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Toutes les photos sont de Thomas Hurbourg.
Gaming

J’ai participé à un bootcamp d’esport pour voir ce qui me sépare des pros

Bilan de cette session d’entraînements souvent organisée en amont des grands rendez-vous compétitifs : je suis nulle.

On a tous quelques petits plaisirs sadiques dans la vie. Le mien, c’est d’aller lire les commentaires sous les articles de la rubrique esport de l’Équipe. Des pépites de littérature qui témoignent avec une grande ouverture d’esprit à quel point l’esport a enfin réussi à gagner ses lettres de noblesse en France. Spoiler, c’est faux : « Parler de carrière quand on sort a peine de la puberté en jouant avec une souris et un clavier c est du grand comique » ; « Triste prétendu sport pour des ados et même des adultes qui font pan pan avec des manettes et une souris …. et un casque pour éviter les chutes de chaises sans doute. Pathetique ».

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Ce que je trouve fascinant dans ces charmants messages, c’est d’imaginer que ces internautes visiblement très fâchés contre la discipline préfèrent passer de longues minutes de leur vie à partager leur mépris plutôt que de simplement passer leur chemin. Rien d’inhabituel sur Internet me direz-vous. Sauf qu’au bout d’un moment, j’ai fini par me demander : et si en fait, ils avaient raison ? Après tout, la carrière de joueur professionnel ne serait-elle pas à la portée du moindre quidam ayant déjà lancé une partie de Mario Kart dans sa vie ? Et, est-ce que moi j’en serais capable ? 

L'un des fondateur de l'équipe Aegis, le streameur Mistermv lance une partie sous le regard critique de Laurent « Pas de Bol » Cidere, l'un des joueurs de l'équipe

L'un des fondateur de l'équipe Aegis, le streameur Mistermv lance une partie sous le regard critique de Laurent « Pas de Bol » Cidere, l'un des joueurs de l'équipe Aegis © Thomas Hurbourg

L’un des principaux avantages de travailler comme journaliste c’est qu’il m’est parfois possible d’aller explorer des endroits rarement ouverts au public. C’est ainsi qu’un casque à la main et mon carnet dans le sac, je me retrouve embarquée par une fraîche journée de juin dans un des événements les plus importants dans la vie d’un joueur professionnel : un bootcamp. Des sessions d’entraînement intensif organisées par les équipes d’esport le plus souvent en amont de grands rendez-vous compétitifs. Ces moments privilégiés servent plusieurs intérêts. La première, c’est déjà de se motiver. 

« Quand on est tous ensemble, même si concrètement on joue les uns contre les autres, ça nous donne beaucoup d’énergie, raconte l’un des joueurs que je rencontre pour la première fois aujourd’hui, Grégoire « Un33d » Bodin, 29 ans. On s’amuse, on se vanne et on s’affronte pour essayer d’être meilleur que les autres. » 

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Ensuite, il y a bien sûr un intérêt tactique. L’équipe Aegis qui m’ouvre ses portes aujourd’hui - lancée il y a quelques mois par trois streameurs connus de la scène française Mistermv, DFG et Shaunz - est spécialisée dans un jeu bien particulier : Teamfight Tactics. Un jeu de stratégie édité par le géant américain Riot Games qui ressemble à un savant mélange entre une partie d’échecs et un jeu des sept familles. Chaque match oppose huit joueurs qui s’affrontent dans une série de duels. Le but de chacun est d’acheter des unités à placer sur le plateau, unités qui vont ensuite affronter automatiquement celles de l’adversaire. C’est ce qu’on appelle généralement un auto-chess. 

Pour parvenir au plus haut niveau de la compétition, il faut acquérir une masse d’informations conséquente et développer constamment de nouvelles stratégies. Savoir quelles unités acheter, à quel moment, comment les agencer ensemble pour qu’ils soient plus puissants que ceux de l’adversaire, etc. Lors d’un bootcamp, les joueurs et leurs coachs en profitent pour échanger sur les meilleures tactiques à adopter, se remettre en question et partager quelques tips pour améliorer leur niveau de jeu. 

