Fossoyeur cimetiere ixelles
Société

Des feuilles mortes, des cadavres et une nouvelle vie

On a passé une année avec Patrick, repris de justice et fossoyeur au cimetière d’Ixelles.
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Brussels, BE
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Brussels, BE

Patrick a démarré sa vie d’adulte face au juge. « J’étais un petit voyou, mais gentil », assure-t-il. À l’époque, son train de vie consiste à vagabonder de coloc de potes en coloc de potes : « J'avais pas grand chose, juste du roquefort et du pain. » Alors il se démerde, jusqu’au jour où il fait une connerie et se fait attraper. Quand il passe devant le juge, celui-ci lui propose alors de faire un choix, se faire aider par un psy ou travailler : « Tu veux bosser où pour te calmer ? À l'intérieur, à l'extérieur ? » Patrick opte pour la seconde proposition et se retrouve au cimetière d’Ixelles pour y ramasser les feuilles mortes. 

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C’est là qu’un collègue, aujourd’hui retraité, lui propose de travailler comme fossoyeur. « Je savais même pas en quoi ça consistait », avoue-t-il. Aujourd’hui, Patrick a 31 ans et ça fait sept piges que c’est son métier à plein temps.

VICE l’a suivi pendant une année entière.

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« C’est trop dur, t’es choqué ; y’a des gens qui partent direct ! », remet Patrick quand il nous explique comment se sont passés ses premiers jours en tant que fossoyeur.

Manger comme un fossoyeur

Les autres gars n’ont pas hésité à le tester assez vite. Il se souvient notamment d’un de ses premiers chocs : « Ils m’ont fait venir à la morgue parce qu’ils avaient fait une exhumation. Si tu veux, dans un cercueil, y’a une boîte en métal, vraiment soudée, comme une boite à conserve. » En gros, le truc consistait à ouvrir cette boîte et déplacer le cadavre dans un autre cercueil pour l’incinérer. « Quand j’ai vu la tête du mec et l’odeur, j’ai fait trois pas en arrière, poursuit-il. Je me suis mis contre le mur, j’étais terrifié ! L’odeur c’était le pire truc. J’avais envie de vomir, je savais plus respirer. Ça s’oublie pas. »

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Mais Patrick s’accroche dur et voit finalement son contrat tomber. Au bout d’un an, il finit même par s’installer dans le cimetière : « Une maison quatre façades, j’étais bien. »

Il nous rappelle à quel point il en était loin avant de signer son CDI : « J’avais besoin d’une situation. J’y pensais vraiment fort dans ma tête, même dans mon sommeil. Je voulais une maison, une grande maison blanche ! » Pour le début de sa nouvelle carrière, il se contentera de cette bâtisse dans le cimetière.

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« Habiter dans un cimetière, ça veut dire que tu flippes dès que t’entends une porte qui grince ou n’importe quel autre bruit », précise Patrick. Au cimetière d’Ixelles, il se passe des trucs chelous, et les bruits suspects ne sont pas rares. Avec une haie coupée à mi-hauteur au fond de son jardin, Patrick a même une vue sur le cimetière pour donner un support visuel à ses pires craintes.

Certain·es proches n’osent même pas venir lui rendre visite, mais Patrick avoue avoir quand même réussi à faire venir son frère : « Je pouvais pas dormir tout seul ! Une nuit, j’avais ce rêve dans lequel une tête pourrie était nez-à-nez contre mon visage. » 

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Un jour, il finit par se rendre compte que l’un des bruits qui le faisait flipper n’était en fait que celui, inoffensif, du drapeau de la commune qui tapait sur la vitre de sa salle de bain.

Plus le temps passe, plus Patrick finit par voir le cimetière comme un lieu familier, jusqu’à finir par prendre ses aises parmi les macchabées, entre les balades nocturnes et les rides : « Un matin, en plein brouillard, j’ai pris mon skate et j’ai roulé entre les tombes. C’était un truc de dingue, j’étais comme dans un film ! » 

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Sept ans plus tard, Patrick s’est fait la main et s’est pas mal habitué à cette nouvelle vie. Il se dit satisfait de ses horaires – un 8 à 16 classique, « un peu comme à l’école » – et ne se plaint pas d’une charge de travail pourtant colossale.

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Par contre, il regrette que fossoyeur soit l’un de ces nombreux métiers invisibles. « Pendant un enterrement, les gens vont souvent remercier le prêtre mais pas les fossoyeurs, dit-il. On te regarde pas, on t’adresse pas la parole. Au début, c’était dur. »

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Mais comme pour le reste, il parvient à voir le côté positif parmi les exceptions : « D’un autre côté, je discute avec les gens qui viennent souvent, comme ce jeune qui joue tout le temps de la guitare sur la tombe de son père ou cette dame qui refleurit la tombe de son mari toutes les semaines. Y’en a qui me remercient et m’offrent des pralines tous les six mois. C’est sympa, je fais ma petite réserve pour le soir devant la télé. »

Moins enjoué, il se souvient aussi avoir fait la rencontre de personnes aujourd’hui décédées. 

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« Niveau enterrements, j’ai aussi eu de tout, relance-t-il. Des bouddhistes, des catho, des juif·ves, des musulman·es et même des chevaliers avec leurs épées. ». Il se rappelle par exemple d’un enterrement d’un supporter de foot assez intense ; d’autres supporters étaient présents et ont tous mis des cigarettes et des bières dans le trou avant d’entonner des chansons. Chacun·e sa façon de dire au revoir.

« Il y avait aussi un enterrement congolais où des pleureuses étaient là, un enterrement polonais où l’entourage chantait et pleurait en même temps ou encore un enterrement araméen où les gens jetaient du mil et et distribuaient des canettes de Coca, énumère Patrick. Et t’as les enterrements de bourges aussi. Une fois, y'avait un mec qui se demandait ce qu’ils allaient faire de la voiture du défunt. »

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Et puis, loin de cette ambiance, il y a les âmes disparues qu’on enterre seules ou très peu entourées.

« S’il commence à pleuvoir et que quelqu’un arrive tout seul, on se dit toujours que la personne décédée devait être mauvaise », ironise Patrick. 

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Grâce à son travail, Patrick a pu s’acheter un appart. C’est peut-être pas la maison blanche dont il rêvait il y a quelques années, mais ça le tient au moins éloigné du cimetière et de son atmosphère particulière.

D’ailleurs, quand il peut se le permettre, il prend ses distances avec tout ça et part loin. Il a déjà voyagé en Chine et au Japon. Dans quelques jours, il part en Tanzanie pour trois semaines. Être quotidiennement confronté à cette ambiance le pousse à profiter un maximum : « J’ai pas peur de la mort mais je trouverais ça con de mourir maintenant et de tout perdre. » 

Quand on lui demande s’il veut être enterré au cimetière d’Ixelles, Patrick sursaute : « Ça va pas ou quoi ?! Je veux être enterré loin d’ici et très profond… Qu’on me touche plus et que la nature reprenne le dessus. »

Plus de photos de Jacques Vermeer ci-dessous.

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