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Culture

Les Reviews de VICE, octobre 2016

Retour sur l'affaire Xavier Dupont de Ligonnès, surf et oï! française : notre sélection des meilleurs trucs sortis le mois dernier.

Cet article est extrait du numéro du « Jour malade »

London Overground
Iain Sinclair
Éditions inculte/dernière marge

J'ai failli ne jamais terminer London Overground. À l'image de tous les êtres feignants qui pullulent au sein d'une génération pour qui le goût de l'effort ne peut être que rance, j'avais décidé que ce livre ne méritait pas mon temps. Excessif dans son évocation de lieux qui me sont inconnus, aride dans sa description d'une désolation urbaine qui n'est pas mienne. J'étais face à un bloc, un monstre chronophage qui se contentait d'aspirer mon existence pour mieux révéler mon amateurisme, ma perfectibilité – et, plus cruel encore, mon ignorance.

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On a coutume de dire que pour être un journaliste hors pair, il faut savoir s'effacer devant le thème évoqué. Ça tombe bien, comme je n'ai jamais prétendu être un journaliste hors pair, je vais vous parler de ma mère plutôt que de London Overground.

Tout d'abord, sachez que ma mère n'a jamais levé la main sur moi. Le moi-enfant, calme, s'est peu à peu évanoui devant le moi-adolescent, tout aussi calme – d'aucuns diront «chiant». Ma mère, consciente d'avoir un fils plutôt bon à l'école, n'a jamais cherché à me mettre une quelconque pression. J'ai progressé jusqu'à atteindre un âge où la concurrence était telle qu'il me devenait impossible de passer mes journées à buller.

Je me suis donc mis à enchaîner les livres, à combler mes insomnies en matant quatre films par jour. J'étais saoul de nouvelles références, écartelé par les différentes idéologies qui s'offraient à moi, ivre de connaissances pédantes; j'étais, en quelques mots, dans le moule universitaire français. Les années ont passé, l'enivrement littéraire également. Aujourd'hui, ne demeure qu'une seule envie: bouquiner par plaisir, sans tomber dans les deux abîmes que sont la lecture méprisante – « quoi, tu n'as pas lu le dernier Franzen ?» – et l'hémiplégie intellectuelle – « attends, tu lis Le Camp des saints, là ? »

Ma mère, elle, a toujours lu – sans doute parce qu'elle saisissait l'importance du retrait face à la marche tonitruante d'une société qui, hormis du bruit et de la merde, ne fait plus rien jaillir de ses entrailles. C'est en l'observant que j'ai réalisé qu'un lecteur devait, pour paraphraser le trop-paraphrasé Philippe Muray, s'inscrire dans le sens contraire des aiguilles du monde.

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C'est là que j'en reviens à Iain Sinclair. Poète, romancier et parfois cinéaste, ce natif de Cardiff s'est fait connaître en France avec London Orbital. Cette vaste rêverie d'un promeneur solitaire parcourant la M25 – l'autoroute qui encercle la capitale britannique – lui a permis de saisir l'esprit d'une époque qui superpose supermarchés impersonnels et stations-service lugubres. Livre se réclamant de la psychogéographie, il a été célébré comme étant l'un des grands bouquins anglais du début du siècle, et considéré comme une porte d'entrée dans l'œuvre d'un auteur longtemps jugé hermétique.

Hermétique, London Overground l'est lors de ses 50 premières pages. Et c'est là que j'ai repensé à ma mère, à ses lectures et au fait qu'elle finissait toujours ses livres. Sans doute avait-elle un trait de caractère dont plus personne ne se réclame aujourd'hui: le goût de l'effort.

Continuellement opposé au plaisir, le labeur n'a pourtant rien d'antinomique – il en est la condition première. Se contraindre à lire est encore le meilleur moyen d'être ballotté hors de sa zone de confort. C'est ce qui m'a permis d'accéder à Chris Marker, Throbbing Gristle ou David Foster Wallace. C'est ce qui m'a permis d'achever London Overground après avoir parcouru d'une traite les 200 dernières pages, digressions sur une capitale qui s'efface en ensevelissant son passé sous de multiples couches de nouveautés – toujours belles, toujours progressistes – dont la dernière n'est autre qu'un réseau de transports en partie aérien : le London Overground. Contraignez-vous. Lisez ce livre. — ROMAIN GONZALEZ

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Le Disparu
Anne-Sophie Martin
Ring

