Mais la motivation est là et ça se voit. En même temps, il suffit de faire le calcul des gains à la fin de la journée pour comprendre. Parce que Fede et Filippo sont des dealers de truffes. Avec leurs associés, ils détiennent une grande partie du marché des restaus étoilés, gastro ou « branchouilles » de Milan – ainsi que celui plus petit des hôtels de luxe 5 étoiles.Ils vendent environ 10 à 15 kg de truffes blanches par semaine, au prix actuel de 4500 à 5500 euros le kg. Ils fournissent aussi leurs adresses en truffes noires. Parfois jusqu’à 30 kg la semaine (à 600 euros le kg).Sortez la calculette et faites les comptes. De septembre à janvier, pendant les mois les plus rentables, Fede et Filippo se font des couilles en or. À l’heure où l’on retrouve le duo, tout est encore calme. La journée vient à peine de commencer.LIRE AUSSI : À la recherche de l'omelette aux truffes géante
Fede et Filippo ont choisi de bosser à Milan. Leur base stratégique est située dans une sorte de bureau/magasin, en face de la boulangerie d'Ernst Knam, via Anfossi. C’est ici que les chasseurs et autres « cavatori » (mineurs) des Apennins, d’Acqualagna dans les Marches ou de San Miniato en Toscane, débarquent quotidiennement avec leurs truffes. Aujourd'hui, elles viennent des Langhe mais n’ont pas encore atterri sur les tables de triage. Le précieux tubercule est un peu à la bourre.Lorsque vous entrez dans le magasin le matin, l'odeur de la drogue est forte, très forte : elle rappelle l'ail, la terre et la mousse, l'humidité, mais avec des nuances d’umami.
La truffe, on l’aime ou on la déteste. Il n'y a pas de demi-mesure. Au moment où son parfum pénètre les narines, c’est comme un coup d’épée – surtout le matin, quand nos récepteurs sont encore plus sensibles aux agressions extérieures.Fede et Filippo sortent des frigos de grandes caisses en bois pleines de belles grosses truffes. Elles ont été recouvertes de terre afin de maintenir l’humidité naturelle – histoire de rallonger un peu leur durée de vie.Ça sent un peu comme après une séance de cardio à la salle de gym – l’action des bactéries contribue à la formation de bis(méthylthio)méthane et de sulfure de diméthyle, deux substances odorantes – et les visages des deux dealers s’illuminent comme un junkie en pleine montée.
C'est une course contre la montre. Les prix de la truffe peuvent baisser d’un moment à l’autre et comme une épée de Damoclès, on risque de perdre de l’argent si on ne place pas quelques grammes le plus vite possible.
La meilleure façon de stocker des truffes, c'est de les envelopper dans du cachemire.
« On se tue à la tâche pendant quatre mois et on essaye de gagner autant que possible pour être en mesure de se lever à 10 heures les huit mois suivants. », ajoute Fede en conduisant la caisse, toujours une cigarette aux lèvres, excité par la journée positive qu’il vient de vivre. « Voilà, Filippo parvient à mettre de l’argent de côté pour les huit prochains mois ! ». Tout le monde rigole.En 12 heures de taf, les deux vendeurs ont croisé l’immortel rédacteur en chef de Dipiù, Sandro Mayer, et deux fois, dans deux zones diamétralement opposées de la ville, leur ami dealos albanais. Quelle coïncidence cheloue.Un dealer doit savoir rester discret. Il ne doit pas porter d’habit de luxe, de Rolex ou conduire de grosses bagnoles. Il doit garder profil bas pour ne pas attirer l’attention des voleurs ou des braqueurs.
La journée se termine au Ten Grams, le restau de streetfood à la truffe que Fede et Filippo ont ouvert près de la station Moscova avec leurs partenaires Georgio et Nico. Eux aussi ont débarqué après un détour par l’Ombrie pour une cargaison de 20 kg de truffes noires.LIRE AUSSI : Robert, sa majesté des mouches
Cet article a été préalablement publié sur Munchies Italie.Vous pouvez suivre Carlo Spinelli sur Facebook et Alice Gemignani sur Tumblr.