dépression travail
Illustration de Djanlissa Pringel
Société

Ça fait un bail que je me sens coincé et déprimé. Dois-je lâcher mon job ?

« Je n’attends plus grand-chose d’incroyable et j’ai juste peur que cette année ne soit que le prolongement de la précédente. Une très, très longue année sans le moindre événement positif. »

« Ask VICE » est une rubrique dans laquelle vous demandez à VICE de répondre aux questions qui vous taraudent, voire de vous aider à résoudre vos problèmes. Amour non réciproque, coloc ingérable, qu’importe. Aujourd’hui, nous allons essayer d’aider un lecteur qui n’aime plus son taf et qui envisage potentiellement de le quitter. Le problème, c’est qu’il est en même temps tiraillé par l’incertitude qui accompagne toute décision de ce genre.

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Salut VICE,

Ça fait un moment que je me sens un peu abattu, et que je culpabilise. J’ai récemment réussi à obtenir un CDI après des années de travail dans l’industrie créative, chose extrêmement rare dans ce secteur. Je vis dans une belle maison à Amsterdam et franchement, ma vie est plutôt agréable. Mais ce début d’année n’est pas aussi génial qu’espéré.

Je me souviens avoir été hyper content d’enfin laisser 2020 derrière moi. J’ai entamé 2021 avec un état d’esprit très positif. Dans ma tête, je me disais que ça serait l’année où tout le monde serait vacciné, où je pourrais enfin vivre ma jeunesse (ma mère appelle ça « mes plus belles années »), où l’on allait pouvoir profiter d’un été de ouf, et où je pourrais me payer un voyage vers l’une de ces destinations lointaines pour casser la routine.

Quand je bossais, c’était avec toutes ces chouettes perspectives en tête, et ça me motivait. Malheureusement, rien ne s’est passé comme prévu. Rien n’a bougé. Cette petite étincelle d’espoir qui m’habitait a complètement disparu. Je n’attends plus grand-chose d’incroyable et j’ai juste peur que cette nouvelle année ne soit que le prolongement de la précédente. Une très, très longue année sans le moindre événement positif.

Ce qui rend les choses encore plus difficiles, c’est que mon job ne me rend pas vraiment heureux. Mon boss ne m’a donné aucun espoir d’évolution pour cette année et ça ne me motive pas du tout. Et comme je ne suis pas le seul dans cette situation, ça a un impact très négatif sur notre environnement de travail. Les journées sont rudes et hyper longues, et le dimanche pas moyen de me détendre, car je sais qu’il va falloir retourner au taf le lendemain. Ce qu’il me manque, ce sont des perspectives, un objectif vers lequel me tourner. Malheureusement, il n’y en a pas le moindre à l’horizon.

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Quand j’en parle avec des potes, ils me conseillent simplement de démissionner et de trouver un autre taf. Mais pour moi ce n’est pas si facile. En pleine crise sanitaire et économique, je ne veux pas (et je ne peux pas) me permettre de renoncer à mon CDI et à son salaire fixe pour prendre un job temporaire ailleurs. Voire courir le risque de me retrouver à Pôle Emploi. Dans ce cas-là, je ne serais plus capable de payer mon loyer et je perdrais la maison. Puis au fond, je ne sais même pas vraiment ce que j’aimerais faire dans la vie, à part le travail que j’ai actuellement.

En bref, je me sens très mélancolique et ça pèse énormément sur ma vie quotidienne. Autour de moi, tout le monde me parle de leurs bonnes résolutions et de comment ils parviennent à les tenir. De mon côté, ça me semble complètement futile, puisqu’on ne sait toujours pas de quoi demain sera fait.

C’est normal, de ressentir ça ? Qu’est-ce qui m’arrive ? Est-ce que je devrais foncer tête baissée et quitter mon job sans me soucier de mon avenir ? Ou plutôt attendre que la situation évolue et espérer que les choses finissent par changer ?

Bye,

F.


Cher F.,

Les sentiments que tu éprouves sont difficiles à vivre, mais on est tous plus ou moins passés par là. Ça fait deux ans maintenant, et le monde tel que nous le connaissions a changé, beaucoup et très vite. Normal donc de ressentir de la confusion et de la peur. Pas surprenant non plus que tu ne sautes pas de joie à l’idée de cette nouvelle année.

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Dans ton cas, tu as toi-même établi un lien direct entre ta vision négative de la vie et ta situation actuelle au taf. C’est d’ailleurs un problème rencontré par de nombreuses personnes. Ce n’est pas pour rien que 2021 a été surnommée l’année de la Grande Démission. Partout sur la planète, une masse de gens ont quitté volontairement leur emploi pour essayer de reprendre le contrôle sur leur vie, et retrouver un équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Malheureusement, il n’existe pas de réponse toute faite à ton problème. Un expert pourrait cependant te donner un avis éclairé sur la question. Tosca Gort est ergothérapeute et évalue les habiletés fonctionnelles des personnes sur leur lieu de travail. Elle les accompagne dans leur carrière et leur indique la marche à suivre si elles ne sont pas satisfaites.

