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N'importe quoi

Quelle vie après la porno?

Dès que les danseuses vendent sur Kijiji leurs souliers à talons hauts de six pouces, la société, impatiente de voir les femmes gagner leur vie autrement qu'à quatre pattes, oublie les prières et l'amour et l'acceptation à distribuer comme des condoms.
Photo : Picjumbo

Des groupes de prières se forment sur le web pour prier pour celles qui utilisent leur sexualité pour subvenir à leurs besoins au lieu de baiser pour avoir 17 enfants. Des lois sont créées afin de rendre plus difficile le travail du sexe. Des organismes participent à l'industrie du sauvetage et promettent respect, argent pour le loyer, punching bag et une nouvelle estime de soi à tout casser aux travailleuses du sexe, qu'elles imaginent toutes exploitées.

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Les danseuses qui payent leurs études grâce à leurs seins et aux paillettes répandues sur leur corps, les escortes qui vont voir des matchs des Canadiens avec leurs clients et les actrices pornos qui connaissent les meilleures marques de lubrifiant… Elles se sont presque toutes fait demander quand elles deviendraient professeure d'anglais ou comptable. Mais qu'est-ce qui les attend, si elles décident vraiment de virer professeur d'anglais?

Samantha Ardente et Melissa Petro : un danger pour la fonction publique

Dès que les danseuses vendent sur Kijiji leurs souliers à talons hauts de six pouces, la société, impatiente de voir les femmes gagner leur vie autrement qu'à quatre pattes, oublie les prières et l'amour et l'acceptation à distribuer comme des condoms. Elle rejette les ex-travailleuses du sexe et les renvoie souvent au monde du X, avec mépris.

C'est ce qui s'est produit au Québec, en 2011, lorsque la Commission scolaire des Navigateurs a congédié Samantha Ardente, alors actrice porno et secrétaire administrative à l'École secondaire Les Etchemins. Léopold Castonguay, président de la Commission scolaire jusqu'en 2014, considérait que la participation de Samantha Ardente à des films pornographiques était inappropriée, inacceptable et incompatible « non seulement avec notre mission, mais aussi avec les valeurs d'un milieu comme le nôtre. » Ses principes moraux et possiblement la peur de voir des papas faire la file pour un autographe de l'actrice sur une facture de service de garde ont guidé sa décision de la renvoyer. Depuis Samantha Ardente continue de participer à des tournées ou à des productions pornographiques.

Melissa Petro, une jeune femme ayant obtenu une maîtrise en éducation tout en dansant dans des bars et en offrant parfois ses services d'escorte, a connu un sort semblable. Après avoir révélé dans un article du Huffington Post son expérience dans l'industrie du sexe, qu'elle avait trouvée très « exigeante physiquement, imposante émotionnellement et ruinable spirituellement », la professeure d'art visuel dans une école primaire du Bronx à New York démissionne, forcée, après avoir été humiliée dans les médias locaux par son employeur.

« La porno est la seule industrie qui fait en sorte que plus une femme réussit, plus elle souffrira. »

Pour Melissa Petro, le travail du sexe étiquette les gens comme aucune autre occupation : « Peu importe nos expériences dans l'industrie, les gens nous associent à la déviance, à l'utilisation de drogues, aux maladies mentales. On nous imagine toutes victimes, détruites, et comme un danger pour la société, totalement inaptes à travailler dans la fonction publique. » Cette stigmatisation empêche les travailleuses de quitter l'industrie du sexe, confirme la chercheure en criminologie Raven Bowen. Dans son étude sur le sujet, elle avance que « stigmatiser les gens pour leur occupation présente ou passée dans l'industrie du sexe est un acte de violence, perpétré par des agresseurs, mais aussi par des Canadiens tout à fait ordinaires. » La chercheure conclut que la stigmatisation joue un rôle très pervers et incite à la dévalorisation. Comme Melissa Petro, l'ex-actrice Bree Olson en est même venue à regretter un moment d'avoir quitté l'industrie du sexe, car elle a trouvé le jugement de la société trop oppressant. Sur la chaîne YouTube «Real Women Real Stories », elle révèle, désenchantée, que « la porno est la seule industrie qui fait en sorte que plus une femme réussit, plus elle souffrira pour le reste de ses jours. La porno ne m'a pas détruite. C'est le jugement de la société sur ce que j'ai fait que je trouve douloureux. » Harley Hex, une performeuse queer adorée par les fans de sa pilosité abondante, s'inquiète également de la stigmatisation : « Faire un coming out en tant que personne non binaire et faire un coming out en tant que pornstar, c'est comparable. La différence majeure est que la stigmatisation est beaucoup plus présente pour les gens dans l'industrie du sexe. C'est ce que je déteste le plus dans l'industrie ; les préjugés qui y sont rattachés. Quand je vais tenter de me trouver un travail différent, je vais avoir beaucoup de difficultés à expliquer les trous dans mon curriculum vitae. »

