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Culture

Welcome to New York est-il encore plus pété que Kopp, le film inspiré de Booba ?

Un comparatif des deux films les plus étranges de ce mois de mai.

Depuis un peu plus de deux semaines, les internautes peuvent se procurer Welcome to New York – le film du réalisateur Abel Ferrara inspiré de l'affaire DSK – en VOD. Quatre jours après sa mise en ligne, le film avait déjà trouvé plus de 100 000 acheteurs. Leurs réactions se sont avérées plutôt extrêmes, oscillant entre le dégoût total et la critique élogieuse, évoquant parfois une simple incompréhension quant à l’intérêt du film et l’implication de Gérard Depardieu dans ce projet.

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Après avoir visionné ce film catastrophique, j’ai vite réalisé qu’il était inutile de s’étendre dans une analyse verbeuse et inutile –

n’est rien de plus qu’une version VIP de Kopp, le street film qui retrace la vie du rappeur Booba sans s'appuyer sur grand chose de concret, pour un résultat souvent drôle tant il confine à l’absurde. Remplacez Booba par DSK et vous obtiendrez à peu de chose près le long-métrage de Ferrara. D’ailleurs, on a le même dilemme quant à la nature du projet. S’agit-il d’un biopic fauché involontairement drôle ou d’un foutage de gueule prémédité ? Faisons les comptes.

BIOPIC FAUCHÉ INVOLONTAIREMENT DRÔLE

Le budget dérisoire – Ferrara a beau être Ferrara, la crevardise de sa mise en scène est évidente – au point où l’on peut se demander si les distributeurs du film ont sincèrement envisagé de le sortir sur grand écran. À l’image de Kopp, la VOD semblait toute indiquée.

Le montage absurde Certaines séquences se terminent de manière approximative, on reste parfois vaguement sur le visage d'un figurant qui n'a aucune importance dans l’histoire, les enchaînements sont laborieux et il arrive qu’un flashback intervienne sans crier gare – à bien y regarder, la chronologie narrative était bien plus claire dans Kopp.

La barrière de la langue – Tout porte à croire que rien ni personne n'a été capable de forcer Depardieu à parler anglais en continu. Bien qu'il soit censé incarner le patron d'une « organisation économique internationale », le personnage ne comprend pas toujours ce que lui disent les flics et communique en gesticulant, mais ce n'est pas tout : une journaliste française violentée est incarnée par une américaine pour qui la francophonie reste une contrée inconnue. Le plus beau reste les discussions du personnage de Devereaux avec sa femme (incarnée par Jacqueline Bisset), où les deux passent du français à l'anglais selon leur humeur et leur vocabulaire, sans que rien vienne jamais expliquer pourquoi (sachant qu’ils sont seuls et tous les deux français) – à part peut-être une hypothétique admiration pour Nelson Monfort.

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Gérard Depardieu Si on se fie à ses déclarations, il s’agit très clairement d’un long-métrage qui porte sur l'affaire DSK : il a déclaré avoir accepté le rôle parce qu'il « n'aimait pas » le personnage. Il a donc pris cette initiative sérieusement, tout comme le comédien qui incarne Booba – mais avec beaucoup moins de bons sentiments.

Le message au début du film – des phrases sur écran noir viennent expliciter le projet en affirmant que ce film n'est que fiction (personnages inclus) inspirée de faits réels et non une représentation fidèle de la réalité, que même la justice américaine a renoncé à reconnaître, etc. À peu de choses près, leur note d'intention est similaire à celles des producteurs de Kopp.

La scène qui ne veut rien dire Dans la seconde partie du film, on contemple le portrait d'un type paumé désespérément seul, avec un monologue qui revient sur ses amères désillusions d'homme blanc. En gros, on comprend qu'il s'est engagé en politique pour sauver le monde et que tous ses plans ont fini par foirer, ce qui est censé le rendre un poil attachant. C'est tout bonnement débile, mais disons que cette manœuvre donne une certaine caution sérieuse au film.

FOUTAGE DE GUEULE PRÉMÉDITÉ

Abel Ferrara– Le réalisateur a donné plusieurs interviews pétées et mensongères où il dit pêle-mêle que le personnage principal s'inspire « surtout de lui-même », que DSK « ne l'intéresse pas », que « rien ne prouve que le personnage de l'épouse est juive », sans oublier le très pertinent « Devereaux est un personnage, au même titre que Mickey Mouse ». En gros, il fait preuve d’une mauvaise foi sans nom et envoie chier tout le monde – et surtout les journalistes.

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Jacqueline Bisset – Pour l'actrice, son personnage n'a « rien à voir avec Anne Sinclair », l’épouse de DSK. Voilà, ça mange pas de pain et ça prouve qu'elle a un grand sens de l'humour – du moins je l'espère.

Faux trucs abusés juste pour courroucer les médias– Dans le film, on compte deux scènes sur le mode ça-au-moins-ça-va-faire-parler où Devereaux, avatar de DSK interprété par Depardieu et excédé par les reproches de son épouse, lui rétorque à mots couverts que ses parents ont plus ou moins collaboré pendant l'occupation. Si l’on cumule la totalité de ces répliques ça dure à peine deux minutes, mais évidemment, la quasi-totalité des journalistes français ont foncé dans le piège de la promo virale façon taureau dopé, hurlant l’antisémitisme un peu partout. Bien vu les génies, on vous la fait pas.