« N’importe quelle personne qui traverse une mauvaise passe peut éprouver des sentiments dépressifs, que ce soit à cause d’un job soporifique, d’une vie amoureuse insatisfaisante ou de la morosité ambiante générée par le COVID », explique Tosca. Attention, ça ne veut pas forcément dire que tu es cliniquement déprimé et que tu dois commencer à prendre des médicaments. Mais pour pouvoir trouver une solution, il faut que tu parviennes à déterminer avec précision ce qui te rend si malheureux.

« Celles et ceux qui ne se sentent pas bien essaient souvent de changer les circonstances extérieures dans l’espoir de se sentir mieux. Parfois ça fonctionne, parfois pas », poursuit Tosca. D’après elle, il te serait utile de consulter un thérapeute et de travailler sur ces sentiments de tristesse avant de prendre une décision importante liée à ton travail. « Se sentir malheureux au travail peut tout aussi bien être une conséquence d’un mauvais rapport au corps. Avec le télétravail, on passe tous plus de temps chez nous et on fait beaucoup moins de sport », ajoute-t-elle.

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« Quand on se sent mal, on ne réalise pas qu’on peut encore entreprendre pas mal de choses pour améliorer la situation actuelle »

Mais si tu te rends compte que ton job est au cœur du problème, que faire ? Avant de démissionner, il faudrait, toujours selon Tosca, « penser à évaluer les facteurs professionnels qui t’apportent de la joie et du plaisir, ainsi que ceux qui t’énervent ou te rendent malheureux ».

Une fois que tu auras mieux cerné ce qui coince avec ton job, tu pourras commencer à voir si des modifications peuvent être envisageables pour t’épanouir davantage dans ton poste actuel. Ça peut prendre plein de formes différentes : t’occuper plus souvent d’un sujet qui t’intéresse, développer une nouvelle compétence, voire même engager quelqu’un pour prendre en charge certaines de tes tâches ou trouver un accord avec ton boss pour réduire ton temps de travail.  

« Quand on se sent mal, on ne réalise pas qu’on peut encore entreprendre pas mal de choses pour améliorer la situation actuelle », note Gort. En psychologie, on appelle ça l’impuissance acquise (ou résignation acquise). « Tout va tellement vite autour de nous que l’on se résigne d’office. On ne trouve plus la force de lutter et on se sent dépassé. C’est un phénomène répandu, mais qui s’est retrouvé exacerbé avec la pandémie », explique Gort.

Du coup, tu peux continuer à accepter des situations qui te mettent mal à l’aise, simplement parce que tu penses ne rien pouvoir faire pour les changer. « J’ai souvent constaté que les personnes satisfaites de leur vie professionnelle reconnaissent plus facilement les opportunités et sont plus à même de les saisir », ajoute Gort.

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Finalement, tu arriveras peut-être toi-même à la conclusion qu’il te faut un nouveau job. Peut-être que l’atmosphère de travail est devenue trop toxique, que le contact passe mal avec ton boss, ou que les aspects négatifs de ton travail l’emportent sur les aspects positifs. Peut-être même que tu te rendras compte qu’un job de bureau dans une grosse ville n’est tout simplement pas fait pour toi.

« De nombreuses personnes sont confrontées à ce type de sentiments, le problème étant qu’elles se mettent à chercher de l’aide quand elles sont déjà au fond du gouffre »

Ce n’est sans doute pas ton cas puisque tu nous as confié aimer ta maison et ton style de vie, au point que la perspective de les perdre est super angoissante. Il serait tout à fait compréhensible qu’après ces deux années d’incertitude liée à la pandémie, renoncer à ce type de stabilité t’effraie. Il est difficile d’essayer de deviner à quoi ressemblera le monde de demain, et l’impact que tout ça aura sur ton secteur d’activité.

Pourtant selon Tosca, il se peut que tu arrives à la conclusion que la démission est un risque à prendre pour éviter le burnout ou la dépression sur le long terme. « Les gens désirent souvent travailler dans le secteur artistique, mais en pratique, ils peuvent se rendre compte que leur emploi existe aussi dans d’autres secteurs, où les conditions sont peut-être meilleures », ajoute Gort. « Il ne faut pas non plus avoir peur de s’engager dans une direction complètement différente. Le marché de l’emploi subit de profondes transformations et la réorientation deviendra bientôt la norme. Dans certains secteurs assez niche, il est souvent possible de travailler et de se former en même temps. »

En fin de compte, « de nombreuses personnes sont confrontées à ce type de sentiments, le problème étant qu’elles se mettent à chercher de l’aide quand elles sont déjà au fond du gouffre », conclut Tosca. Il est plus prudent de contacter un ergothérapeute ou un coach de carrière pour te guider avant que les choses ne deviennent incontrôlables. « La décision définitive te reviendra toujours, mais n’oublie jamais que demander de l’aide en cours de route n’a jamais tué personne. »

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