vérité c'est que si nous n'avions pas été réalisateurs, nous nous serions tous retrouvés à des congrès de science-fiction.

Je considère Gremlins 2 comme l'un des films les plus subversifs de toute l'histoire d'Hollywood. Vous en étiez conscient lorsque vous le tourniez ?

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Je ne suis pas sûr d'avoir eu le mot « subversif » en tête pendant le tournage mais j'étais très influencé par le magazine MAD et les comédies hollywoodiennes un peu absurdes genre, les Marx Brothers, W.C Fields, etc. J'aime jouer avec les genres et j'ai une sainte horreur des conventions.

Contre quoi vous vous battiez le plus ? Les suites exigées par Hollywood ou le pouvoir grandissant des médias ?

Hum, Hollywood ne m'a pas non plus forcé à faire une suite ; on a surtout fait ça pour se marrer. Les médias étaient en train de devenir « le futur » donc j'y ai accordé plus d'importance que dans le premier film. Par exemple, l'annonce « fin du monde » que diffuse Clamp dans le film est une réplique de l'enregistrement que Ted Turner avait préparé pour TBS en cas d'« attaque nucléaire ».

Attendez, vous êtes sérieux ?

Oui. Plusieurs sources internes ont confirmé son existence. Apparemment, c'est assez similaire à ce que nous avons fait pour le film. L'enregistrement existe probablement toujours, prêt à être utilisé.

De quoi aviez-vous peur au début des années 1990 ?

Le truc le plus effrayant par rapport au futur, c'est que, peu importe de quoi il sera fait, ce sera encore pire que ce que vous aviez imaginé. Malgré tout, il y a encore des blagues pertinentes dans Gremlins 2 ; il est même plus d'actualité que jamais.