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Culture

Une interview avec le plus grand spécialiste de Mad Max en France

Zed connaît tout sur votre film préféré – et est en train d'écrire un livre dessus.

Du fin fond de l'Ille-et-Vilaine où il réside, Seri Zed, rayonne sur l'univers en tant que spécialiste intergalactique de la saga Mad Max. On l'a rencontré il y a quelques années via le FIST – pour Films Insolites Séances Trash –, l'association d'utilité publique dont Le Cinéma est Mort fait partie et qui s'occupe de diffuser des films géniaux à Rennes, ville sinistrée cinématographiquement. Seri Zed est le graphiste de l'asso, et il fait un boulot formidable en designant des affiches géniales pour chacune des séances.

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Zed écrit également des articles pour la revue AAARG!, fabrique des t-shirts et a pondu une somme sur le meilleur cinéaste de droite du monde, John Milius. Mais plus que tout, il est le boss incontesté de la meilleure saga de l'histoire du cinéma.

Il a lu tout ce qui s'est écrit sur Mad Max, vu et entendu tout ce qui a été enregistré sur la tétralogie, ausculté chaque photogramme du film afin d'identifier la marque du pot catalytique de telle moto utilisée durant tel tournage, et surtout, il a rencontré au fil de ses voyages en Australie un grand nombre de protagonistes ayant participé de près ou de loin aux trois premiers films. Il a aussi passé au peigne fin le moindre lieu de tournage – au point d'en ramener un bout à la maison. C'est grâce à lui que je conserve donc chez moi un petit sac de sable plein de boulons rouillés prélevé à Silverton, lieu de tournage de Mad Max 2.

Suivre son blog et son Facebook durant les années de development hell du récent Mad Max Fury Road aura attisé chez les geeks les plus fragiles d'entre nous une attente insoutenable. En même temps, ça nous a bien aidés à démêler le vrai du faux parmi les différents articles de presse et annonces officielles. Mais surtout, Zed s'apprête à publier un livre qui compilera enfin le fruit de son travail d'investigation toujours en cours (il lui reste encore deux ou trois cantiniers à interviewer, et surtout Mel Gibson et le réalisateur George Miller). Ce n'est rien de dire qu'on attend ce bouquin comme le messie maintenant que Fury Road est sorti et que l'on a plus grand-chose à attendre de la vie.

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Zed sur les traces de Max, quelque part en Australie.

VICE : Tu m'as déjà dit que les Mad Max n'étaient même pas tes films préférés. Tu trouvais simplement « injuste » qu'il y ait très peu d'informations sur ces films.
Seri Zed : Non, il ne s'agit pas forcément de mes films « préférés ». Il y a des films que j'aime beaucoup, des chefs-d'œuvre que je regarde peu, et des films plus mineurs que je ne peux m'empêcher de voir et de revoir. Après il y a une liste de films qui m'obsèdent, les Mad Max, The Warriors, Terminator, Cannibal Holocaust, Crocodile Dundee, Conan ou les films de Stanley Kubrick.

Je me suis rendu compte que la littérature sur les Mad Max était déjà relativement vaste, surtout chez les Anglo-Saxons. De nombreuses personnes ont écrit sur la série, mais il manque cependant un ouvrage-somme qui capturerait l'histoire de la création de ces films – souvent plus rocambolesque que les films eux-mêmes – et analyserait les intentions des auteurs. Il existe aussi une masse de documents inédits, des photos de tournage notamment, qu'il serait bon de sortir de l'ombre.

Mel Gibson et George Miller sont à l'origine de la réussite des Mad Max et tu n'as pas encore eu l'occasion de le rencontrer. Quelle sera la première question que tu leur poseras lorsque tu les auras devant toi ?
Je garde les deux stars pour la dernière ligne droite de mon boulot. J'ai des idées pour arriver à les rencontrer, je ne m'en fais pas pour ça. Mais pas pour l'instant. Pour l'heure, je reconstitue un puzzle fait de milliers d'articles, de dizaines d'heures d'entretiens – une soixantaine d'interviews – et de kilos de documents en tous genres. Je suis donc bien plus stressé pour le boulot qu'il y a à abattre aujourd'hui. La première question que je leur poserai, j'aimerais donc beaucoup que ça soit : « Qu'est-ce que vous voulez boire ? »

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L'acteur Kjell Nilsson et George Miller sur le tournage de Mad Max 2.

En tant qu'archéologue de la mythologie Mad Max, as-tu un concurrent qui essaie de te griller toutes tes trouvailles ? Le propriétaire du Mad Max Museum, par exemple.
Non, pas du tout. Adrian Bennett, du musée Mad Max 2 à Silverton en Australie, est un ami. Il tient un musée qu'il a bâti de ses mains ; moi j'écris simplement un bouquin. Il m'aide énormément en m'apportant des infos, des documents, il me présente du monde et moi de mon côté je lui rends des petits services : de l'infographie, des visuels pour des cartes postales. Récemment j'ai passé une semaine à repeindre la façade de son musée. J'y suis allé trois fois, la dernière fois j'y ai passé un mois et demi et c'était une expérience passionnante.