L'histoire, celle d'une famille qui s'évapore, est désormais bien connue. En ce printemps 2011, près de vingt jours après leur disparition, cinq corps floqués d'ornements religieux sont découverts dans le jardin d'un pavillon nantais. Seul à manquer à l'appel : le père, Xavier Dupont de Ligonnès, vite devenu le principal suspect de la tuerie. Pour quelle raison ce commercial élevé dans des valeurs rigoristes, aussi rigide et suffisant que souriant et aimant, a-t-il décidé de flinguer sa famille entière ? Comment a-t-il pu imaginer un scénario et une mise en scène aussi incroyables qu'effroyables ? Et surtout, qu'est-il devenu ? Anne-Sophie Martin a replongé dans les détails de l'affaire et tenté de décortiquer la personnalité complexe de l'homme, toujours introuvable. Persuadée qu'il est encore en vie, elle explique à Ouest-France : « Son passage à l'acte est tout sauf celui d'un suicidaire. Il s'applique à effacer les traces, à mettre en scène sa disparition… Un peu comme l'Américain John List qui a tué toute sa famille et refait sa vie ailleurs. » Peu avant les faits, Ligonnès prévenait : « Personne ne pourra me retrouver. » Cinq ans après, force est de reconnaître qu'il avait raison. GLENN CLOAREC


Surfing, de 1778 à nos jours
Jim Heimann
Taschen

« Au début, il s'agissait juste d'être capable de tenir sur un morceau de bois en étant poussé par une vague ; aujourd'hui, le surf est un sport international envahi par les compétitions », embraye Jim Heimann. Dans son nouvel ouvrage, l'anthropologue retrace plus de 200 ans de surf culture, depuis sa découverte par James Cook à Hawaï jusqu'au phénomène qu'il représente aujourd'hui. Aussi lourd que les plus lourdes des boards modernes – 6,4 kg –, le livre s'articule tel le récit d'un long surf trip à travers le temps. Après avoir nécessité plus de trois ans et demi de recherches, il forme l'un des témoignages les plus complets sur cette discipline et rassemble 900 photos. Alors que le surf fera son apparition aux prochains Jeux olympiques, risquant ainsi de dénaturer quelque peu l'esprit qu'il transmet, Taschen rend là le plus grand des hommages à ce « sport royal pour les rois naturels de la Terre », comme le qualifiait Jack London. « Si l'on met à part le côté divertissant évident du surf, c'est plus le fait d'être en communion avec la mer, notre mère à tous, qui nous pousse à plonger et replonger encore dans ce monde liquide », explique Heimann. — GLENN CLOAREC

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RIXE
Les Nerfs à vif
La Vida Es Un Mus

À l'heure où nombre de groupes français font le choix du gentil niais, optant pour des noms tels que Petit Biscuit ou Pirouettes, d'autres groupes revendiquent l'inverse et s'appellent Coupe Gorge, Traître ou Rixe. Ils ont sensiblement le même âge mais comme ils ont des opinions antagonistes à propos de tout, ils ont choisi le langage de la violence. Qui a tort ou raison ? On s'en tape. « J'veux pas crever mais juste rêver / Même dans la chute il faut avancer / Tout divise, mon cœur balance / Il bat toujours en France » hurlent Rixe dans « Hexagone », morceau hommage au pays pété qui les a vus naître. Ça sonne un peu comme du Renaud mais c'est surtout la meilleure chanson post-13 novembre jamais écrite et le titre d'ouverture de Les Nerfs à vif, leur deuxième EP après Coups et Blessures. Refrains coups de poings, lyrics de rue, musique-marteau, ces quatre morceaux sont encore plus fédérateurs, synthétisant ce que la oï ! française a fait de mieux, de Hard Times à Komintern Sect en passant par Camera Silens. Le trio perpétue l'agression en musique, inventée par la deuxième génération de skinheads anglais, pas politisés, pas concernés. En gros : juste là pour vous faire chier. ROD GLACIAL


RAE SREMMURD
SremmLife 2
Interscope

Il y a deux jours, je discutais avec un ami également auditeur de rap d'à quel point le nouvel et second album de Rae Sremmurd s'apprêtait à devenir un classique oublié. Je disposais pour étayer ma thèse d'un bon argument : mon interlocuteur lui-même ne l'avait pas écouté. En effet, au contraire du premier album porté par le tube intersidéral « No Flex Zone », SremmLife 2 ne possède pas de hit à la fois générationnel et planétaire et immédiat et putain de fantastique de ce niveau, mais se « contente » d'enchaîner les simples tubes avec une facilité déconcertante – mais de fait, personne ne sait que l'album est sorti. Au premier abord pourtant, tout colle : les frères Slim Jxmmi et Swae Lee ont toujours les mêmes blazes comiques. Deuxième point : Mike Will continue à leur fournir des beats de frat-rap 100 % certifiés sympa, quoiqu'un poil plus atmosphériques que le précédent essai, puisque l'influence de Young Thug a laissé des traces partout, même dans leurs cerveaux exceptionnellement pourvus en sérotonine. Enfin, écoutez « Real Chill », puis « By Chance », comparez-les objectivement à la dernière tape de Young Thug, et réalisez que vous êtes dans l'erreur. — JULIEN MOREL