Matteo Sedda
Toutes les photos sont de Romain Vennekens.
Société

À travers la danse, l'artiste belge Matteo Sedda évoque sa séropositivité

« J’ai utilisé la scène pour exprimer ce que je n’arrivais pas à dire dans une conversation et déclarer à mon entourage ma séropositivité. »
Romain Vennekens
Brussels, BE

Après avoir étudié la danse à Milan, Matteo Sedda (29 ans) s’est installé à Bruxelles. Tout semblait alors s’offrir à lui : il était entré dans une grande troupe, vivait de sa passion, était entouré d’ami·es. Une vie rêvée, complète, jusqu’au jour où il apprend qu’il est séropositif. Commence alors un combat intérieur qui deviendra par la suite artistique et politique. Une lutte, non contre le virus - rapidement maîtrisé - mais contre un ennemi plus dévastateur : la peur.

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Si aujourd’hui, on peut vivre avec le VIH, le tabou qui continue à entourer la maladie engendre une stigmatisation ravageuse. C’est pour lutter contre le manque d’information que Matteo a créé « POZ! ». Une performance scénique racontant le voyage initiatique d’une créature queer infectée. Un chemin qui fait écho à sa propre histoire et qui se veut avant tout un hymne à la vie.

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VICE : Salut Matteo. Quand as-tu découvert que tu étais atteint du VIH ?
Matteo : C’était en juin 2016, alors que je faisais un test de routine. Au début, j’étais plutôt OK avec cette nouvelle. Je connaissais plusieurs personnes séropositives et je savais qu’avec une seule pilule par jour, la charge virale était indétectable. Ton corps reste sain et tu ne transmets pas le virus. Mais un mois environ après avoir commencé à prendre ma pilule, j’ai pris peur. Je me suis de plus en plus enfermé dans une bulle très sombre et mélancolique. J’envisageais alors même d’arrêter de travailler dans le théâtre alors que c’était ce que j’avais toujours rêvé de faire. Je me demandais à quoi tout cela pouvait servir, je voyais ça comme une perte de temps. J’avais ce virus à l’intérieur, il me fallait désormais penser à moi, pas à la scène. C’était une période étrange.

« Actuellement, ce n’est plus le virus du VIH qui tue, mais la stigmatisation et l’isolement. »

Qu’est-ce qui te faisait si peur ?
Les préjugés et les jugements. J’ai commencé à avoir peur de ce que les autres pensaient de moi et à me poser des questions sur ce que j’avais pu faire pour attraper ce virus. Je me sentais coupable ; je ne m’acceptais pas. À chaque fois que je voulais dire à mes ami·es ou à ma famille que j’étais séropositif, les mots ne sortaient pas, ils restaient à l’intérieur. Pourtant, je savais qu’iels m’aimaient et qu’iels accepteraient, mais quelque chose me tordait l’estomac et court-circuitait mon cerveau. Aujourd’hui, je sais que tout ça sont les symptômes de ce qu’on appelle la stigmatisation.

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Pour Matteo, les pilules qu'il doit prendre quotidiennement sont - bien qu'étant une chose positive selon lui - autant de rappels de sa fragilité et de sa mortalité. Dans sa performance, il donne une nouvelle fonction aux boîtes de médicament en les utilisant comme élément de décor.

T’avais peur que ton entourage te juge ?
Oui, j’avais peur qu’on m’accuse d’avoir couché sans préservatif, qu’on vienne me parler de morale. Bien sûr, tout ça, c’était dans ma tête. Mais il y a tellement de préjugés sur le VIH, des choses soit disant éthiques qu’on brandit quand on parle du virus sans le comprendre. Le sexe, c’est un truc universel, tout le monde le fait, alors pourquoi juger ? J’ai eu ce virus parce que j’aimais quelqu’un. Je crois que si on arrêtait de toujours se juger, le monde irait bien mieux.

Aujourd’hui, si je peux parler de tout ça, c’est d’abord parce que je m’accepte mais aussi parce que je sais que mes ami·es et ma famille m’aiment et me supportent. Cet amour est présent autour de moi et me porte. Mais je sais que beaucoup de jeunes n’ont pas ce luxe. Actuellement, ce n’est plus le virus du VIH qui tue, mais la stigmatisation et l’isolement. Qu’est-ce qui t’a permis de sortir de cette bulle négative ?
Je suis tombé sur ce texte d’un auteur américain, Jeff Leavel, qui parle de la manière dont le virus lui a appris à vivre. J’ai compris que j’étais extrêmement chanceux de vivre à notre époque, où avec juste une pilule par jour, le virus reste indétectable et intransmissible. Bien sûr, je dois tout de même faire attention à ne pas oublier le médicament, veiller à ma santé et aller régulièrement chez le docteur. Mais avant, les gens mourraient et il n’y avait pas d’autre issue. Mais grâce aux combats qu’iels ont mené, que ce soit des artistes, des activistes ou de simples personnes, je peux aujourd’hui vivre comme tout le monde.

