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Grandir en tant que gay dans une famille pro « La Manif pour tous »

« Il y avait des soirs où je priais pour être hétéro. J’implorais Dieu de changer. »
CD
propos rapportés par Camille Descroix
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Photo : Danielle Donders

À 8 ans, mes cousins ont eu l'idée de me balancer sur un site porno. Je m’en souviendrai toute ma vie : c’était une professeure avec un élève, sur un bureau. Elle, elle ne m’a pas marqué du tout. J’ai tout de suite regardé le mec. Ça a toujours été les garçons.

Je suis originaire de Saint-Leu-la-Forêt, dans le Val d’Oise. C’est une ville pavillonnaire. On avait une maison avec un jardin, une petite boulangerie et l’Église à deux pas. C’était une ville tranquille, à 30 minutes en train de la Gare du Nord. J’ai fait mon collège et mon lycée dans un établissement privé catholique. Avec mes potes, on partait à Paris tous les week-ends. Je rentrais le dimanche pour la messe et le repas. La semaine, je me remettais de mes gueules de bois et j’essayais de bosser. Et le vendredi, on remettait ça.

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Je suis le troisième de la famille. J’ai un grand frère et une grande sœur. Mon père n’est pas très religieux. Ma mère, elle, est pharmacienne. Et elle est très catho : c’est elle qui nous accompagnait à la messe tous les dimanches pendant que mon père faisait du vélo. Elle s'occupait aussi du catéchisme. On a grandi là-dedans. Tous nos amis sont catholiques. Dès 5 ans, je suis devenu enfant de chœur, comme mon frère et ma sœur. Ça a duré jusqu’à mes 18 ans.

« Il y avait des soirs où je priais pour être hétéro. J’implorais Dieu de changer »

Aujourd’hui, j’habite à Londres pour mes études. Je suis parti parce que j'avais besoin de quitter ma famille. Je n’en pouvais plus. J’avais besoin d’être moi-même. Là-bas, je vais à l’Église quasiment tous les dimanches. C’est une paroisse française mariste. Ma soeur et mon frère, eux, ne sont plus catholiques. Le seul catholique pratiquant d’entre nous, c’est moi. Pourtant, à un moment, j’avais complètement perdu la foi, j’étais en rejet. Il y a quand même un gros problème entre ce que dit l’Église et ce que je suis, moi. La messe, pour moi, c’est quelque chose d'important parce que c’est ma relation privée à la foi. J’ai grandi dans cette religion mais je ne suis pas toujours d’accord avec l’Église. Je me considère catholique mais il y a des choses que je ne cautionne pas. 

Dès la primaire, j’ai senti que j’étais différent. Je voyais bien que je ne regardais pas les filles, je regardais toujours plus les garçons. Ça m'intéressait plus. Je me disais : ‘Les filles, c’est drôle, tu peux jouer avec elles’. Mais c’est tout. En soi, dans la Bible, à aucun moment le Christ dit qu’il faut brûler les homos. Lui, il s’en fout. C’était plutôt l’environnement, les gens, la paroisse… Ce sont aussi ces petites réflexions. Mon père disait tout le temps : ‘Ça, c’est pas un sport pour les pédés’. T’entends ça, t’entends à l’Église que le mariage, c’est entre un homme et une femme, et tu te dis qu’il y a quelque chose qui cloche. C’est là que j’ai compris que j'étais gay. Il y avait des soirs où je priais pour être hétéro. J’implorais Dieu de changer. Je pleurais. Le collège a vraiment été une période difficile. Ça a été un énorme rejet de moi-même.

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Pendant la Manif pour tous, en 2013, j’avais 12 ans. On allait à la messe et, ensuite, on prenait tous le train pour Paris. J’étais avec mes potes, on portait des pancartes, on criait. Il y avait des gens aux balcons qui brandissaient des drapeaux. Il y avait ma famille, tous nos amis de la paroisse. C’était la sortie du dimanche. On découvrait Paris. On trouvait ça génial. J’avais l’impression d’être dans le bon. Et je tenais le même discours que les autres. Je m’étais persuadé. Mon moi de la Manif pour tous a adoré ce moment. J’étais avec des gens que j’aimais, on passait du bon temps, on rigolait. Et c’était comme un passeport ‘hétéro’ : je voulais montrer que j’étais comme eux. Ça me rassurait. Je me disais que, peut-être, ça allait me servir de cure, de remède miracle. En participant à cet effet de masse, j’allais quitter ce truc et devenir comme les autres. Mais, au fond de moi, ça n’allait pas. Je ne dormais pas, je passais la nuit à pleurer. Je me posais plein de questions. 

Mes grands-mères, ce sont les deux personnes dont je suis le plus proche. Et, parfois, je me disais : ‘Une fois qu’elles sont mortes, je me suicide’. J’en étais là. Ce sont elles qui m’ont tenu en vie. Je ne voulais pas leur infliger de la peine. Pourtant, je n’étais pas bien du tout. Je ne pouvais pas me voir. J’étais persuadé que mes parents allaient me foutre à la porte. Je me suis dit que j’allais me retrouver tout seul. Mon monde allait s’écrouler. Je préférais prendre la voie de la facilité et nier. Pour moi, mes parents étaient homophobes. Dans un sens, je ne dirais pas qu’ils le sont. Ils ont beaucoup changé depuis 2 ans. Mais il y avait quand même une forme d’homophobie passive. Ils n’avaient jamais été confrontés à l’homosexualité. En grandissant, j’ai voulu explorer et je me suis rendu compte que j’étais normal. J’ai déconstruit toute l’éducation que j’avais reçue. Pendant longtemps, j’ai cru que je n’avais pas d’avenir.

