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reportage

À la recherche d’un job : une matinée à Pôle Emploi

Entre des conseillers angoissés et des chômeurs médusés, j'ai creusé mon chemin parmi la précarité.

Photo via Flickr.

Aux dernières nouvelles, la France va mal. Malgré les récents et nombreux éclats médiatiques de la part du président François Hollande au sujet de la « reprise de la croissance ! » et de la « baisse du chômage ! », le fait est que l'économie française est en pleine récession. Au mois de juin 2016, Pôle Emploi faisait état de quelque 5 428 000 chômeurs de catégorie A, B et C, parmi lesquels 2 451 000 chômeurs longue durée. Le nombre de chômeurs dits de longue durée (sans emploi depuis un an et plus) a explosé depuis la crise économique de 2008 ; entre cette année et 2016, on note une augmentation vertigineuse de 151 %. Pour trouver un emploi ou une formation, toutes ces personnes se retrouvent parmi les interminables listes d'attente des quelque 900 agences Pôle Emploi de France. C'est dans l'une d'elles, près de la gare de Grenoble, que je me suis rendu.

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Si l'inénarrable France « Blacks-Blancs-Beurs » a perdu de son pouvoir fédérateur depuis la Coupe du Monde 1998, la salle d'accueil de Pôle emploi fait partie de ces derniers endroits multiculturels où Noirs, Blancs, Arabes, homos, trans, vieux, musulmans, cathos, handicapés et jeunes se retrouvent. Dans la misère, donc. Et pour reprendre le vieil adage de Sarkozy, il s'agit indubitablement d'une France « qui se lève tôt ». Il est 8 h 20 lorsque je rejoins cette foule qui, comme moi, cherche du boulot.

Le matin, comme à l'habitude, les conseillers sont à l'étage. Ils s'attellent à une réunion qui leur permet de se préparer collectivement à la journée. Dehors, par la fenêtre, les conseillers peuvent déjà apercevoir une dizaine de demandeurs d'emploi. Le soleil est levé, et les chômeurs sont là, à attendre leur heure. Je les vois trépigner. Certains fument une dernière cigarette. J'essaie d'aborder un homme, la cinquantaine, vêtu d'un survêtement Adidas élimé et d'une casquette délavée. Il me répond sans même parler, juste avec un sourire d'excuse.

Moi, j'ai une feuille dans la main. En noir et blanc, il y a inscrit ma (courte) vie. Celle de journaliste que j'essaie de créer. La fac d'histoire, une prépa, puis une école de journalisme. Et puis deux, trois autres trucs. J'ai essayé le travail en entrepôt, où palettes et cartons remplissent des racks à l'infini. J'aurais préféré lire les livres qu'ils contenaient, plutôt que de les soulever inlassablement. Comme beaucoup, j'ai aussi fait un petit tour en cuisine dans un restaurant. Le stress du rush, les serveurs débordés. J'ai fermé cette porte, pour en ouvrir une autre. Celle de l'agence Pôle Emploi.

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Les portes s'ouvrent, et je vois cet homme approcher de l'accueil. Face au conseiller, il lui est très difficile d'expliquer son souci : l'homme ne parle pas très bien français. Un traducteur improvisé, lui aussi demandeur d'emploi, intervient à la rescousse pour tenter de sauver la situation. « En général, les demandeurs d'emploi qui viennent le matin ont des soucis qu'on va essayer de régler », estime Mickael, conseiller Pôle Emploi.

Très vite, la file d'attente pour parler au conseiller s'allonge. Catherine, la quarantaine, est partie s'asseoir, respirer un peu. Elle a le visage défait. Elle vient pour un trop-perçu. « Pôle Emploi me demande de rembourser, et je ne sais juste pas comment faire », se désole-t-elle, depuis un an au chômage.

Sans surprise dans un endroit où se côtoient des gens à la recherche d'un job ou d'une indemnisation qui leur évitera de se retrouver à la rue, il arrive que des tensions fassent jour. L'équipe de l'agence, habituée à gérer les plus énervés, n'en souffre pas moins. Un bouton caché permet à chaque conseiller d'alerter ses collègues.