Trolling total du festival de Cannes – Dans un délire inspiré de Riff Raff avec le film Spring Breakers, l'équipe du film est presque parvenue à faire partie intégrante du Festival de Cannes 2014 en tant qu'événement médiatique, simplement en s'incrustant là-bas via la sortie de Welcome to New York en VOD (et en faisant du coup leur promo en plein milieu du festival). Cette idée a donc incité les profanes à croire que c'était lié, et les journalistes à poser des questions aux responsables de la Croisette qui n'avaient pourtant aucune enviede parler du film. Sur ce terrain, Welcome to New York éclate Kopp qui devra se contenter simplement de slogans accrocheurs – et parfaitement infondés – de type « le meilleur film sur la banlieue depuis La Haine », ce qui est tout de même, plutôt nul.

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Gérard Depardieu – L'acteur livre une sorte de gros freestyle de deux heures où il a enfin l'occasion de se lâcher à l’ancienne, avec en prime la possibilité de tout foutre sur le dos de DSK, humain qu'il ne porte visiblement pas dans son cœur. Ça semble être son seul mot d'ordre pendant tout le film. Il lui arrive en conséquence de lâcher un « Qu'ils aillent tous se faire enculer ! » à la caméra sans qu'on sache bien de qui et à qui il parle. On pourrait s'attendre à voir débarquer le faux Booba de Kopp ajouter un modeste « Si tu kiffes pas le film tu r'gardes pas et puis c'est tout ».

Le personnage Devereaux– L'excuse de la fiction permet à Ferrara de présenter DSK sous la forme d’un personnage de dessin animé pour adultes et d’y aller en conséquence avec des sabots horriblement gros. Dès la première scène, le personnage DSK/Devereaux fait venir des putes alors qu'il est en train d’aborder avec un collègue l’idée d’un « protocole de sécurité ». À la fin, la conclusion – ou le semblant de truc à retenir – de l'histoire indique également qu’il a toujours préféré le sexe au pouvoir et que finalement tout ça, c'est un mal pour un bien. Quant à la fameuse séquence avec la femme de chambre, on dirait surtout un sketch improvisé mais gardé au montage, puisque Devereaux agit plus par réflexe qu'autre chose. Il est à poil, sort de la douche, ne comprend pas qui bien peut être la personne là devant lui, et dans le doute il fait ce qu'il fait d'habitude, c’est-à-dire la mettre à genoux pour se soulager. On comprend bien quec’est censé s’inspirer de faits réels mais le miroir est tellement déformant que ça en devient totalement abusé et donc hilarant, un peu comme la naissance du groupe Lunatic vu par Jisa Media dans Kopp.

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Les scènes qui ne veulent rien dire – Lors d’un déjeuner en compagnie de sa fille et de son petit ami, le héros Devereaux demande au jeune homme « Et sinon, comment va la baise ? » à plusieurs occasions, puis en boucle, jusqu'à ce que le vieux pervers obtienne une réponse de son gendre, manifestement très gêné. Plus tard, alors qu’il coule des jours sombres en prison, Devereux démarre une très sérieuse baston de regards avec un détenu, lequel semble voir en lui le thug qu'il a toujours été. Là encore, et avec toute la sympathie que j’ai pour Ferrara, c’est merveilleux d’avoir l’idée d’une situation aussi ridicule, de la tourner, mais en plus, de la garder.

Alors où tout cela nous mène ? Pas très loin, comme dans le cas de Kopp. Si Ferrara a réussi son coup un peu mieux que l'équipe du vrai-faux biopic de Booba, le long-métrage en lui-même aurait gagné à en adopter le format : 50 minutes. Parce que là, on se fait surtout chier pendant 120 longues minutes et en réalité, la partie soft porn ne compense rien même pour les spectateurs mâles – elle est ratée. Les passages idiots sont très drôles OK, mais malheureusement pas assez nombreux. Honnêtement le clip ci-dessous était bien mieux.

Là où ça devient beau, c'est qu'on se rappelle que les fans de Booba se sont divisés en deux à la sortir de Kopp : on retrouvait des gens outrés par les libertés prises par le moyen-métrage et d’autres suffisamment paumés pour y déceler des qualités pour le moins cachées. Même chose pour Welcome to New York, sauf que les premiers constituent une grande partie de la presse française et les seconds une grande partie de la presse américaine. Les Français trouvent que l'idée d'une fiction sur un fait divers aussi glauque n'est rien d'autre qu'une abomination putassière et racoleuse. Ce qui n'est pas faux – mais dans ce cas il aurait également fallu le dire à propos de 24 jours : la vérité sur l'affaire Ilan Halimi.

Une majorité de journalistes américains est à l'inverse complètement emballée, vu que Welcome to New York leur offre une caricature parfaite du Français queutard morbide, scabreux et putassier, d’autant plus salé qu’il est immortalisé par Gérard Depardieu en personne – pour eux, c’est presque un remake trash de Primary Colors, ce film de 1998 où John Travolta campait un Clinton ambitieux et libidineux.

Booba aurait récemment déclaré qu'il trouvait Kopp « scandaleux ». C’est tout. Anne Sinclair s’est au contraire, fendu d’un long chapitre afin de mettre en lumière tout le mépris qu’elle possédait à l’égard du film d’Abel Ferrara. DSK enfin, a évidemment porté plainte pour diffamation. Ces deux-là auraient dû prendre exemple sur le rappeur et la jouer en finesse, histoire d'éviter de faire de la promo pour un truc qui les débecte. Parce que là, depuis les débuts du projet Welcome to New York jusqu’aux récents rebondissements à Cannes en passant par les millions de gens qui ont chopé la VOD, eux aussi se sont fait baiser de A à Z. Suivez Yérim Sar sur Twitter.