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J’ai une dent contre mon frère. C'est lui qui a fait mon coming out. Un été, il m’a demandé si j’étais gay. J’ai répondu que j’étais bi. Je disais ça à tout le monde. C’était plus simple de commencer comme ça. En septembre 2019, à l’anniversaire de ma marraine, où j’étais absent, il y avait un couple d’homos. Étant donné que mon père peut être un peu lourd et faire des blagues gênantes, mon frère avait comme mission de l’en dissuader. En réaction, mon père lui a demandé si j’étais gay. Le soir, mon frère m’appelait pour me prévenir que les parents étaient au courant. Sur le coup, mon monde s’est effondré. Je ne voulais pas leur en parler. J’étais prêt à mentir au monde entier. À ce moment-là, je l’acceptais mais je ne voulais pas le rendre public. Avec cette annonce, j’ai été pris de court. J’ai eu l’impression qu’on m’enlevait quelque chose qui m’appartenait. C’était mon jardin secret, c’était à moi. Puis, on a fait comme si de rien n’était. On n’en a pas reparlé.

« La Manif pour tous rejetait tout ce que j’étais. Ça a été un traumatisme »

À Noël, en 2019, j’étais pas bien. J’étais tout le temps sur la défensive, sur les nerfs. J’avais peur de leur réaction, j’avais peur de leur en parler, j’étais en colère contre moi-même. Après une engueulade avec mes cousins, pour une connerie, ma sœur m’a fait toute une scène dans la cuisine, me reprochant de m’être éloigné d’elle, d’être trop dur. Et, là, elle m’a dit qu’ils savaient tous très bien ‘ce que j’étais’ et que je pouvais le dire. Moi, je n’étais pas prêt. Puis, ma mère m’a dit : ‘Ton frère et ta soeur n’arrêtent pas de dire que tu es homo’. J’ai répondu la même chose qu’à mon frère. Pendant le confinement, j’étais avec toute ma famille dans le Val d’Oise. J’étais tellement stressé que je me pissais dessus la nuit. J’ai arrêté de parler à ma mère. Elle pensait que j’avais une vie de dépravé, que je me mettais en danger. Moi, j’avais acté qu’elle ne m’acceptait pas, qu’elle reniait qui j’étais.

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C’est quand je suis allé voir mon mec, à Tenerife, qu’elle a enfin compris. En voyant les photos, elle a compris que j’étais heureux, que c’était stable. Elle était contente pour moi. Depuis, je sais qu’elle a fait beaucoup d’efforts. Elle doit encore en faire mais j’accepte ça. Ça a pris des années de mon côté, je ne peux pas demander à ma mère qu’elle change d’un coup. Parfois, elle est intrusive et je lui dis que je n’ai pas envie de tout lui raconter. J’ai besoin d’aller à mon rythme et d’en parler quand j’en ai envie. 

Ma première fois a déclenché beaucoup de choses. Je me suis rendu compte que je pouvais prendre du plaisir, que ce n’était pas quelque chose de sale, que c’était possible d’aimer. Ça m'a libéré. On s’est rencontré sur Tinder. Il était prof. On est allé au musée d’Orsay. On a marché. Puis, il m’a proposé de boire un café chez lui. J’avais compris l’invitation. Pas très romantique quand j’y repense. Quand il a compris que c’était ma première fois, il s’est stoppé net et m’a dit qu’il comprendrait si on s’arrêtait là. On a continué. Et, pour moi, ma première fois était géniale. J’en ai un très bon souvenir. On est resté en contact pendant plusieurs mois.

« Pour moi, c’était vraiment de la survie. Tu ne vis plus, tu survis juste »

Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux. J’ai de la stabilité dans ma vie. Je sais où je vais. Je n’ai plus de pensées suicidaires. Je sais que je peux me marier et avoir des enfants. Je peux me projeter. En fait, la Manif pour tous rejetait tout ce que j’étais. Ça a été un traumatisme. Mais je n’en veux pas à mes parents. Ils sont en train de changer. Ils voulaient me transmettre quelque chose. Je leur en veux plutôt car ils faisaient du tort à beaucoup de gens en manifestant. Je n’ai pas envie d’avoir une fausse vie. Je préfère m’assumer. Je l’aime ma religion mais je me demande où est ma place en tant que gay, croyant et pratiquant. On a le droit d’être gay et croyant, c’est compatible. Avant, je me disais : la communauté lgbt va me rejeter parce que je suis croyant et la communauté religieuse ne voudra pas de moi parce que je suis gay.

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Le terme ‘gay’, je n’arrivais pas à le dire jusqu’à récemment. Pour moi, c’était une insulte. La première fois que j’en ai parlé, c’était à mon cousin. Je devais avoir 14 ou 15 ans. Et je n’ai même pas réussi à mettre un mot dessus. Gay, homo… Je détestais ces mots. Je ne pouvais pas les dire pour parler de moi-même. Depuis cet été, c’est bon. Enfin. Même si la première image de l’homosexualité, dans ma vie, c’était la Manif pour tous, j’ai quand même réussi à avancer. Je ne sais pas où j’ai trouvé cette force de caractère. Pour moi, c’était vraiment de la survie. Tu ne vis plus, tu survis juste.

Aujourd’hui, je suis apaisé. Je ne suis plus en fuite de moi-même. Depuis cet été, je prends du temps pour moi. Être avec quelqu’un, ça demande du temps. En ce moment, je n'en ai pas vraiment. Et ça fait du bien d’être seul et de se confronter à soi-même. Si, un jour, je rencontre quelqu'un, je ne dirais pas non.

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