trop gay ou trop hétéro apparence queer
Illustration par Hendrik Wittock
Collage et composition : Wikkicommon (gauche) + Pixabay (droite)
Société

Quand vous paraissez « trop hétéro » ou « trop gay » aux yeux des autres

Un homme hétéro et trois personnes queer parlent de ce que ça fait quand les gens interprètent mal votre orientation.

Il y a quelque temps, j'ai été invité à un podcast pour parler de la façon dont la musique (pop) avait rendu mainstream l’identité queer. Quand j'ai fièrement partagé la nouvelle en story, j'ai eu des retours allant du positif au franchement déconcertant, genre « Comment toi tu vas parler de ça ? ». Sous-entendu : « T'es pas assez queer ». Mais je peux comprendre. Je suis peut-être gay, mais je suis aussi un mec relativement grand et barbu et, à l'exception de bijoux et de vêtements parfois osés, je reste relativement proche de la norme « masculine » traditionnelle. Mais donc ça voudrait dire que je parais trop queer pour être l'invité gay d'un podcast ? 

Tout ça m’a fait penser à mon adolescence, à l’époque où je jouais au water-polo. Je m'entraînais aussi dur que le reste de l’équipe et je pouvais boire (presque) autant de bières qu’eux, mais je crois que mes jeans étaient trop serrés pour que je puisse être considéré comme « l’un des gars ». D’ailleurs, dix ans plus tard, qui porte encore des jeans moulants ?

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What’s in a meme?

Aujourd’hui, non seulement les hétéros s'habillent de plus en plus comme les gays des années 2010, mais les personnes queer commencent aussi à se noyer dans des vêtements oversized traditionnellement plus « hétéro ». Il faut savoir que les vêtements ne façonnent pas votre orientation sexuelle. Je suis aussi gay dans mon sweat à capuche (oversize) que dans mon pull à paillettes (oversize).

De façon générale, ça devient lourd de réaliser à quel point l'apparence et la sexualité sont liées. Les stéréotypes sur le potentiel lien entre vêtements, apparence et sexualité nous limitent dans l'expression de notre personnalité, qu’on soit gay, bisexuel·le, pansexuel·le, hétérosexuel·le ou asexuel·le. Je voulais voir s'il y avait d'autres personnes qui trouvaient ça aussi emmerdant. Du coup, j’en parlé avec Matthias Yzebaert (homme hétéro), Thalisa Devos (femme bisexuelle), Guillaume* (homme bisexuel) et Lot Peeters (personne pansexuelle non-binaire).

Vous êtes hétéro, mais on vous pense gay

Un préjugé persistant veut que les hommes qui font gaffe à leur apparence sont forcément gays. Flash info : les gays n'ont pas le monopole du style. Apparemment, c’était si difficile pour certaines personnes de croire que des hommes hétéros pouvaient aimer la mode et les soins qu'en 1994, Mark Simpson a inventé un terme pour ça : « métrosexuel », ou « métropolitain hétérosexuel ». Hélas, on dirait que le capitalisme a gagné ce terme ; on est au début des années 2020 et le concept a beau faire vendre des crèmes pour le corps, on attend toujours des hommes qu’ils se comportent « normalement ». C’est ce que montre l'histoire personnelle de Matthias Yzebaert (38 ans, lui, hétérosexuel), graphiste, artiste et musicien indépendant.   

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Matthias: « La confusion autour de mon orientation remonte à mon adolescence. J’avais environ 15 ans, on fumait une cigarette après les cours et mes camarades de classe m'ont dit : “T’es gay, non ?”. Toi t’as beau être toujours en recherche de toi-même, parce que t’as pas encore de vraie expérience sexuelle, tu dois répondre illico : “Non, je suis pas gay”. Tu dois aussi commencer à te comporter comme quelqu’un qui n’est “clairement pas gay", mais évidemment ça se fait pas comme ça. J’étais assez grand et mince, ce qui était souvent considéré comme assez féminin. En plus, j'ai toujours été fasciné par la beauté et l'esthétique. Puis quand t’es dans une école de village avec un groupe d'ados en pleine croissance, les gens se disent : “Ouais, y’a d’office quelqu'un qui doit être gay, donc ça doit forcément être ce type.”

« T’es dans une sorte de situation de gay bashing alors que t’es même pas gay. » - Matthias

Le temps a passé et j'ai eu des copines mais l’étiquette est restée. J'ai changé de ville, d'école et de potes, mais je continuais à tomber sur des gens dans la rue qui me criaient : “T’es gay !”. Après ça, j’ai été étudier à Sint-Lucas à Gand – où on peut évidemment avoir un style un peu plus artistique – mais un jour, alors que je me promenais main dans la main avec ma copine, des types sont venus vers nous et lui ont dit : "Qu'est-ce que tu fous ? C'est un gay, ça peut pas être ton copain." C'est méga intrusif. T’es dans une sorte de situation de gay bashing alors que t’es même pas gay.

