L’avenir d’une des plus belles mines désaffectées du Québec est incertain

FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

L’avenir d’une des plus belles mines désaffectées du Québec est incertain

Quand nous sommes arrivés à la mine, une vingtaine de résidents s'étaient rassemblés pour nous barrer la route et plaider leur cause.

L'article original a été publié sur Motherboard.

Cachée dans une région endormie du Québec rural, la mine Wallingford-Back a été vidée et fermée dans les années 70, puis elle est tombée dans l'oubli.

Toutefois, quand ses propriétaires ont mis fin à son exploitation, ils ont laissé derrière certains de ses plus précieux joyaux : une caverne à couper le souffle avec un plafond en voûte et de l'eau cristalline, ainsi qu'un laboratoire vivant prisé de chercheurs qui s'y rendent pour tout étudier, des espèces qu'elle abrite à ses rares caractéristiques géologiques.

Publicité

Une soudaine montée de la popularité de la mine, en partie attribuable aux médias locaux et aux réseaux sociaux, a incité une pelletée de touristes à envahir les alentours tranquilles et champêtres de la caverne. Au désarroi des résidents du coin, car leur paisible existence, disent-ils, a été suspendue.

Toutes les photos, à moins d'indications contraires : Carl Mondello

Ces locaux, qui souhaitent voir la mine détruite, suggérant par exemple qu'on fasse tout exploser à la dynamite et qu'on n'en parle plus, se querellent avec un groupe de chercheurs, d'historiens et d'amateurs de plein air bien intentionnés qui demandent qu'on préserve le site.

Appelés à décider du sort de la mine, les maires de la MRC de Papineau, en Outaouais, ont choisi mercredi soir de renvoyer la balle au gouvernement provincial. Selon les élus de la région, il revient au ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles (MERN) de décider si le site peut être aménagé pour servir à des fins touristiques ou scientifiques, ou si l'endroit devrait être condamné une bonne fois pour toutes.

[MISE À JOUR : Jeudi après-midi, Sylvain Carrier du MERN a informé VICE qu'un promoteur privé avait manifesté un intérêt pour la mine. « Il va y avoir des nouvelles discussions avec le milieu et les promoteurs intéressés afin de trouver une solution qui va plaire à tout le monde, dit-il. On est ouvert à des projets et on va les étudier en bonne et due forme. »]

La mine Wallingford-Back se trouve à Mulgrave-et-Derry, une municipalité de 300 résidents à deux heures de route à l'ouest de Montréal. De 1924 à 1972, on a puisé dans la mine des minerais utilisés pour la céramique, des appareils électroménagers et des prothèses dentaires. À une époque, c'était même la plus importante mine de quartz et de feldspath en Amérique du Nord.

Publicité

Sa nouvelle vocation d'attrait touristique n'a débuté que récemment. Les résidents environnants blâment CTV qui, dans un reportage, a montré de spectaculaires images de personnes jouant au hockey sur la glace turquoise transparente de la mine. Mais cette vocation est loin d'être officielle : le périmètre est barricadé et le seul chemin de terre qui mène à la mine n'a pas été prévu pour des hordes de visiteurs.

Un trou dans la clôture permet à des centaines, voire des milliers de randonneurs, baigneurs et patineurs de profiter des merveilles naturelles de la caverne, décuplant la popularité du site à coup de photos saisissantes publiées sur Instagram et Facebook.

Photo : Jean Paul Villegas

Quand nous sommes arrivés à la mine (nous avons pris part à une visite guidée que proposent Les amis de la mine Back, un groupe qui lutte pour sauver le site), une vingtaine de résidents s'étaient rassemblés pour nous barrer la route et plaider leur cause.

« Avant, nous avions une vie normale, mais là nous ne l'avons plus», assure André Blais, tenant une pancarte demandant avec grande politesse : «Redonnez-nous notre paix s.v.p. »

Le résident nous a expliqué que pas moins de 400 véhicules par jour se stationnaient aux abords de cette route l'été dernier, gênant la circulation locale et créant du brouhaha autour de chez eux. « Les visiteurs jettent leurs déchets partout, c'est malpropre. »

« Les gens ont commencé à mettre leur maison en vente », ajoute-t-il en montrant l'une des nombreuses affiches de courtier immobilier le long du chemin. « Les touristes n'ont pas de respect pour nous, ils volent du bois dans nos cours pour faire des feux de camp. »

Publicité

Pour lui, le plan de préservation — rendre le site sécuritaire et construire une route pour faire passer les touristes hors des secteurs résidentiels — n'est pas une option viable. « Ça coûtera des millions et des millions de dollars de nos taxes. »

De leur côté, beaucoup des chercheurs présents au cours de cette visite organisée nous ont dit qu'ils s'opposent farouchement à la destruction de la mine compte tenu des études qu'ils peuvent y faire.

Équipé d'un casque avec lampe, le biologiste Pascal Samson explique que les géantes arches de pierre abritent d'importantes espèces de chauves-souris.

« Nous avons identifié deux espèces : la grande chauve-souris brune et la petite chauve-souris brune. » Selon lui, cette découverte confirme que cette grotte serait un hibernaculum, c'est-à-dire un endroit où les chauves-souris hibernent.

C'est important, explique-t-il, car une maladie fongique tropicale appelée syndrome du nez blanc décime la population de chauves-souris. « Au Québec, la maladie est présente depuis 2012 et des sites comme celui-ci sont particulièrement importants parce qu'un abri de qualité leur donne de meilleures chances de survivre à cette maladie. »

Comme c'est un environnement bien éclairé et protégé, le site est aussi un précieux laboratoire naturel pour l'étude de la glace, avec des surfaces d'une transparence inusitée jamais couverte par la neige.

Pour le géologue André Desrochers (un nom approprié dans ce domaine), la mine est une véritable cave aux trésors.

Publicité

« Il n'y a pas que du feldspath et du quartz, mais aussi toutes sortes de minerais exotiques que nous voyons rarement dans la croûte terrestre. Il y a de la tourmaline, du grenat et, ce qui est remarquable, des traces d'un minerai radioactif appelé allanite. »

Depuis 15 ans — soit plus d'une décennie avant que la première photo de la mine Wallingford-Back n'apparaisse sur Instagram —, le géologue milite pour que la mine soit officiellement reconnue comme site géologique d'importance dans la province, de sorte que sa préservation soit assurée, mais aussi que sa valeur soit reconnue.

« Les mines exploitées de cette façon où l'on peut encore voir les piliers [de massives colonnes de pierre qui soutiennent le plafond] sont assez uniques », ajoute-t-il. C'est la seule mine avec piliers intacte au Québec et peut-être la seule au Canada. »

En jetant un coup d'œil aux déchets et aux graffitis des visiteurs, il reconnaît que la tâche devient de plus en plus difficile. « C'est une clientèle particulière, ceux qui ne voient pas de problème à transgresser les règles. Maintenant, il y a toute cette attention négative à propos de la mine, et si on en est là, c'est à cause de ces visiteurs, du manque de respect. »

André Desrochers craint le pire. « On pense que la solution à court terme du gouvernement, c'est de dynamiter. »

Un porte-parole du ministère de l'Environnement, Sylvain Carrier, l'a confirmé. «Le gouvernement n'investira pas dans ce projet. On va dynamiter les piliers de surface pour vraiment sécuriser le tout.»

Suivez Brigitte Noël sur Twitter.