Teamfight Tactics est un titre que je connais bien. J’y ai déjà souvent joué et je considère avoir un niveau pas trop mauvais. Je ne suis d’ailleurs pas totalement inexpérimentée en matière de jeux vidéo ; de mon enfance à regarder les parties de Diablo de mon père à mes centaines d’heures perdues sur Baldur’s Gate, ils ont toujours fait partie de ma vie. Autant d’éléments qui me laissaient sincèrement penser que j’arrivais en terrain conquis. Je me trompais.

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Petit moment de collaboration entre les deux joueurs qui devront pourtant s'affronter pendant la prochaine compétition.

Petit moment de collaboration entre les deux joueurs qui devront pourtant s'affronter pendant la prochaine compétition. © Thomas Hurbourg

C’est rapidement la douche froide. Tandis que les trois joueurs qui m’accompagnent se lancent chacun dans leur programme d’entraînement et cumulent les victoires, je dois me contenter de classements plutôt médiocres. A chaque cri de satisfaction lancé à l’autre bout de la salle, j’essaie pourtant de tendre l’oreille pour tenter de glaner quelques informations, sans succès. Absolument pas décidée à renoncer de sitôt, je me plonge à nouveau dans les parties qui s’enchaînent encore et encore.

Il ne me faut pas longtemps pour comprendre que cette journée sera principalement dédiée à acquérir de l’expérience. « On débriefera ce soir », lance l’un des fondateurs de l’équipe, Kévin « Shaunz » Ghanbarzadeh à quelques mètres de moi. Sauf que les heures passent, les parties continuent et, dans ma super chaise de gameuse, je commence sévèrement à m’ennuyer. Au bout d’une demi-douzaine de parties, autant dire que ma concentration s’est totalement envolée.

« Le plus difficile, c’est de réussir à toujours garder un même niveau de concentration. Ça ne sert à rien de lancer une partie sans être à fond, sinon autant ne pas jouer » - Grégoire ‘Un33d’ Bodin

A l’heure du repas, je jette quelques regards furtifs pour tenter de comprendre la stratégie adoptée en matière de déjeuner, avant de m’apercevoir qu’elle n’existe tout simplement pas. Il n’est vraiment pas question de s’arrêter de jouer. Pour devenir l’un des meilleurs joueurs du monde et maîtriser cette discipline à la perfection, il faut être capable de soutenir un rythme extrêmement important. En particulier lors des longues compétitions qui peuvent parfois être éreintantes. Ces journées de bootcamp sont une façon de se mettre dans la bonne dynamique.

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« Le plus difficile, c’est de réussir à toujours garder un même niveau de concentration, explique Grégoire. Ça ne sert à rien de lancer une partie sans être à fond, sinon autant ne pas jouer. » 

Tandis que je trépigne de plus en plus, les joueurs sont affairés à une autre de leurs activités professionnelles, le streaming. En plus de leur entraînement, ils partagent en direct leurs parties à des centaines, voire des milliers de spectateurs sur leurs chaînes Twitch respectives. Le fait de cumuler une activité de joueur professionnel à celle de streameur n’a rien d’anormal dans l’écosystème esportif, notamment dans les petites scènes compétitives. 

Les trois joueurs Arthur  « Magarky » Boutin, Grégoire « Un33d » Bodin et Laurent « Pas de Bol » Cidere analyse les données envoyées par leur analyste.

Les trois joueurs Arthur « Magarky » Boutin, Grégoire « Un33d » Bodin et Laurent « Pas de Bol » Cidere analyse les données envoyées par leur analyste. © Thomas Hurbourg

Malgré l’image très séduisante que renvoient souvent les articles sur cette pratique, l’esport ne se résume pas à des stades remplis de fans déchaînés ou des tournois avec des récompenses faramineuses. Il existe dans cet écosystème une myriade de petites scènes compétitives qui essaient de se développer avec peu de moyens et qui doivent donc trouver des alternatives financières. Depuis quelques années, allier des activités de streaming en parallèle à la pratique de l’esport est un modèle économique qui fait mouche. On paie un peu moins les joueurs mais en contrepartie, ils offrent une visibilité non négligeable sur les réseaux sociaux. 