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Alors comment faire pour convaincre quelqu'un ? Imaginez : quelqu'un te demande "T’es gay ?", tu réponds "Non" et on te dit "T’es sûr ?". Putain, je devrais le savoir, on parle de moi quand même ! Mais comment t’es censé prouver ta sexualité si on te croit pas ? Si ton entourage te dit que t’es comme ci ou comme ça, tu vas douter et finir par le croire. Être gay, c’est toujours considéré comme une insulte. Ça te fait pas gagner de prix. C'est quelque chose de difficile. Il faut sortir du placard, et même là c'est à peine “toléré”.

Une fois, je suis allé chez un psy parce que j'allais pas bien. Après quelques séances, je me suis dit : “Peut-être que je me sens comme ça parce que je suis gay”. Le psy m’a répondu : “Toutes ces séances, vous les avez passées à parler de femmes. Vous rêvez d'hommes ou de femmes ?”. Ça m'a aidé. Le subconscient ne peut pas mentir. »

Vous avez l'air trop féminine pour aimer les femmes

La peur d'être perçu·e comme non-hétéro ne disparaîtra pas du jour au lendemain. En général, dans une société hétéronormative, c’est toujours plus OK de paraître hétéro. On parle même parfois de « passing privilege », soit l'avantage de pouvoir passer pour une personne hétéro (cisgenre). Mais, c'est pas toujours positif. Les personnes bi ou pansexuelles risquent de voir une partie de leur identité invisibilisée, et ça les pousse à rendre leur orientation sexuelle plus explicite et la justifier. Quand la directrice de publication Thalisa Devos (32 ans, elle, bisexuelle) a eu une relation avec une femme pour la première fois, elle a été choquée par les réactions ; non seulement des inconnu·es dans la rue mais aussi d'ami·es qui l'ont exhortée à ne pas « s'habiller comme une gouine ».

Thalisa: « Je crois que j'ai réalisé que j'avais un faible pour les femmes à l'âge de 17 ans, mais il m'a fallu attendre mes 30 ans pour pouvoir le dire tout haut. J'ai couché avec des femmes plusieurs fois en cachette – après des soirées trop arrosées – mais j'en parlais à personne. C'était pas non plus comme si ça me rongeait toute la journée. Ça arrivait parce que j'en avais envie. 

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J'ai longtemps continué à regarder les hommes dans l'optique de tomber amoureuse et me caser. Les femmes, c'était surtout pour le sexe. Mais un jour, j'ai eu le béguin pour une femme. Quand je l’ai dit à mes ami·es, ça a été : "Comment il s’appelle ?". Et j’ai dû répondre : "C’est elle". C'est que lors de cette première relation avec une femme que j'ai réalisé à quel point c'était pas si simple. Tu peux flirter avec qui tu veux – c'est de l'expérimentation et tout le monde l’a fait – mais quand ça devient sérieux, les réactions sont moins positives.

« Quand t’es bi, la confusion est complète. La question, c’est toujours "Tu préfères quoi, une teub ou une teuch ?". » - Thalisa

Un jour, j'étais assise sur une terrasse avec une copine de l'époque. Quelqu'un que je connais depuis longtemps est venu nous voir et a dit : "Apparemment c'est ton truc maintenant, les femmes ? C'est bien, tant que tu commences pas à te comporter et à t'habiller comme une gouine." Ça m'a fait rire. Je savais pas comment réagir, ça sortait de nulle part. Je sais toujours pas ce que j'aurais dû dire. On me dit d’ailleurs toujours "T’as pas l'air d'une lesbienne", comme si ça pouvait être quelque chose de positif.

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J'ai récemment lu une interview de Kato De Boeck et Flo Van Deuren, un duo de réals, qui expliquent à quel point c’est frappant de presque toujours voir un couple de lesbiennes dans les séries et les films actuels. Avant, c'était souvent deux hommes, maintenant c’est surtout des femmes. Tout le monde essaie tellement de représenter la "femme normale". Elles ont toutes les cheveux longs et font "fifilles" pour de ne pas faire ressortir le stéréotype du passé, vu que ça pourrait leur être reproché. C'est comme s'il fallait que ce soit l'un ou l’autre, mais y’a quoi au milieu ?

Quand t’es bi, la confusion est complète ; non seulement en termes de style vestimentaire mais aussi pour les personnes qui essaient de te comprendre. La question, c’est toujours "Tu préfères quoi, une teub ou une teuch ?". Les gens pensent encore trop souvent que la bisexualité est une phase de transition, qu'il ne faut pas encore oser l'admettre ou que c’est qu’une expérience. »

Vous êtes un homme et vous aimez les hommes, mais vous ne l'avez pas encore « montré »

Le « passing privilege » est un terme problématique pour une autre raison encore. Elle suppose que les personnes bisexuelles ou pansexuelles peuvent activer et désactiver leur sexualité à volonté ; et plus que ça, il suggère qu'elles le font parce que c'est « avantageux ». Le fait qu'on puisse être toléré·e si on renie une partie de sa sexualité est en fait un handicap, et non un avantage. Mais que faire si vous êtes bi mais que vous n'avez jamais eu d'expérience homosexuelle ? Vous êtes bi quand même ? Avant que Guillaume* (23 ans, lui, bisexuel) n'embrasse un homme pour la première fois, les gens ne croyaient pas qu'il pouvait vraiment aimer les hommes. Il raconte comment ça lui a fait perdre ses repères.

