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Une semaine de ma vie avec un tatouage sur la gueule

Il y a quelques années, j’étais allé rendre visite à une amie dans sa friperie, quand un type avec des tatouages faciaux est entré pour lui demander la monnaie sur un billet de dix.

Il y a quelques années, j’étais allé rendre visite à une amie dans sa friperie, quand un type avec des tatouages faciaux est entré pour lui demander la monnaie sur un billet de dix. Laura, qui est habituellement la fille la plus gentille du monde, lui a répondu d’aller se faire enculer et de se tirer de sa boutique. L’individu aux tatouages et moi nous sommes regardés bizarrement. Je lui ai par la suite demandé ce qui avait provoqué cette réaction. Elle m'a dit : « Les tatouages faciaux, c’est comme se mettre volontairement à l’écart de la société. Ce mec voulait que je le foute dehors. » J’avais tendance à être d’accord avec elle la plupart du temps (notamment parce que je voulais la pécho), mais cet incident m’a fait réfléchir. Les gens avec des tatouages faciaux souhaitent-ils vraiment se faire traiter comme de la merde ? La réponse est évidemment « non ». Cependant, je me devais de découvrir la vérité par moi-même. Quand VICE m’a demandé de me trimballer avec la tronche d'un guerrier maori pendant une semaine, j’ai sauté sur l’occasion. LE TATOUAGE En premier lieu, il fallait que je trouve quelqu’un qui soit capable de me faire ça. Je suis tombé sur Rachel Renna, maquilleuse de cinéma, qui a gentiment accepté de venir chez moi me faire un faux tatouage tribal sur le visage. Un faux, mais qui ressemble à un vrai. Elle m’a ensuite prévenu que ce « tatouage » durerait aussi longtemps que je le voulais – si je l'arrangeais un peu tous les jours – et que la seule façon de le faire partir serait de l’alcool à 90°. Pour information, je n’ai aucun tatouage, et je n’en aurais probablement jamais. Pas parce que je n’en veux pas, ni parce que je n'ai pas les couilles, mais parce que si je m’en fais faire un, je ne saurai probablement jamais m’arrêter et je terminerai comme ce type qui ressemble à un chat. Ce qui aurait été parfait si j’avais décidé de ne plus jamais avoir de relations sexuelles de ma vie. Rachel est arrivée chez moi et s'est mise à dessiner le tatouage. Mes colocataires, amassés autour d’elle, se foutaient de ma gueule. J'étais super gêné. On a tous une certaine vision de sa personne, et la mienne n’a jamais porté d’encre de chine sur la gueule. Les types qui font ça pour de vrai doivent avoir des égos surdimensionnés, ou pas d’égo du tout. LES PREMIERS JOURS Quand on a un tatouage facial, les gens vous regardent de deux façons différentes :
soit ils vous fixent longuement, soient ils baissent le regard. Quand ils baissent les yeux, je sentais qu’ils se disaient « Faut pas que je le regarde, faut pas que je le regarde ! » Mais quand quelqu’un me regardait longuement, je sentais que son regard signifiait qu’il voulait me gueuler dessus ET me péter la gueule. Dans les deux cas, je me sentais très mal à l’aise, j'avais l'impression d'être mis à l’écart de la société. J’ai passé le premier jour à aller voir mes potes. Leurs réflexions à propos de mon tatouage allaient de « Tu as ruiné ton beau visage » à « Tu as ruiné ta vie ! » Les passants me fixaient, peu importe où j’étais. La pression fut telle que je suis rentré chez moi et je me suis enfermé dans ma chambre à la manière d'une petite merde de 14 ans. J’ai reçu un texto de mes amis qui m'invitait à les rejoindre dans un bar, et, pensant que quelques pintes me permettraient de changer d’air, j’ai bougé ma face tatouée et les ai rejoints. Je ne me souviens pas vraiment de cette soirée, mais je me souviens très bien du type devant le bar qui s’est exclamé : « Putain, c’est Mike Tyson ! » Le matin, en me réveillant, je ressemblais en tous points à un tigre du Bengale. Le maquillage s’était à moitié barré, le truc était encore plus dégueu qu'en temps normal. Le front et le nez étaient presque effacés à cause de la sueur d’alcool de la nuit dernière, et j’ai donc dû demander à ma copine de réparer le tout. Elle a réussi à sauver les joues et les tempes, et on a tous deux dû reconnaître que je ressemblais désormais tout à fait à Mike Tyson s’il était blanc, maigre, roux et Canadien. AU BOULOT Je fais des extras en tant que serveur dans un petit restaurant. J’avais prévenu ma supérieure à propos de mon tatouage, pour savoir si elle acceptait que je vienne travailler. Elle m’a répondu qu’elle s’en foutait, tant que je ne me ramenais pas avec une bite tatouée sur la gueule. Elle a ajouté que si le patron découvrait ça, il me renverrait chez moi. Pour être franc, j'entretenais l’espoir secret de me faire virer.              Certains clients m’ont ignoré, mais pas loin d’une douzaine de tables ont engagé la conversation avec moi. Deux femmes d'une quarantaine d'années ont levé les yeux au ciel en me voyant arriver : « Je me demande quelles idées tordues lui passent par la tête. » Je les sentais me déshabiller du regard, et rien que de passer près d’elles me rendait nerveux. Un autre type m’a lancé un high-five en me disant : « Bien joué. Ta vie est maintenant une putain de blague. »
