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Comment jouer aux Sims m’aide à tenir pendant le confinement

Seule, confinée dans mon appartement, je suis devenue humoriste médiocre, propriétaire et mère de deux enfants.
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Tout s’est passé comme si je rachetais un paquet de clopes vingt ans après avoir arrêté de fumer. Le premier week-end du confinement lié à l’épidémie de COVID-19, j’ai vu passer une pub sur Facebook : “Façonnez votre propre monde avec Les Sims™ 4, à -75 % pour une durée limitée !”. Ce jeu vidéo de “simulation de vie” terriblement addictif, je l’avais oublié. Pourtant, quand il est sorti dans les années 2000, j’ai fait partie de cette génération de collégiennes aux yeux rouges et à la bouche sèche qui passaient des heures incalculables à construire des maisons moches en s'entraînant à dire « Common snala ? ». Alors, après avoir échangé avec plusieurs amis qui venaient de céder à l’appel du téléchargement, je l’ai installé pour avoir un quotidien que je n’ai plus aujourd’hui.

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Si, à l’époque, les Sims me permettaient d’imaginer ma vie une fois adulte (carrière parfaite, maison avec jardin et palissade, mari fidèle, enfants, chien, chat…), je commence ma partie avec des envies beaucoup plus réalistes. L’idée ? Recréer ma vraie vie actuelle et… la vivre, tout simplement. Je mets bien une heure à façonner une Sim qui me ressemble et à lui trouver une tenue que je pourrais vraiment porter, puis je remplis le test de personnalité qui permet d’attribuer un métier et des traits de caractère à mon avatar. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer en découvrant le résultat : Chloé Sims n’est pas journaliste mais “humoriste peu demandée”. Et elle est “snob” : “Ces Sims peuvent critiquer des objets de mauvaise qualité, m’explique le didacticiel, ils sont blasés devant les émissions de télévision sans prétentions intellectuelles et améliorent leur confiance en eux en présence d’autres Sims snobs”. Je ne peux pas dire qu’ils n’ont pas visé juste.

J’emménage dans le Taudis des Marguerites, à Willow Creek. Même si cette petite maison est sans prétention (elle ne coûtait que 15 000 Simflouz), cet achat immobilier est très excitant pour la locataire parisienne que je suis. Ma première mission : acquérir un ordinateur pour écrire mes sketches et un micro pour travailler mon aisance scénique. Après une ou deux heures de pratique, je répète mon nouveau texte, “Qui a besoin de savon ?”, seule dans mon salon. Cette scène est d’une tristesse absolue. En plus, j’ai la vessie pleine et le ventre vide, je commence à gémir en suppliant ma créatrice de mettre fin à la séance de stand-up et de m’envoyer pisser.

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C’est à ce moment-là que moi, la vraie Chloé, je m’aperçois que ça fait 5 heures que je joue. 5 heures sans aller aux toilettes, sans boire ni manger. Mais aussi 5 heures sans penser au coronavirus et sans me sentir angoissée à l’idée d’être confinée. N’ayant pas pu m’empêcher de partager mes aventures virtuelles sur Instagram, je reçois beaucoup de réactions : “Haaan, les Siiims ! Tu me conseilles de m’y remettre ?”, “C’est toujours aussi bon ?”, “J’ai vu la promo mais je ne sais pas si je me lance, j’ai peur de redevenir accro !”. J’ai l’impression d’être membre d’un vieux groupe de rehab anonyme ; à chacun, je réponds la même chose : “C’est gé-nial.”

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Le lendemain, je commence à perdre patience parce que Chloé Sims ne gagne pas beaucoup d’argent avec ses performances pourries et que j’ai du mal à satisfaire ses besoins à cause du mobilier et de la nourriture médiocres. Me reviennent en tête deux mots magiques : rosebud et motherlode. Ctrl, majuscule, touche C… Ces bons vieux codes de triche pour avoir plein de simflouz marchent toujours ! Moi qui m’étais promis de ne pas jouer plus d’une heure, j’en passe trois à retaper la baraque. Le Taudis des Marguerites devient le Refuge des Bobos : partout, je mets du parquet en bois clair ; sur les murs, j’ajoute des pans de briques rouges ; dans chaque pièce, je place ça et là des cactus et des bougies (quand j’avais dix ans, il n’y avait pas un coin sans lampe à bulles). J’offre à Chloé le meilleur des réfrigérateurs et un lit au top du confort. Si avec tout ça, elle ne perce pas dans l’humour.

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Après quelques parties, mes efforts commencent à payer. Chloé Sims assure enfin des premières parties et s’est fait quelques amis (en allant à la fête d’anniversaire du réparateur de sa chaîne hi-fi). Ma nouvelle obsession, c’est de lui trouver un mec. En ce moment, je m’ennuie sacrément sur Tinder où les punchlines édition spéciale sont devenues inévitables - “Tu as fait le plein de coquillettes j’espère ?” ou “Dernier match avant la fin du monde ?” - alors j’ai bien envie de dater par procuration. Je me présente au premier Sim qui passe devant chez moi. Florent n’est pas du tout mon genre, sa moustache me met mal à l’aise et il porte un affreux marcel à rayures multicolores. J’en profite pour tester des blagues sur lui. Ce con me permet d’accroître ma compétence “Charisme” à une allure folle. Je passe à l’offensive, lui demande s’il est célibataire, lui propose de danser et prépare un gâteau au chocolat. Durant toutes ces actions, je suis en sous-vêtements. Pas de temps à perdre. Pour autant, Florent s’en va sans crier gare.

Ce soir-là, je raconte la vie de ma Sim à Alban, mon meilleur ami, comme si c’était la mienne. Je ne sais plus si je dois dire “elle” ou “je” et j’ai littéralement le sentiment de m’être pris un vent par Florent. Alban me dit : « En tout cas, ça a l’air de te faire du bien, non ? Jouer te change les idées ! » Il a raison. J’arrête de culpabiliser et décide que ce jeu sera officiellement mon remède anti-déprime. Malgré son comportement de la veille, je pars en rencard avec Florent et je l’embrasse pour la première fois. Devant mon écran, j’ai des papillons dans le ventre. Motivée à vivre ma meilleure vie de Sim, je lui propose de dormir à la maison. Nous “faisons crac-crac” (c’est l’expression proposée par le jeu). Je tombe enceinte. Nous nous marions, ce qui me permet de remplacer son marcel par une chemise à carreaux et sa moustache glauque par une barbe sexy. Nous agrandissons la maison. J’accouche de jumeaux. Quatre à la maison, c’est une galère sans nom, mais nous avons le sourire.

Je referme l’ordinateur. Je l’ai un peu, moi aussi.

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