Guillaume*: « Il y a pas longtemps, j'étais à une soirée où le fait d'être queer était accepté. C'était la première fois que j'embrassais un mec. Mon frère et sa petite amie étaient là, et beaucoup d’autres ami·es. J'étais moi-même un peu choqué parce que j'aurais jamais pensé que la première fois allait se faire en public. Mais c'était vraiment cool. 

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« Ça leur semblait fake juste parce que ça ne m'était jamais arrivé avant. » - Guillaume*

Je savais avant cette soirée que je pouvais tomber amoureux des mecs, mais ça n'avait jamais été exprimé en pratique. À ce moment-là, ça m'a semblé juste, et je voyais aucune raison de pas le faire. Ça devait arriver un jour. Pourtant, ça a surpris les gens ; ils disaient : "Quand tu disais que tu pouvais aussi aimer les hommes, je pensais que c'était juste du blabla". J'ai surtout eu l’impression que les gens pensaient que je disais ça juste comme ça. Ça n'a pas de sens, non ? Ça leur semblait fake juste parce que ça ne m'était jamais arrivé avant. J'étais assez surpris.

Je suis heureux que ça soit arrivé. Maintenant je sais que c'est pas quelque chose que j'imagine, que c’est un truc que je peux vraiment apprécier. Quand les autres remettent en question ce genre de chose, tu commences à douter. Mais quand ça se passe vraiment, tu sais que c’est pas juste dans ta tête. »

Le choix de votre partenaire influence la perception qu’on a de votre sexualité et identité de genre

Outre votre attitude ou vos vêtements, il existe un autre élément qui influence votre perception de la sexualité beaucoup plus fortement que vous ne le souhaitez : votre partenaire. Lorsque des personnes de sexe différent (ou perçu comme telles) sortent ensemble, on suppose hâtivement qu'elles sont toutes deux hétérosexuelles. Sauf que votre partenaire ne détermine pas (exclusivement) votre sexualité. On parle ici d’une forme de « straightwashing » – hétérosexualiser des personnes queer –, ou même de « queer erasure » IRL – soit le fait de minimiser ou d’omettre de façon consciente ou non l'identité queer dans les médias. Sauf que les personnes bi ou pansexuelles sont tout aussi bi ou pansexuelles quand elles sont engagées dans une relation hétéronormative. Les histoires de Guillaume* et de Thalisa le montraient déjà un peu, mais pour Lot Peeters (22, elle/iel), ça va plus loin.

Lot: « C’est ma première longue relation avec un mec, mais j'ai déjà fréquenté des garçons et des filles avant. Pour mes parents, c'était un peu genre "OK, elle est sortie de sa phase. Là c’est bon, elle s’est casée." Pour mon père, c'est parfois encore un peu difficile à comprendre. Il me demande : "Comment tu peux aimer les deux ?". Mais j’ai pas un faible pour deux voies différentes, j'ai juste des options. Lui voit les choses différemment, en mode “Elle est avec un homme maintenant, point final”. Mais ça marche pas comme ça.

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On disait de mon copain qu'il était gay, et moi que j'étais lesbienne. Quand on a commencé à se voir, c'était un mindfuck pour les gens ; ils s'y attendaient pas. Mon copain est aussi devenu beaucoup plus ouvert au niveau de l’expression de son identité. Par exemple, ça lui arrive parfois de se vernir les ongles. Les gens pensent que c'est à cause de moi, mais si tu te sens à l'aise avec la personne que t’aimes, tu vas forcément expérimenter plus de choses.

« Y’a des gens qui ne prennent jamais le temps de réfléchir à leur identité de genre ou à leur sexualité. Comment c’est possible que de simplement accepter ce qu'on dit de toi, et ce qu'on attend de toi ? » - Lot

Hormis mon orientation, les gens se trompent parfois sur mon genre. Ça fait toujours bizarre, parce que les personnes qui t’entourent savent ce que c'est et veulent s'améliorer, mais pour moi, c'est pas ça le plus important. Ça dépend aussi de l'intention. J'ai rencontré le grand-père de mon copain y’a pas longtemps. Je lui ai serré la main et il m’a dit : "Bonjour mon garçon". Mais il n'en a pas fait un drame non plus.

Je pense que les plateformes comme TikTok nous rendent plus créatif·ves dans notre expression personnelle. Pour moi, c’est naturel de remettre les choses en question. Mais y’a des gens qui ne prennent jamais le temps de réfléchir à leur identité de genre ou à leur sexualité. Comment c’est possible de juste accepter ce qu'on dit de toi et ce qu'on attend de toi ? Comment les gens peuvent avoir une vision aussi étriquée ? En même temps, on pourrait me reprocher de faire l’inverse. On va appeler ça un malentendu mutuel. »

* Nom d’emprunt, pour protéger son identité.

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