C'est lors d'un de ces voyages que j'ai vu un gars, déguisé en méchant de Mad Max 2, se tuer en moto. C'était lors d'une soirée organisée sur l'un des lieux les plus emblématiques du tournage du film. Le mec était déguisé en Cobra Skin et a fracassé un camion Mack à plus de 150 km/h. La brutalité de l'événement a resserré les liens entre nous. J'ai vu dans le générique du film que Fury Road lui était dédié ; c'est vraiment quelque chose d'étrange, qui bouscule la fiction et la réalité.

Parle-moi de l'acteur français qui joue le personnage de Clunk dans Mad Max 1 – le plus taré de la bande de motards. C'était un mec de Picardie, qui serait aujourd'hui maire d'une ville australienne.
Il s'appelle Bertrand Cadart et non, il n'est plus maire de Bicheno. Mais il l'a été trois fois. C'est un bled magnifique qui s'étale le long de la côte est de la Tasmanie. Cadart est un motard un peu excentrique qui vit depuis des années en Australie et qui a bossé sur le carénage des motos du premier film. Il a également interprété Clunk, l'un des motards de la bande, celui qui chipe l'éléphant rose. Je l'avais interviewé par téléphone il y a trois ans. Je suis passé le voir chez lui en début d'année et j'ai eu le privilège de faire un tour dans sa voiture, une Pontiac Firebird Trans Am.

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La majorité des fans hardcore du film que j'ai rencontrés ne sont pas des cinéphiles ; ce sont tous des fans de voitures.

Selon toi, c'est cet amour pour les caisses qui fait des Mad Max des films typiquement australiens. Quel est le rapport des Australiens vis-à-vis de leur voiture ?
Miller a répété de nombreuses fois que si les Américains vouaient un culte aux armes à feu, les Australiens en vouaient un à la voiture. Pour les Australiens, la voiture représente le moyen de s'arracher de la petite ville isolée où ils grandissent. Et même si on n'est plus dans les seventies, à l'époque où les muscle cars et le pétrole coulaient à flots, la voiture et la mécanique restent au cœur de l'Australie rurale.

La majorité des fans hardcore du film que j'ai rencontrés ne sont pas des cinéphiles ; ce sont tous des fans de voitures. Ce sont des mécanos ou des motards qui vouent à ce film un culte quasi religieux. Ce culte pour le V8, on le retrouve littéralement dans le nouveau Mad Max. Cette importance vitale du véhicule, on ne peut que l'effleurer chez nous.

Zed en compagnie de Max Aspin, chef cascadeur de Mad Max 2, en février 2015.

La réussite des Mad Max , jusqu'à Fury Road, semble tenir pour une bonne part sur la force des cascades réalisées. J'ai cru comprendre que tu avais rencontré une bonne partie des cascadeurs des différents films.
Les cascades sur Mad Max 1 ont été réalisées de manière particulière, sous la houlette d'un chef cascadeur de légende, Grant Page. Ce mec, Hollywood n'a pas assez d'argent pour pouvoir adapter sa vie au cinéma. Il a creusé un tunnel dans son école lorsqu'il était gamin parce qu'il était fan de La Grande Evasion, puis il a été prof de physique, il a pêché le requin en haute mer, développé des techniques d'escalade pour l'armée australienne et est devenu cascadeur dans une flopée de films aujourd'hui oubliés.

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Le premier jour du tournage de Mad Max, Page s'est planté en moto alors qu'il se rendait sur le plateau avec l'actrice principale. Les deux ont eu une jambe brisée et l'actrice a culbuté Page qui s'est éclaté le nez sur sa moto. Il a dû bosser en enlevant et remettant son plâtre, deux larges sparadraps lui barrant le visage. Le mec qui joue le Nightrider – l'Aigle de la route dans la VF – ne savait pas conduire alors c'est Page qui, glissé entre lui et la fille, conduisait la Monaro ! Pour les besoins du film, Miller a embauché des bikers pour faire les figurants. Ils ont aussi effectué quelques cascades simples, payées à coups de packs de bières.

J'ai cessé d'espérer un Mad Max 4. Ce Mad Max crépusculaire que les fans attendent tous, je pense qu'on ne l'aura jamais.

Le chef cascadeur de Mad Max 2 , c'était le génial Max Aspin. Je l'ai rencontré récemment et alors qu'il me racontait comment chaque cascade avait été effectuée, j'ai remarqué que la plupart d'entre elles, finalement, avaient été ratées… À l'écran, elles rendent pourtant parfaitement. La cascade la plus incroyable du film reste la destruction du camion Mack, réalisée par le trucker qui avait été engagé pour conduire le matériel de Sydney jusqu'à Broken Hill, où le film a été tourné. Lorsque la production s'est rendu compte que Mel Gibson, à peine capable de conduire sa voiture, ne serait pas foutu de piloter un engin pareil, il s'est retrouvé engagé pour conduire le camion. Lorsqu'on lui a demandé s'il était capable de retourner le Mack et sa citerne, le trucker a dit oui, sans vraiment y penser. Quelques jours plus tard, il s'est retrouvé dans la cabine renforcée du Mack, à propulser l'engin hors de la route. À l'écran, la cascade est monstrueuse.