« Toute ma classe m'a vue nue avec une bite dans le cul. »

Quand mon amie Sandrine a quitté le milieu du X, elle était consciente qu'elle aurait à gérer son passé d'actrice porno : « Après avoir participé à mon premier film en tremblant comme une feuille, je me suis dit que le mal était fait… que je fasse un film ou 100, ce serait la même chose pour les gens de l'extérieur. » Elle ne devinait pas que ça la rattraperait lors de ses études en sciences infirmières. « La nouvelle a fait le tour de la faculté. La direction a été mise au courant. J'ai assumé. La direction m'a obligée à appeler mon ordre professionnel pour leur dire la vérité sur mon passé. Bien que mon ordre n'approuve pas ce comportement, j'ai été assurée que tant et aussi longtemps que je ne faisais pas la promotion de cette pratique, il serait de mon côté. », raconte-t-elle. Convaincue et résolue qu'elle pouvait accomplir tout ce qu'elle voulait, elle n'a pas baissé la tête et a continué ses études. Maintenant en médecine, « toute ma classe m'a vue nue avec une bite dans le cul », mais la direction n'a pas encore été mise au courant, ce que Sandrine ne souhaite pas du tout.

Sensibiliser pour se sortir de l'idée de déviance

L'image sale de la pornographie trouble même le parcours de ceux qui ne se montrent pas nu devant une caméra. L'actrice et animatrice Mélanie Maynard sait que quelques contrats lui ont échappés alors qu'elle était à la barre de l'émission Classé XXX. « C'est sans compter que ça a beaucoup dérangé des employeurs avec qui j'étais déjà sous contrat », ajoute-t-elle, ayant trouvé la situation un peu injuste car sa carrière ne se résumait pas à cette émission. Elle explique ensuite qu'elle a compris que cela pouvait avoir nuit à son image grand public. Après réflexion, elle a décidé de se retirer du projet, surtout parce que « l'aspect négatif de l'industrie n'y était pas assez montré à mon goût. » La chercheure Raven Bowen considère qu'il est essentiel pour la société de mieux comprendre toutes les réalités du travail du sexe, afin de passer des lois respectueuses et de combattre la marginalisation et la stigmatisation des travailleuses du sexe. Harley Hex abonde dans le même sens : « La majorité des gens ne réalisent pas que c'est possible de travailler dans l'industrie du sexe de manière saine et consentante. Accroître nos droits est essentiel pour pouvoir ensuite régler les situations où notre consentement n'est pas validé. »

Le public et les parents au secours de Jacqueline Laurent-Auger et CandyKiss

La sensibilisation de l'ensemble de la population permet de diminuer les effets négatifs de la stigmatisation. En 2014, quelques années après le congédiement de Samantha Ardente, la professeure de théâtre Jacqueline Laurent-Auger a été renvoyée de son poste après la divulgation de sa participation à des films érotiques dans les années 60 et 70, mais elle l'a regagné grâce aux parents et au public, qui s'étaient scandalisé de son renvoi. En 2015, une employée d'une école de Québec a fait l'objet d'une enquête au sein de son lieu de travail, le collège privé Jésus-Marie. Connue par les amateurs de porno sous le nom de CandyKiss, elle s'est fait harceler par des journalistes, tentant de la faire avouer son passé d'actrice. Les parents d'enfants inscrits au collège se sont soulevés contre sa suspension, prouvant qu'il était possible, même si humiliée, d'avoir l'appui de gens d'un autre milieu que celui du travail du sexe. Claudie Auclair, une ex-mannequin érotique, qui a entre autres posé pour Playboy, se considère chanceuse, car les gens montrent plus souvent de la fascination que de la critique pour son ancien travail. Fidèle et menant une vie bien rangée, elle s'insurge contre les préjugés erronés sur la vie personnelle des modèles et vit tout de même « toujours avec le spectre que quelqu'un me reconnaisse et me juge mal, surtout depuis que je suis mère de famille. » Ce n'est pas encore sécuritaire de dévoiler un passé ou un présent dans l'industrie du sexe, mais plus les travailleuses se sentiront protégées du mépris et du jugement, plus elles dévoileront leurs réalités, les travers de l'industrie, mais aussi leurs bonheurs et les meilleures marques de lubrifiants. Suivez Mélodie Nelson sur Twitter.