League of Legends
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League of Legends est-il le jeu le plus toxique ?

Alors que les Worlds débutent aujourd'hui en Islande, beaucoup semblent délaisser le titre à cause de sa toxicité et son hermétisme.

League of Legends, le célèbre jeu vidéo de Riot Games, affiche un nombre croissant de joueurs depuis ses débuts en 2009. La communauté est telle qu’en 2020 on y comptait plus de 100 millions d'utilisateurs. Et aujourd’hui débute les Worlds à Reykjavík en Islande, sorte de messe annuelle du titre de Riot. Son problème, c’est qu’elle est considérée comme l’une des plus toxiques. Entre insultes, harcèlement, antijeu et techniques bien ficelées pour faire en sorte de nuire, certains ne manquent pas d’imagination pour faire vivre un enfer à leurs coéquipiers et adversaires. Si bien que de plus en plus de joueurs, nouveaux comme anciens, délaissent le titre. 

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Des débuts compliqués

Au commencement, le ton est donné. À la différence de beaucoup d’autres jeux vidéo, aucun tutoriel n’est disponible sur League of Legends. Les premiers moments sont excessivement complexes et les mécaniques sont difficiles à saisir. L’absence d’aide et d’accompagnement rend l’expérience douloureuse pour celles et ceux qui souhaitent découvrir le jeu. 

Beaucoup de joueurs ont découvert « LoL » il y a quelques années de cela, bien souvent par le bouche à oreille. Une grande partie d’entre-eux témoigne d’ailleurs du fait que sans l’aide d’un ou plusieurs amis, ils n’auraient jamais compris les bases du jeu. Rejoindre le train en marche relève du miracle puisque l’écrasante majorité des joueurs sont confirmés.

« J’ai arrêté très tôt en fait. J’avais commencé avec des amis et puis au final quand je jouais toute seule je me faisais tout le temps insulter et critiquer parce que j’étais nulle mais ça donnait pas envie de jouer » – Léa

Avec les années, la communauté d’habitués ne considère plus vraiment la possibilité de ne pas connaître sur le bout des doigts les mécanismes du titre. Léa, étudiante en droit, y a joué quelques temps et confirme « Franchement, au début je comprenais rien. Enfin vaguement quoi. Et il y a plein de paramètres à prendre en compte, je regardais des guides sur internet. » Devoir se renseigner ailleurs afin de s’améliorer lui a semblé si pénible qu'elle ne reste pas longtemps. « C’était compliqué de comprendre et je devais tout le temps avoir le guide à côté pour savoir quoi faire et pour ne pas mettre mon équipe en difficulté. En plus j’avais l’impression que tout le monde savait déjà jouer et que j’étais la seule à être débutante alors qu’on avait le même niveau. »

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À un grand sentiment d'incompréhension et d’abandon s'ajoute rapidement la toxicité et l'amertume des autres membres de la communauté. « J’ai arrêté très tôt en fait. J’avais commencé avec des amis et puis au final quand je jouais toute seule je me faisais tout le temps insulter et critiquer parce que j’étais nulle mais ça donnait pas envie de jouer. » raconte Léa. La méchanceté de certains prend ainsi rapidement le pas sur la volonté d’apprendre. Outre le caractère hermétique du titre et son manque d’accessibilité, les joueurs doivent surtout composer avec une ambiance délétère et particulièrement démotivante. 

League of Legends

Berlin, Allemagne. 13 Oct, 2019. Phase de groupe des World Championship au Verti Music Hall. Credit: Christoph Soeder/dpa/Alamy Live News

La toxicité comme mode de fonctionnement 

Toute personne ayant déjà tenté l’expérience League of Legends le sait, la toxicité en jeu n’est pas rare, et fait même partie intégrante du paysage. Si bien que certains joueurs se demandent pourquoi ils persistent. 

D’ailleurs, lorsqu'on les interroge sur la proportion de joueurs toxiques, beaucoup répondent que sur 5 parties, 3 voire 4 d’entre-elles seront rythmées par des comportements gênants. Certains considèrent même que sur 5 parties, 5 d’entre elles seront toxiques dans la mesure où si l’équipe à laquelle le joueur appartient ne l’est pas, l’équipe en face quant à elle le sera inévitablement. Un constat glaçant. 

Gabriel est développeur web et a été très investi. Pendant plusieurs années il jouait chaque soir et s’est vite rendu compte de l’effet néfaste que pouvait avoir la toxicité sur son moral. « Au bout d’un moment ça devient pesant sur le moral en fait. Frustré c’est une chose, mais j’en venais à un point où je me sentais nul. Se prendre des remarques à répétition c’est vraiment dur, tu ne te sens pas bien. »

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Pour supporter, il adopte le même comportement. Un changement d’attitude qu’il décrit comme idiot mais nécessaire. « Au début je ne l’étais pas. Alors, je ne sais pas si c’est l’influence de tous les gens toxiques et de la toxicité ambiante qui fait qu’inconsciemment tu deviens ce que tu détestes. Mais oui, clairement, je l’ai été. Le fait d’être toxique, je vois ça comme un espèce de bouclier. Être toxique en retour ça empêche de ressentir un mal-être car tu évites la remise en question, tu rejettes la faute sur les autres. »

« Il tourne en moyenne avec trois comptes. S’il y en a un qui se fait bannir, il peut jouer avec les deux autres. Mon mari c’est du high level de rageux » – Christine

