Port du voile en France
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Société

« Pourquoi le voile devrait-il être tabou ? »

Régulièrement, le port du voile suscite débats et polémiques au sein de la société française. Trois jeunes femmes de confession musulmane expliquent pourquoi, selon elle, le voile n'est pas synonyme de repli communautaire.

Ce mardi 30 mars, lors de la lecture du projet de loi « séparatisme », le Sénat a adopté par 177 voix contre 141, un amendement visant à étendre le principe de neutralité aux accompagnants des sorties scolaires en interdisant notamment le port ostensible de signes religieux. Dans les faits, c’est le voile qui était encore une fois visé lors des débats devant la chambre haute, dominée par Les Républicains.

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Un amendement qui rappelle cette séance du conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté du 11 octobre 2019, quand l’élu du Rassemblement national Julien Odoul avait ordonné à une mère accompagnant une sortie scolaire de bien vouloir retirer son « voile islamique ». Une nouvelle polémique – une de plus – sur le port du voile en France avait alors enflé, relayée sur les plateaux télé par les éditorialistes et autres présentateurs en quête d’audience, Pascal Praud et Eric Zemmour en tête. Ces débats interrogeaient déjà la notion de laïcité et, surtout, contribuaient à renforcer un petit peu plus la stigmatisation des musulmans de France.

Alors que les principales intéressées n'ont pas eu l'occasion de s'exprimer sur le sujet, VICE a donnée la parole à plusieurs d'entre elles, afin de savoir si elles pensaient être des Françaises ordinaires. Ou pas.

Lina, 23 ans

VICE : Depuis combien de temps portes-tu le voile ?
Je le porte depuis l’âge de 20 ans.

Que représente le voile pour toi ?
C’est un cheminement spirituel en lien avec le divin, c’est un choix personnel. Aujourd’hui, le voile fait partie de moi.

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Comprends-tu qu’en France, certains soient opposés au port du voile ?
Non, au même titre que je ne comprends pas pourquoi certains pensent qu’il est synonyme de repli communautaire. La grande majorité des femmes qui portent le voile vivent pleinement leur vie. Elles étudient, elles travaillent et sont impliquées dans la société française, comme tout le monde.

Quel regard porte ta famille sur les débats que suscite le port du voile ?
Les membres de ma famille qui vivent à l’étranger sont choqués par toutes ces polémiques. Ils ne comprennent pas comment cela peut arriver dans un pays comme la France, qui est censé défendre la liberté et l’égalité. Je pense notamment à la notion de laïcité, qui doit protéger tous les Français. Elle donne le droit d’avoir ou non une croyance et de la pratiquer en toute liberté. Malheureusement, certaines personnes de la classe politique en ont détourné le sens.

Dans ce contexte, n’est-il pas trop difficile de se sentir comme un Français "ordinaire" ?
Je me suis toujours considérée comme une Française ordinaire. Ce sont tous les débats des politiques qui nous stigmatisent et tentent de nous soumettre leur vision de la société. Ils essaient de nous faire passer pour de femmes soumises et différentes des autres. Or ce n’est pas le cas.

Yasmine, 17 ans

VICE : Comprends-tu que pour certains, une lycéenne qui porte le voile ne relève pas d’une décision personnelle, mais plutôt d’une décision familiale, ou de l’entourage ?
En me mettant dans la peau d’un citoyen français qui ne connaît rien à l’Islam, je peux comprendre que certaines ambiguïtés soient présentes dans les esprits. Mais je ne tolère pas que ces ambiguïtés soient alimentées sur les plateaux TV ou dans des émissions qui ont pour sujet le voile sans qu’il y ait la présence d’une personne voilée. Lorsque j’ai pris la décision de porter le voile, aucun membre de ma famille n’était au courant. Je n’ai donc reçu aucune pression familiale. Au contraire, j’ai été confrontée à quelques réticences de mon père qui s’inquiétait de mon avenir en France en étant voilée.

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T’es-tu sentie jugée ? Stigmatisée ?
J’ai vite compris les inquiétudes de mon père. Pour moi, le port du voile a pour conséquence un harcèlement moral quotidien. Je me dois de retirer le voile chaque matin au lycée. C’est pour moi une punition et une épreuve à laquelle je suis confrontée quotidiennement. J’ai d’ailleurs posé la question au sein de mon établissement et c’est toujours la même réponse : C’est le principe de laïcité. Pourtant la laïcité ne veut pas dire discriminer et doit permettre à toutes les religions de coexister. En portant le voile, je n’influence personne, ce n’est pas du prosélytisme.

