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Musique

Une micro-anthologie du twerk à destination des débutants en vulgarité

Fin février, une chaîne de télé de San Francisco rapportait avec indignation les événements survenus lors d'une soirée d'ados dans une boîte de nuit du coin. Ceux-ci dansaient en effet en « simulant des rapports sexuels ».

Fin février, une chaîne de télé de San Francisco rapportait avec indignation les événements survenus lors d'une soirée d'ados dans une boîte de nuit du coin. Ceux-ci dansaient en effet en « simulant des rapports sexuels ». Le journaliste s'était dit « outré » de voir une boîte de nuit remplie de kids en train de baiser tout habillés, rapportant que ces mouvements étaient « dangereux pour la jeunesse » et qu'il trouvait tout ça « absurde et vulgaire ». Le journaliste parlait en réalité du « twerkin' », ou plus précisément du « twerking » avec un G, comme il a pris plaisir à le prononcer. C'est donc par cet événement journalistique qu'aujourd'hui, tous les parents de Californie connaissent le twerk et son dérivé salace, le « pussy poppin' » (littéralement, « remuer de la chatte »).

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Les vieux voient aujourd'hui dans le twerk un nouveau phénomène, une perversion des innocents qui fera de chaque homme, femme et enfant un vampire dépravé assoiffé de sexe anal. Les jeunes, qui ont passé leur vie dans un monde où des milliers de fesses remuent chaque jour sur Internet, croient de leur côté que l'idée de danser comme une dépravée en public a été popularisé par The Twerk Team – ou inventé par Diplo sur Twitter. Eh bien, non. Ces deux derniers ne sont que les dernières étapes d'un processus de près de trente ans qui a fait entrer le claquage de fesses, le booty shake et le wobble dans la pop culture américaine. Il s'agit en réalité d'une appropriation culturelle directe qui nous mène des pré-twerkeurs de la fin des années 1980 à aujourd'hui, où des nanas lambda shakent sauvagement leur cul en plein milieu de l'Iowa.

LES PRO-TWERKEURS, LE GO-GO ET LES GROSSES FESSES DE KEESHA

La première étape de ce cours d'histoire est – et c'est tout à fait arbitraire – une vidéo de Spike Lee de 1988. Yep. Il y a longtemps, le même gars qui aujourd'hui s'emporte contre Django Unchained a tourné le clip d'un morceau de Experience Unlimited, « Da Butt ». Vous avez déjà dû entendre « Da Butt » : c'est un hymne aux fesses aussi inoffensif et catchy que « Baby Got Back » de Sir Mix-A-Lot, dans lequel ne subsiste plus le moindre vestige de sexualité. Ce morceau aussi paraît débile aujourd'hui : on pourrait la passer dans un mariage que ça ne choquerait personne.

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Ce qui rend ce morceau et son clip si importants, c'est qu'ils ont offert une diffusion nationale à la culture universitaire noire et à la danse booty-centrée par l'intermédiaire de la go-go, un sous-genre musical de la région de Washington. Mais alors que la go-go n'a jamais percé à l'échelle nationale, ce morceau a atteint la 35ème place du Billboard, à une époque où ce genre de classements avait encore une signification. Le clip fait la part belle aux fesses démesurées et aux longs plans de culs surmontés de shorts en lycra. « Da Butt » a introduit la culture des frats noires dans les foyers de gens qui  ne connaissaient rien aux Noirs. Dans le clip, les fesses remuent sagement. Mais si vous étiez à Washington à ce moment-là, vous auriez su que les soirées go-go étaient déjà bien avancées dans l'art de l'exhibition pure et du p-poppin'.

2 LIVE CREW – LES MARTYRS DU TWERK

Nous voici en 1991 et 2 Live Crew entrent en scène. Le groupe parle essentiellement du fait de baiser des p'tites louloutes sur des plages de Miami. On les catalogue comme « obscènes », les membres du groupe se font sucer sur scène, arrêter puis envoyer devant la Cour Suprême – et ils ne sont pas condamnés, Dieu soit loué. 2 Live Crew prennent alors la tête de la scène Miami Bass. Comme Miami a une plage de dingue, les filles sont en bikini et comme les filles sont en bikini, les chansons parlent de baiser après avoir enlevé leur bikini.

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Le clip de « Pop That Pussy » est connu pour être l'une des premières vidéos de pussy poppin' distribuées à l'échelle nationale. Rappelez-vous qu'on est toujours en 1991. Pour situer, c'est cette année-là que Michael Jordan gagne son premier championnat NBA et que Beverly Hills passe toujours à la télé. Ceci explique pourquoi, dans le clip, beaucoup de filles portent ces maillots deux-pièces qui font des fesses longues à n'importe quelle meuf et qui ont disparu de la circulation depuis 15 ans. De même, leur flow est catastrophique, parce qu'à l'époque, le rap est encore un truc nouveau et que de toute façon, personne ne sait encore rapper.

LA MARRAINE DU P-POPPIN'

Toute discussion sur le fait de remuer ostensiblement ses fesses de façon coordonnée doit obligatoirement s'attarder sur la culture caribéenne. De la même manière qu'en Asie, on sait donner des coups de pied, aux Caraïbes, on sait hypnotiser le spectateur avec des mouvements de hanches et des fesses qui bougent indépendamment l'une de l'autre. Quand Patra a sorti son premier album Queen of the Pack en 1993, celui-ci s'est bien vendu, et pour cause : on aurait dit du dancehall jamaïcain mélangé à de la trance albanaise.