J’ai finalement réussi à ne pas me faire virer, ce qui contrariait légèrement mes plans, parce que j’avais passé le jour précédent à envoyer des CV pour d'autres petits boulots de serveur. Un restaurant m'avait même rappelé et donné rendez-vous pour un entretien. Le jour dit, je me suis levé tôt, j’ai mis ma plus belle chemise, et je me suis préparé à un entretien d’embauche dans un resto chic du centre-ville de Toronto. En arrivant, mon nouvel employeur potentiel a soupiré et m'a fixé longuement, avant de me prier de m’asseoir. Il a jeté un œil sur mon CV pour me rappeler que j’avais une longue expérience dans la restauration, ce à quoi j'ai agréé d’un hochement de tête. Il me demanda si j’étais meilleur au bar ou en salle. Plein de confiance en moi, je lui ai répondu que j’excellais dans les deux disciplines. Ma réponse fut suivie d'un « Bien, on vous rappellera. » Il m’a raccompagné vers la porte, je l’ai remercié pour le temps qu’il m’avait accordé, et lui ai serré la main. En tout, l'entretien avait duré moins de cinq minutes. Étonnamment, il ne m’a jamais rappelé. LES DERNIERS JOURS Ma copine a fini par m’avouer que le tatouage commençait à affecter les sentiments qu’elle avait à mon égard. Ça m’a foutu en rogne, on s'est s’engueulés, et j’ai fini par éclater de rire en m’exclamant : « Je suis toujours le même À L'INTÉRIEUR ! » Ce qui était évident, mais tout de même bon à rappeler en ces temps difficiles.
J’ai décidé que ce tatouage ridicule n’aurait pas raison de mon équilibre mental, et que j’allais devoir me reposer un peu. Je suis allé rendre visite en banlieue à mon cousin et à sa fille d’un an, Ariyah. Ariyah est adorable, et je me sens toujours bien, requinqué après avoir passé un peu de temps avec elle. À la seconde même où elle m’a vu, elle s’est mise à pleurer. Ce triste événement s'est étendu durant toute ma visite. Je suis à peu près sûr de l'avoir traumatisée à vie. Quand elle sera plus vieille, elle ne pourra plus me faire confiance, mais elle ne saura même pas pourquoi. Résigné à vivre dans le ridicule, je suis allé boire un verre avec des potes. On s’est assis, puis une tablée de nanas de l’autre côté du bar a commencé à me fixer, assez longtemps pour me mettre mal à l’aise. Je les ai donc fixées en retour. Une des filles s’est levée, s’est approchée de moi et m’a lancé : « C'est pas un vrai ? » Fatigué de ce genre de conversation, mais pas assez pour y couper court, j’ai répondu : « Si, c’est un vrai. » « Tu n’as pourtant pas l’air d’un junkie. Tu n’es pas le genre de personne à porter ces tatouages de clodos. » Elle insistait fortement pour toucher mon tatouage, et s’est mise à vouloir de le toucher de force. J’ai vaguement essayé de résister, mais vous savez comme moi que l’alcool décuple la force de toutes les filles. J’ai dû abdiquer, et la laisser me toucher le visage. Le maquillage tenait très bien, il n’a même pas bougé d'un pouce. Elle a fixé son doigt, reculé d’un pas et s’est exclamée : « Mon Dieu. » Elle est allée aux toilettes et est revenue avec une serviette humide destinée à enlever le tatouage de mon visage. Pour éviter le carnage, j’ai dû admettre ma défaite, et lui avouer que le tatouage était faux. CONCLUSION Je dois reconnaître qu’avoir un motif tribal dessiné sur le visage était assez con pour devenir marrant, et que les jours après l’avoir effacé, j’avais l’impression d’être nu, de ressentir un manque. Ceci dit, je n’ai pas croisé une seule personne au cours de cette semaine qui m’ait donnée une bonne raison de ne pas avoir de tatouage facial. Je n’avais plus l’air invisible, tout le monde me remarquait, voulait interagir avec moi, ou me payait des coups en se marrant de ma décision d’avoir gâché un si beau visage pour toujours.
Le truc relou bien sûr, c'est qu'il devient impossible de trouver un job, et vos relations avec votre copine risquent de se dégrader à une vitesse que vous n'auriez jamais soupçonné. Mais le plus dur dans le fait d’avoir un tatouage facial reste sans aucun doute le fait de devoir expliquer pourquoi vous avez pris cette décision stupide à toutes les personnes que vous croiserez.