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Au travers de ta performance, j’ai le sentiment que tu cherches à transformer les peurs liées au VIH en quelque chose qui donne de la force…
Oui, ce spectacle représente mon parcours et je voulais vraiment proposer quelque chose de différent sur le VIH ; quelque chose qui parle de la vie et non de la mort. Ça surprend les gens que ce spectacle ne soit pas triste. Je dis que je suis malade mais ce n’est pas accablant. Je veux montrer qu’une personne séropositive peut être bien.

« Mes parents étaient au courant, mais beaucoup de mes ami·es ont découvert ma séropositivité en voyant le spectacle. »

Oser parler publiquement de ta séropositivité, c’était une nécessité ?
C’est pour moi le seul moyen d’obliger les gens à se poser des questions. Plusieurs personnes m’ont confié être allées faire un test après avoir vu le spectacle. C’est super, parce que beaucoup de gens ne vont même pas se faire tester par peur du résultat, alors que c’est important de savoir les choses rapidement. Et puis faire ce spectacle m’a aussi donné la force de révéler la vérité. J’ai utilisé la scène, mon élément, pour exprimer ce que je n’arrivais pas à dire dans une conversation et déclarer à mon entourage ma séropositivité. Mes parents étaient au courant, mais beaucoup de mes ami·es l’ont découvert en voyant le spectacle.

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Quelle a été la réaction de tes parents ?
D’abord la peur, parce qu’iels pensaient toujours qu’être séropositif impliquait inévitablement la mort. J’ai dû leur expliquer que non. Ce qui leur fait toujours peur aujourd’hui, c’est le regard que les autres peuvent porter sur moi. Je suis leur fils, iels veulent me protéger des discriminations ou autres jugements. Il t’arrive de subir des discriminations ?
J’ai la chance d’évoluer dans un milieu LGBTQ+ et queer où ce n’est pas un tabou. Mais le manque d’information sur le sujet engendre des discriminations. Pour te donner un exemple, l’année passée, j’étais à cette réunion sur le VIH et on parlait du fait que beaucoup de personnes séropositives ont des problèmes pour aller chez le dentiste. On les met tout en bas de la liste et ils n’obtiennent jamais de rendez-vous. Ça se passe en Belgique, et dans le milieu médical en plus !

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Dans ta performance, tu utilises comme éléments de décor des boîtes de médicaments pris par les personnes séropositives. Tu peux expliquer ce choix ?
Oui, je leur donner une nouvelle fonction. Pour moi, prendre cette pilule quotidienne est quelque chose de positif. Tu dois la prendre parce que tu veux rester en vie. Chaque jour, à 15h, je prends ma pilule et pendant un instant, ma vie se bloque. C’est comme un rappel de ma fragilité et de ma mortalité.

« Avant, je ne pensais pas à la mort. Quand on est jeune, on pense qu’on est immortel·le et la mort est quelque chose de lointain, qui ne nous concerne pas. »

Cette prise de conscience quotidienne, ça t’a changé ?
Ça a changé ma vie, oui. Avant, je ne pensais pas à la mort. Quand on est jeune, on pense qu’on est immortel·le et la mort est quelque chose de lointain, qui ne nous concerne pas. On joue aussi avec ça, avec nos limites. Avant que j’apprenne ma séropositivité, ma vie était complète ; je planais. Puis, j’ai appris que j’avais contracté le VIH et c’est comme si le virus m’avait attrapé par les pieds et ramené au sol.

J’ai pris conscience soudainement que cette immortalité était une illusion, qu’il suffisait d’un instant, d’une toute petite chose pour que la vie nous échappe. Ça m’a fait changer, d’une manière positive. J’ai pris conscience qu’il fallait que je prenne soin de ce qui importait dans ma vie : mes ami·es, ma famille et moi-même. Je suis aujourd’hui beaucoup plus conscient, à l’intérieur comme à l’extérieur. POZ! est une création du collectif Vitamina que Matteo Sedda a créé avec Alessandra Ferreri et Joshua Vanhaverbeke. Pour une information mise à jour concernant le VIH, Matteo recommande de visiter Sensoa.be et preventionsida.org.

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