Patra se distinguait de la majorité de ses contemporains pour cette raison : c'était une femme. Le clip de « Queen of the Pack » affichait Patra et ses amies, winant tous azimuts dans des shorts ras-la-teuch et exécutant des mouvements très banals pour n'importe quel caribéen de moins de 40 ans. On retrouve les germes de Beyonce, Ciara et Rihanna dans les déhanchés de miss Patra. De même, il est facile de faire le lien entre les mouvements giratoires du twerk d'aujourd'hui et la culture ragga des années 1990.

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FREAKNIK

Entre 1992 et 1996, pendant la troisième semaine du mois d'avril, Atlanta devenait le capitale mondiale du claquement de fesses et du pussy poppin'. L'état d'esprit des fêtes universitaires régionales – déjà timidement représenté dans le clip de « Da Butt » – avait commencé à se propager à travers le pays, s'était intensifié, et prenait dès lors des proportions astronomiques. On a appelé ça le « Freaknik ». L'énorme impact du Freaknik dans la région a créé une atmosphère d'hédonisme sauvage de la Géorgie jusqu'au Texas. Les documents sur le sujet sont rares (parce que les caméras étaient encore des gros trucs relou qui coûtaient cher), mais pour les hommes et les femmes aujourd'hui âgés de 35 à 45 ans, le festival est resté dans leurs cerveaux, toujours vivant, érigé au rang de mythe. Le Freaknik a ouvert la voie à ces trucs type Girls Gone Wild, et a poussé tous les rappeurs d'Atlanta à faire des morceaux pour les stripclubs en bas de chez eux. Comme disait Belinda Carlisle, « le paradis existait et il était sur Terre ». Il s'appelait Freaknik.

« AFTER YOU BACK IT UP, THEN STOP… AND DROP IT LIKE IT'S HOT »

La Nouvelle-Orléans est aussi importante que les Caraïbes dans l'expansion du booty shake sur le continent américain. N'oubliez pas que Juvenile a écrit « Back That Azz Up », « Slow Motion » et « She Get It From Her Mama », autant de morceaux qui incitaient les auditrices à baisser leur cul et à le remuer – lentement, puis rapidement, puis lentement à nouveau – dans tous les sens. Dans le bounce, style de musique originaire de La Nouvelle-Orléans, il est exclusivement question de remuer les fesses aussi énergiquement, violemment et acrobatiquement que possible, et cette tradition s'est perpétuée dans tous les styles musicaux du coin, mais surtout dans le rap des labels No Limit et Ca$h Money. Avec des titres comme « Back That Azz Up », classique instantané de 1998, et le « Wobble Wobble » des 504 Boyz de Master P, les fesses cajuns qui remuaient à 200 à l'heure se sont retrouvées partout sur MTV et donc, dans chaque chambre d'ado du pays.

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L'ASCENSION D'ATLANTA

Au même moment, on a assisté à l'émergence de la culture stripclub d'Atlanta par l'intermédiaire du BET's Uncut, une émission du début des années 2000 diffusée entre 23h et 3h du mat' qui refusait de censurer quoique ce soit. Des morceaux comme « Tip Drill » de Nelly (un classique de l'émission, bien que Nelly soit originaire de St Louis) introduisaient les strippers et leur manière distincte de remuer les fesses en ouvrant et fermant leur orifice vaginal. La version non-censurée de « Tip Drill » (encore plus abusée) atteignait un niveau de cinéma-vérité jamais vu depuis les débuts du mouvement Dogme95. Rien qu'en regardant la vidéo, vous pouviez presque sentir l'arôme caractéristique des stripclubs américains (ce mélange de parfum bon marché, de talc, de sueur et de capitalisme décadent). Mais niveau cours accélérés sur les techniques contemporaines de twerk, il y a eu bien pire que « Tip Drill » – notamment les clips de « Pussy Poppin' » de Ludacris ou de « Get Low » de Lil' Jon. À ce stade, le twerk faisait partie intégrante de la culture américaine, même s'il n'avait toujours pas de nom.

LE PROBLÈME DE NOMMER CETTE PRATIQUE

Quand 2003 est arrivé, l'influence du twerk est devenue si palpable que vous pouviez en apprendre les bases même en habitant quelque part dans les grandes plaines kazakhs ou en plein désert de Gobi. Le seul problème : vous ne pouviez pas nommer ce que vous faisiez.

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Alors, oui, le « pussy poppin' » décrivait précisément ce dont il s'agissait, mais c'était d'une part très vulgaire et d'autre part, très plat. Le terme « twerkin' » est un peu plus agréable en bouche. La datation au carbone 14 situe la genèse du terme « twerkin' » quelque part aux environs de 2004. Le terme s'est vraiment popularisé en 2009 lorsque le crew Twerk Team est apparu. La dernière recherche du terme « twerk » sur Google fait état de plus de 100 000 occurrences, et ce, rien que sur Youtube. Sans parler des sites entièrement dédiés à cette forme d'expression corporelle. Cette popularité prouve deux choses : premièrement, comme le savent les vieux mages et les philosophes, le simple fait de nommer les choses leur confère un réel pouvoir. Avoir un nom aide à la diffusion et à l'unité d'un mouvement. Et deuxièmement, les fesses qui remuent sont une constante universelle de joie et d'accomplissement personnel qui ne sont pas prêts de disparaître. Que le dieu des fesses nous en préserve.

Ray the Destroyer est l'auteur du Mishka blog, et est reconnu comme le premier historien du twerk de toute l'histoire d'Internet. Vous pouvez aussi le trouver sur Tweeter à cette adresse : @raythedestroyer.

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