Comment a réagi l’équipe pédagogique ?
Le fait de venir voilée devant le lycée m’a attiré des ennuis. Certains membres de l’équipe pédagogique m’ont accueilli tous les matins pour me rappeler qu’il fallait que j’enlève mon voile avant d’entrer dans l’établissement. J’ai eu l’occasion d’en parler avec le proviseur qui m’a simplement répondu : « Dans la vie on ne peut pas toujours être d’accord avec toutes les règles, mais on doit tout de même les respecter ».

« Beaucoup ne se rendent pas compte de tout ce que peut subir une femme voilée : des insultes, des regards de travers, des menaces »

En as-tu parlé avec des professeurs ?
Oui et le plus honnête d’entre eux m’a clairement expliqué qu’on me verra toujours comme la voilée. Même si j’obtiens des diplômes, des qualifications, je serais toujours réduite à ce voile. J’ai pu voir cette réalité lors d’entretiens pour des stages ou des jobs d’été.

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Et avec tes camarades ?
Beaucoup ne se rendent pas compte de tout ce que peut subir une femme voilée : des insultes, des regards de travers, des menaces. Mais ils comprennent et m’encouragent à ne pas lâcher. La nouvelle génération serait-elle plus tolérante ? Je l’espère en tout cas.

Hajar, 23 ans

VICE : Le fait de porter le voile a-t-il été un problème durant ta scolarité ?
Hajar : Ça n’a jamais été un frein à ma scolarité, au contraire, ça me motive encore plus pour aller le plus loin possible dans les études afin d’être prise au sérieux sur le marché du travail. Je n’ai jamais eu à l’enlever depuis le lycée et j’ai toujours réussi à trouver des jobs étudiants, où ma tenue vestimentaire n’a jamais posé un problème. Les premiers jours où je l’ai mis on me répétait souvent que « ça va te fermer les portes du marché du travail ! ». Le seul secteur qui me soit fermé est le secteur public. J’y ai renoncé dès que je l’ai mis, je ne souhaite l’enlever sous aucun prétexte donc je me dirige vers des secteurs où je n’ai pas à modifier mon apparence. En parles-tu autour de toi ?
J’ai l’impression que ma génération commence à s’ouvrir légèrement à cette question. On se rend compte petit à petit que les droits des femmes sont à considérer dans une plus large dimension. Si elle a le droit de s’habiller d’une telle façon sans se faire agresser dans la rue, alors elle a le droit de se vêtir d’une autre sans pour autant être soumise à je ne sais quoi.

Selon toi, pourquoi certains assimilent cela à un repli communautaire ?
C’est marrant à quel point une chose peut avoir une définition différente pour chacun. Si vous regardez une table d’en haut elle paraîtra plate, si vous la regardez d’en face on verra clairement la perspective. Le voile c’est pareil. Certains y voient un repli communautaire moi je vois l’expression de ma liberté.

En ayant ce choix-là je suis libre, personne ne m’a forcée, ce choix n’appartient qu’à moi-même. Alors pourquoi le définir comme étant un signe de repli communautaire ? Vais-je barrer la route à toute personne qui souhaite m’adresser la parole parce qu’on ne partage pas la même religion ? C’est absurde. Porter le voile ne veut pas dire se conformer à un seul modèle caractériel. Il ne fait pas partie du mode d’emploi de la femme musulmane. J’ai mon tempérament, mes goûts, mes préférences, mes envies, mes ambitions qui me sont propres. Et ça, ça vaut pour toutes les femmes voilées. Ce serait vraiment très réducteur que de se contenter de cette vision-là. Ce signe est une affirmation d’une partie de mon identité ça s’arrête là, ça ne m’empêche absolument pas de vivre en société puisque je suis la société, j’en fais partie.

Te considères-tu comme une Française ordinaire ?
On nous bassine encore avec ces questions d’intégrations qui ne devraient même pas avoir lieu d’être. A quoi voulez-vous que je m’intègre ? Ne suis-je pas née dans l’Hexagone, je ne parle donc pas la même langue, n’ai-je pas les mêmes droits et devoirs civiques que mes concitoyens ? Je ne partage donc pas la même culture que ceux qui ne croient pas en Dieu ? En France on veut absolument nous obliger à choisir, alors que les différentes cultures auxquelles je suis issues sont des forces pour moi. Je n’ai pas à choisir, elles forment un tout. Pourquoi le voile devrait-il être tabou ? Malheureusement nous avons encore à nous justifier sur des sujets assez basiques. Tout ce que j’ai dit n’a rien de révolutionnaire, j’ai l’impression d’expliquer pourquoi 1 + 1 font 2. C’est à force de parler de repli communautaire qu’on nous stigmatise, je fréquente des personnes qui ont les mêmes centres d’intérêts que moi ce n’est pas forcément que ma religion.

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