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Les cascades de ces films sont une combinaison de beaucoup de talent, d'énormément de courage et d'un peu de chance. Elles sont le pendant au culte du moteur. Construction et destruction des véhicules. C'est l'essence même de ces films, bien plus que les histoires des personnages.

Grant Page sur le tournage de Mad Max 1, peu de temps après son accident.

Qu'est-ce que tu as découvert en allant sur les lieux de tournages de ces cascades ?
J'ai surtout senti une ambiance, un rapport direct avec la nature et les paysages australiens qu'on ne peut pas appréhender lorsqu'on ne voit que le film. C'était comme voir au-delà du cadre. J'ai également visité la plupart de ces lieux avec des gens qui ont bossé à l'époque sur les tournages. J'avais donc en même temps une foule d'anecdotes qui enrichissaient les balades. Ce qui m'a le plus impressionné, c'est de voir qu'en plus de 35 ans les lieux n'ont absolument pas bougé. Les arbres ont grandi mais les clôtures ou les barrières que l'on voit dans la campagne du premier film sont toujours là. Les paysages du second et du troisième sont eux, carrément figés dans le temps. S'y balader, c'est littéralement se promener dans le film !

Fan art réalisé par Zed peu avant son visionnage de Mad Max Fury Road.

Dans ton bouquin tu veux aussi rendre à Byron Kennedy, le producteur exécutif des deux premiers films la place qu'il mérite ?
Sur Mad Max 1, l'importance de Kennedy est énorme. Il est entendu qu'il n'avait aucun rôle artistique sur le tournage, mais le film et sa grammaire si particulière en ce qui concerne les poursuites – angles de vue, cadres, utilisation de la musique – semblent bien avoir été travaillés en amont par le binôme. C'est évident lorsqu'on voit l'un des premiers courts-métrage tournés par Kennedy, sur une bande de gamins qui font une course-poursuite en caisse à savon. Tout est déjà là.

Il y a un livre à faire pour lui rendre hommage exclusivement, pour expliquer au monde quel vide il a laissé dans le cinéma australien suite à sa disparition tragique en 1983. Mis à part les deux Mad Max, il a produit un film étonnant : The Last of the Knucklemen. La production de ce film, tourné à Andamooka au fin fond de l'Outback australien (et là où était supposé être tourné Fury Road) est une histoire incroyable. Le tournage a été menacé par un gars du patelin qui voulait dynamiter l'équipe ; Kennedy dormait avec la paye et un flingue sous son oreiller.

Mais certaines autres personnes ont eu des rôles de premier plan dans la réussite des films : le directeur artistique du premier, le production supervisor du second… Sans eux, ces films ne seraient pas les mêmes. C'est l'un des buts que j'essaye de poursuivre dans mon bouquin, redonner à certaines personnes la part qui leur revient. George Miller est un génie, ça ne fait aucun doute, mais l'une des expressions de ce génie a été de choisir autour de lui les bonnes personnes.

Comment as-tu reçu Fury Road , après avoir passé trois ans à abreuver Internet de rumeurs et d'anecdotes à son sujet ?
C'était amusant de voir Fury Road, au bout de presque 15 ans d'attente. Je ne travaille pas directement sur le film, mais j'ai rencontré quelques personnes qui ont bossé dessus. Fatalement, ma première vision fut celle du deuil de toutes mes attentes – et la réponse à toutes mes interrogations.

Il m'a fallu attendre la seconde vision pour pouvoir voir Fury Road tel qu'il est et suivre son histoire. Je savais déjà que le film serait plus axé vers la SF et la fantasy que la trilogie initiale, et que l'histoire serait celle de Furiosa. J'avais donc cessé d'espérer un Mad Max 4. Lorsque Miller a déclaré qu'il n'était pas intéressé par réaliser son Unforgiven avec Max, la messe était dite. Ce Mad Max crépusculaire que les fans attendent tous, je pense qu'on ne l'aura jamais. Les prochains films vont être des défis incroyables, que ça soit le prequel autour de Furiosa, ou la suite des aventures de Max dans le déjà annoncé The Wasteland . Les films vont devoir s'affranchir de la trame classique « Max est hanté par les démons de son passé, il va réapprendre à vivre » et extirper la saga de cette ornière narrative. C'est un sacré challenge et je crève d'envie de voir où Miller va diriger ses films.

Les mecs du Cinéma est mort sont sur Twitter. Ils ont réalisé deux émissions avec Seri Zed en 2013 – vous pouvez les écouter ici.