Il n’est d’ailleurs pas le seul. Christine, joueuse occasionnelle, reconnaît que son mari a lui aussi un comportement difficile en jeu. « Mon mari, lui, il a un caractère de rageux. Il va très vite flame les gens, il va très facilement insulter. Du coup ça me gène parce que jouer avec lui c’est pas forcément une partie de plaisir. On en a parlé plein de fois car il devenait violent. Il tapait sur la table, à tel point qu’il s’est fabriqué un bureau pour être sûr de pouvoir taper dessus sans le casser. » Quant à elle, elle admet ne pas être innocente non plus. « Je suis quelqu’un de plutôt calme, tranquille, mais effectivement sur le jeu ça sort le pire de moi même. Du coup ça m’arrive d’être toxique ouais. »

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Alors, depuis quelques temps, elle ne joue plus. Elle constate aussi des efforts de comportement de la part de son compagnon, en tout cas à l’égard de son entourage proche. « Il s’est un peu calmé car il voyait bien que son comportement devenait insupportable pour son entourage, plus personne ne voulait jouer avec lui. » Cela dit, en ce qui concerne son attitude vis-à-vis des autres joueurs, aucun changement n’a pour l’instant été observé. Sanctionné à de multiples reprises, il multiplie les comptes pour pouvoir continuer de jouer. « Il tourne en moyenne avec trois comptes. S’il y en a un qui se fait bannir, il peut jouer avec les deux autres. Mon mari c’est du high level de rageux. »

Gabriel, quant à lui, a définitivement quitté League of Legends. Après s’être rendu compte de la gravité de son comportement, il s’est remis en question. Se considérant comme quelqu’un de naturellement calme et posé, il conclut en riant « ça te change un homme LoL, c’est incroyable ! » 

Nicolò Campo / Alamy Stock Photo

15 avril 2019, Turin en Italie. Nicolò Campo / Alamy Stock Photo

Et Riot dans tout ça ?

L’éditeur de League of Legends, Riot Games, multiplie les efforts pour améliorer l’expérience de ses joueurs. Il y a un an, le studio était très clair sur ses objectifs dans un article consacré aux comportements toxiques « Ce sujet doit être placé plus haut sur notre liste de priorités qu'il ne l'a été précédemment. Nous n'avons pas fait assez pour réduire l'insatisfaction que les joueurs ressentent actuellement à cause de ces comportements. » De nombreux moyens sont depuis mis en place afin d’améliorer l’atmosphère au sein du jeu. 

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Plusieurs mises à jour ont ainsi été déployées sur les différents serveurs afin de lutter contre tout un tas de comportements considérés comme problématiques. Certains projets ont été abandonnés en cours de route dû à leur manque d’efficacité, ou à leur manque de justesse face à un problème donné, tandis que d’autres ont été appuyés et complètement adoptés. La majeure partie d’entre-eux sont d’ailleurs salués par la communauté. 

« Je trouve qu’il y a beaucoup d’efforts de fait pour améliorer ça (la toxicité en jeu N.D.L.R) et je pense qu’ils ont bien conscience que leur communauté est toxique. Maintenant il y a des choses qu’ils se sont refusés à faire qui pour moi sont un peu un aveu de faiblesse », atteste Gabriel. Les joueurs, dans leur ensemble, admettent volontiers une amélioration de la part de Riot, mais demandent presque tous des engagements plus fermes. « Je pense qu’il devrait y avoir aussi de l’encouragement de comportements positifs. C’est un des principaux axes sur lequel ils ne jouent pas, ou en tout cas pas assez. » 

« Est-ce que t’as envie de jouer à un jeu qui est fait en partie par des harceleurs ? » – Hugo

Hugo est étudiant en psychologie, il salue les efforts de Riot jusqu’ici et est bien conscient de la difficulté du problème, même s’il n’est pas dupe. « Le système d’honneur sur LoL a permis de réduire un peu la toxicité, mais c’est un sujet extrêmement difficile, et il y a quand même l’idée de seconde chance. Tu peux bannir quelqu’un définitivement parce qu’il a pas appris mais peut-être qu’il va réapprendre, et puis bon… peut-être qu’il va acheter tes skins ! Il y a une dimension mercantile à ne pas oublier. Ils sont là pour faire de l’argent. »

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Par ailleurs, les accusations de harcèlement sexuel chez Riot décrédibilise une partie des engagements du studio à l’égard du bien être de sa communauté. Il devient compliqué de considérer que le respect de l’autre est une valeur défendue par l’éditeur lorsque les griefs se multiplient. Si bien que certains joueurs se questionnent sur sa bonne foi et évoquent la possibilité de ne plus jouer en raison des nombreuses poursuites à son encontre. C’est l’avis d’Hugo : « Est-ce que t’as envie de jouer à un jeu qui est fait en partie par des harceleurs ? C’est aussi un truc moral. Il y a des gens qui n’en ont rien à faire, mais personnellement c’est aussi un truc qui me fait me poser des questions. »

Beaucoup d’éléments sont en cause et font de League of Legends un endroit peu propice à la détente et à la satisfaction. Propulsé par sa scène esport, le titre reste un incontournable et est fréquenté par un nombre croissant de joueurs mais sa communauté est telle qu’elle a l’effet d’un repoussoir pour ses habitués. Ainsi, beaucoup de questionnements raisonnent dans la tête de ces derniers, surtout lorsqu’ils sont des fans de la première heure. Ils ont presque tous grandi dans la Faille de l’Invocateur, et même s’ils y ont passé de délicieux moments, ils constatent aujourd’hui à quel point l’expérience peut s’avérer pernicieuse. 

Finalement ils confient tous, sur le même ton qu’on annonce à sa famille son souhait d’arrêter de fumer, qu’ils ont plusieurs fois songé à mettre un terme à l’aventure League of Legends – mais reviennent toujours.

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