Société

Notre nouvel episode de DIVERSIDEAS sur le féminisme musulman

« On est maîtresses de nos idées, de nos corps et on ne veut pas être sauvées. Vraiment, arrêtez ça. »
Souria Cheurfi
Brussels, BE

Dans notre série DIVERSIDEAS, on invite des gens à s’exprimer sur des sujets qui touchent de près ou de loin à ce mot fourre-tout qu’est la « diversité ».

Le monde occidental a une vision complètement biaisée et eurocentrée du féminisme. Quand on parle de féminisme en Europe, beaucoup pensent suffragettes ou Femen, or ces mouvements sont loin d'être représentatifs de la pluralité des identités que le féminisme est supposé englober. C’est de ce constat qu’est né le concept d'intersectionnalité, terme proposé par l’afroféministe américaine Kimberlé Williams Crenshaw en 1989 pour parler de l'intersection entre le racisme et le sexisme subi par les femmes afro-américaines, qui n'étaient pas prises en compte dans les discours féministes (blancs et universalistes) de l'époque.

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32 ans plus tard, le concept a gagné en notoriété, mais le féminisme universaliste persiste. Et les femmes musulmanes en font les frais, puisqu’elles se trouvent à l’intersection de trois oppressions : le sexisme (au sein de la communauté musulmane et de la société occidentale), l’islamophobie et le racisme. 

Pour ce nouvel épisode de notre série DIVERSIDEAS, VICE a invité quatre féministes musulmanes, Fatima-Zohra Ait El Maâti (étudiante, réalisatrice en documentaire et initiatrice de la plateforme Imazi-Reine), Samira Azabar (doctorante et activiste membre de Baas Over Eigen Hoofd!, Rabina Miya (danseuse et performeuse) et Salwa Boujour (professeure assistante à l'Université Libre de Bruxelles, journaliste et co-fondatrice de Media and Diversity in Action), à partager leurs expériences.

« Les féministes libérales pensent qu’il faut se libérer de la religion pour être féministe. C’est pourquoi j’ai longtemps hésité à me qualifier de féministe. » – Samira

Samira, Fatima-Zohra, Salwa et Rabina ont chacune un parcours et une relation différente avec l’Islam et le féminisme. Salwa s’est tournée très vite vers le féminisme, après avoir été confrontée à des injustices. Ça a été plus compliqué pour Samira, qui a longtemps hésité avant de se qualifier de féministe car elle ne se retrouvait pas dans le discours féministe dominant. Pareil pour Fatima-Zohra : « Toute ma vie, jusqu’à peu près mes 19-20 ans, j’ai cru qu’il était absolument impossible d’être musulmane et féministe. » 

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Aujourd’hui, les trois femmes ne ressentent plus aucune contradiction entre leurs convictions religieuses et féministes. Rabina, quant à elle, a du mal à se positionner : « Je sens bien qu’il y a du changement et que de plus en plus de femmes musulmanes étudient l’Islam. Mais ce sont toujours les hommes qui depuis des millénaires ont préservé les règles et ont veillé à ce qu’elles soient appliquées d’après leur vision. »

Selon les quatre intervenantes, le problème ne se situe donc pas dans les textes, mais dans l’interprétation patriarcale qu’on en a fait : « À un moment, tu te rends compte que tout ce qui se trouve dans le Coran a toujours été interprété par des hommes. », explique Samira. 

Le féminisme musulman réside donc dans la réinterprétation de l’islam originel, et ce mouvement n’a rien de nouveau selon Fatima-Zohra : « Historiquement, les mouvements féministes musulmans se sont démarqués plusieurs fois en reprenant possession de l’islam originel pour exiger ce qui leur revenait de droit. »

« Opprimées », « pas libérées », « aliénées », « sous la tutelle de leurs maris et leurs frères », « pas capables d’une réflexion qui leur soit propre », les femmes musulmanes auraient « subi un lavage de cerveau » et n’auraient « pas le droit à l’autodétermination ». Ces clichés, les quatre intervenantes y sont perpétuellement confrontées. Et comme l’explique Samira, ce discours ne vient pas forcément d’hommes, mais majoritairement de femmes qui se disent féministes : « Une partie du féminisme est en fait raciste, mais ce n’est pas assumé. Pour moi, si vous ne reconnaissez pas les femmes, leur liberté de choix, leur autodétermination, et que vous les considérez comme inférieures, c’est tout sauf du féminisme. »

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Samira fait ici référence au féminisme universaliste qui « balaye toute une série d’identités », comme l’explique Salwa, et qui considère que les femmes musulmanes doivent être sauvées de leur oppression. Or le patriarcat ne s’applique pas qu’aux femmes musulmanes et pourtant, tout le monde a l’air de penser qu’il a le droit de parler en leur nom : « Toute femme est soumise au patriarcat de toute manière. Toute personne est soumise au capitalisme. Toute personne est soumise au restant des temps coloniaux. Mais ça, ça n'emmerde personne. » 

« J’ai porté le foulard pendant quatre ans, mais quand j’ai grandi, je me suis posé des questions sur mon identité, parce que c’est ce qu’on voit en premier. Et je me suis demandé : “Est-ce que c’est ce que je veux ?" » – Rabina

Impossible de parler d’Islam et de féminisme sans l’aborder. Signe visible d’appartenance religieuse, le foulard est devenu un sujet de débat politique depuis maintenant plus de trente ans, débat dans lequel tout le monde a visiblement droit au chapitre, sauf les personnes concernées. C’est d’ailleurs le caractère visible du foulard qui a poussé Rabina à le retirer.

Samira, quant à elle, l’a porté sans trop se poser de question au début, et c’est en grandissant qu’elle lui a donné la signification qu’elle lui donne aujourd’hui : une source d’inspiration faisant simplement partie de sa pratique religieuse. 

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« Personne n’a le droit de dire à une femme qu’elle doit se couvrir les cheveux et le corps. Et personne n’a le droit de dire à une femme qu’elle doit se découvrir. J’insiste. » – Salwa

Fatima-Zohra et Salwa rappellent que cette obsession pour le foulard ne date pas d’hier. En réalité, à l’époque de la colonisation en Algérie, les femmes étaient dévoilées sur la place publique lors de « cérémonies de dévoilement ». Les tentatives des gouvernements occidentaux d’interdire le port du foulard dans les espaces publics et de refuser l'accès aux études ne sont en réalité que la suite logique de ces pratiques coloniales ; cet esprit de « on est émancipé·es et on va les libérer. »

Au-delà de l’aspect colonial, Salwa rappelle avec le sourire qu’au final, « on a toujours voulu savoir ce qu’il y a en-dessous. Ce n'est pas pour rien que les catégories porno de hijab ou de beurettes sont les plus visitées notamment en France. » 

Selon Fatima-Zohra et Rabina, le réel problème des gens avec le foulard, ce n’est pas le vêtement en soi, mais le fait qu’il soit porté par des femmes racisées et ouvertement musulmanes au sein d’une société islamophobe et raciste. 

« S'il y a un truc dont les femmes musulmanes auraient besoin, c’est la paix. On a besoin qu’on nous fiche vraiment la paix. Voilà. » – Fatima-Zohra

En réalité, les femmes musulmanes n’ont absolument pas besoin qu’on se mêle de leur émancipation. Ça fait des générations qu’elles puisent leur féminisme à la source, dans le Coran. Leurs revendications sont claires : elles veulent être avoir le même accès au travail et aux études, les mêmes salaires que les hommes blancs, plus d’ouverture et d’écoute au sein des communautés musulmanes et occidentales, des espaces de discussions safe et surtout, qu’on leur foute la paix. 

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