« Ce qui va faire la différence entre un bon joueur et un excellent joueur c’est aussi la capacité à faire les bons choix, parfois de façon complètement intuitive » - Grégoire ‘Un33d’ Bodin

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Pour l’instant, autant dire que je suis mal partie pour réussir l’exploit d’intégrer une équipe d’esport. Moi qui espérais découvrir le secret pour devenir joueuse professionnelle, je me retrouve fatiguée, affamée et quelque peu découragée face au manque de résultats visibles à la fin de cette première journée de bootcamp. Je décide alors de demander conseil à l’un des joueurs. « A mon avis, si je te donne toutes mes connaissances là maintenant et que tu t'entraînes beaucoup, tu pourrais atteindre un très bon niveau de jeu, analyse Grégoire. Mais ce qui va faire la différence entre un bon joueur et un excellent joueur c’est aussi la capacité à faire les bons choix, parfois de façon complètement intuitive. » 

Toute l'équipe au rendez-vous pour écouter les analyses de Maxwell, leur coach et analyste.

Toute l'équipe au rendez-vous pour écouter les analyses de Maxwell, leur coach et analyste. © Thomas Hurbourg

Forte de ce nouvel adage, je retrouve l’équipe quelques jours plus tard pour une deuxième journée d’entraînement dans une maison en région parisienne. Dans quelques jours a lieu un grand tournoi organisé dans la ville d’Eaubonne avec plus de deux mille euros de récompense pour le vainqueur. Dans une ambiance colonie de vacances, bière à la main et les pieds nus sur la terrasse, les joueurs semblent plutôt détendus. On se lance des vannes, on se moque des stratégies improbables adoptées par les uns et les autres et on analyse les nouveautés du jeu. 

Oui, car le pire dans cette histoire, c’est que bien souvent dans l’esport, les règles ont tendance à changer. Contrairement au sport traditionnel, les jeux vidéo sont amenés à évoluer au cours du temps. Pour donner envie aux joueurs de continuer à s’investir dans un jeu, les éditeurs y apporte des modifications de façon régulière - modifications qui peuvent s’opérer sur le rythme, les règles, l’esthétique ou les stratégies à adopter. Tout ça, il faut donc y être préparé.

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« C’est vrai que, comparé à un maçon par exemple, notre activité apporte relativement peu de compétences utiles dans la vraie vie. Mais est-ce que c’est si grave ? »

« Le problème c’est que le jeu ne change pas toujours pour le mieux, se désole Laurent « Pas de Bol » Cidere. Parfois, les changements pourraient nous faire perdre l’envie de jouer ou alors ne conviennent pas vraiment à notre style de jeu. Sauf que quand tu es joueur pro, tu n’as pas vraiment le choix, tu dois continuer à jouer. » Face à cette situation, tous les joueurs n’adoptent d’ailleurs pas la même stratégie. Quand Grégoire révise ses stratégies avec minutie et vanne avec plaisir ses collègues, Arthur  « Magarky » Boutin s’amuse quant à lui à tester et développer des nouvelles compositions d’équipes plutôt étonnantes. 

Pour pallier ce problème, de nombreuses équipes ont recours à l’expertise de spécialistes qui analysent ces changements et proposent des solutions et nouvelles stratégies aux joueurs. Assis à l’ombre de quelques arbres, sur la terrasse, ils passent alors plus d’une heure et demie en visio-conférence à détailler point par point tous les détails du jeu. C’est une masse d’informations considérable puisque rien n’est négligé.

Malgré tous mes efforts, je dois bien me rendre à l’évidence : je ne suis pas prête de devenir joueuse professionnelle. Que ce soit en termes de connaissances, de motivation, de capacité de concentration, de détermination, sans même parler de talent, cette nouvelle profession qui anime tant les critiques semble loin d’être à la portée du premier venu. « C’est vrai que, comparé à un maçon par exemple, notre activité apporte relativement peu de compétences utiles dans la vraie vie, s’amuse Grégoire. Mais est-ce que c’est si grave ? »

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