Mickael se souvient : « Dans mon cas, c'est parti une seule fois en couille. Ce n'était pas possible d'échanger avec le demandeur. Alors il a fallu le calmer avec le chef d'agence, dans une salle au calme. » D'autant que les problèmes sont souvent les mêmes. Radiations ou erreurs d'indemnisations. Pour le premier, des solutions peuvent être négociées. « À l'époque de l'ANPE, la radiation, c'était direct au premier rendez-vous manqué –même avec un justificatif », se rappelle François, un autre conseiller. « Alors que maintenant, il y a un avertissement. On est moins dur. » Pour le second, c'est une autre histoire. Une histoire liée à la création de Pôle Emploi.

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Photo via Flickr.

Avant 2008, deux agences aidaient les demandeurs d'emploi. L'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) était chargée d'aider la population à trouver un taf. Les Assedic, pour Associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, se chargeaient pour leur part d'indemniser les chercheurs d'emplois. En 2008, sous Sarkozy, les deux organismes ont fusionné. La nouvelle idée, c'est celle que le demandeur soit suivi par un seul conseiller, omnipotent, lequel peut, grâce à sa relation suivie avec ledit demandeur, régler tous les soucis.

Huit ans plus tard, le constat est beaucoup plus mitigé. Et seul un conseiller par agence reste spécialiste dans le secteur ô combien important de l'indemnisation. Le super-conseiller n'est pas arrivé. « Pourtant, l'une des premières choses que l'on fait lors d'une inscription à Pôle Emploi, c'est l'indemnisation du demandeur d'emploi. Ça permet de rassurer la personne », poursuit Mickael. « Ces problèmes sont difficiles à résoudre pour les conseillers. Les trop-perçus et les diverses indemnisations entraînent tout un tas de tracasseries » me dit François, un autre conseiller de l'agence. Parfois, cela se termine dans les larmes. Le plus souvent, une remise de dettes arrive à être négociée.

Autant être honnête : être conseiller cher Pôle Emploi n'est pas un travail spécialement rigolo. « L'un des chefs d'entreprise que j'ai rencontrés m'a dit cash : "je veux pas d'Arabes" ».

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De ce que je vois, il y a deux sortes de chercheurs d'emploi. Et tout se joue dans le regard. Les nouveaux ont presque un air de candeur. Certes, ils n'ont pas de travail – mais bon, Pôle Emploi est là justement pour trouver un job, non ? Et puis il y a les autres. Qui connaissent les lieux. Ceux-là ont un regard plus désespéré. Qui hurle les heures qu'ils ont déjà perdues ici, et qu'ils perdront encore. Dans leurs yeux, on peut lire toutes les questions qu'ils se posent : « Est-ce que tel problème, plus ou moins grave, finira par être résolu ? » ; « Vais-je enfin pouvoir être indemnisé ? » ; « Vais-je réussir à finir le mois ? »

Une mère de famille, d'origine africaine, se présente alors. Elle a ce regard-là. Son jeune fils, qui la suit, joue à Candy Crush sur son portable. Son tour vient. Puis c'est celui d'un jeune homme, en tongs et lunettes. Je le vois s'approcher d'une conseillère. Il avait l'air un peu trop motivé. « Vous ne pouvez pas encore vous inscrire. Vous êtes encore étudiant. Revenez nous voir en septembre », lâche la conseillère dans un sourire. Il n'a pas encore le droit de rentrer dans la cour des grands – celle des vrais chômeurs.

Dans un coin de cette agence trône une belle et désuète cabine téléphonique. Le fil pend mollement, triste de ne plus avoir été saisi depuis des lustres. Ce téléphone, réservé aux coups de fil pour trouver un taf, qui s'en sert en 2016 ?

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Car l'une des nouveautés de notre siècle, c'est Internet. Vous le savez sans doute, désormais, tout passe par le Web. C'est évidemment la même chose en ce qui concerne la recherche d'un emploi. L'inscription, la mise à jour de sa situation, les indications quant aux avancées éventuelles vis-à-vis de telle ou telle entreprise. Pour les gens nés avant les années 1970 ou 80 qui sont tout sauf des digital natives, il devient nécessaire de passer le pas. Sans surprise, tout le monde ne s'y fait pas.

Assise devant un ordinateur, une femme désespère, le regard dans le vague. « Je suis désolé, j'y comprends rien » se désole la dame, la quarantaine pimpante, à quelques mètres de moi. La conseillère venue à sa rescousse la rassure. Mais la femme se lève, puis s'en va. Malheureusement sans avoir réussi sa mission : imprimer un document. « Je reviendrai » glisse-t-elle, à peine convaincue. La conseillère, à l'écoute dans la salle, est elle-même embauchée dans le cadre d'un CAE, un Contrat d'accompagnement dans l'emploi, un nouveau dispositif de retour dans le monde du travail. La boucle est bouclée.

Après environ une heure à surfer sur les diverses propositions de jobs, je m'adresse enfin à un conseiller qui s'occupera de mon cas. Celui-ci ressemble selon toute vraisemblance à un conseiller, c'est-à-dire qu'il a l'air tout à fait normal. Au fil de la discussion, il m'explique être un « conseiller entreprise ». Il s'appelle Terry. Son rôle principal – en plus d'aider les gens à trouver un job – est donc de trouver de véritables débouchés pour les chercheurs d'emplois. L'intérêt pour l'entreprise, en contrepartie, c'est d'éviter de passer par des agences d'intérim, qui coûtent deux fois plus cher qu'un bon vieux CDD dégotté via Pôle Emploi.

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Autant être honnête : il ne s'agit pas d'un travail spécialement rigolo. « L'un des chefs d'entreprise que j'ai rencontrés m'a dit cash : "je veux pas d'Arabes" » s'étrangle le conseiller. Le but de la manœuvre, pour Pôle Emploi, c'est d'avoir à disposition un pool d'entreprises qui recrutent réellement. L'idée est d'accélérer au maximum le processus d'embauche. « On met trop de temps pour placer les gens ; c'est notre problème principal à Pôle Emploi », continue-t-il. Du coup, pour inverser la courbe du chômage –promesse de campagne érigée tout en haut des priorités de François Hollande –, Pôle Emploi fait tourner à plein la formation.

Mickaël, le conseiller, m'explique : « Quand les chômeurs sont en formation, ils sortent de la catégorie "chercheurs d'emploi" ». Être chercheur d'emploi, c'est appartenir à la fameuse catégorie A, celle des chômeurs dits inactifs, et c'est celle qui est analysée tous les mois, par tous les médias, pour savoir si le pays va bien. Comme à peu près tout en politique, il s'agit d'une combine. Celle-ci semble un peu grosse, mais a l'air de marcher.

Il est midi. La fin de la période d'accueil approche. Les conseillers viennent aborder leurs derniers rendez-vous de la matinée. J'en fais partie. Il s'agit de ma toute première inscription à Pôle Emploi. Avec la conseillère, on fait ensemble le tour de mes expériences. Elle note mes envies sur une feuille. À la question « Cherchez-vous un job dans la France entière ? », je réponds non. La conseillère lève un sourcil. Dans un chuchotement, elle souffle : « Eh bien, ça va pas être facile. » J'en conviens. Puis un coup de fil nous interrompt. On perd le fil de l'histoire. Je suis son cinquième rendez-vous de la journée. La femme assise devant moi semble exténuée.

Après avoir bouclé le dossier, une erreur apparaît. Moment de panique. La conseillère se prend la tête dans les mains, affolée : toutes les infos notées viennent manifestement d'être supprimées. Elle me regarde. « C'est pas ma journée », conclut-elle.

Jean-Baptiste est sur Twitter.