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Francisco Goya, Saturne dévorant son fils. Incamerastock / Alamy Stock Photo
Food

Le réchauffement climatique pousse au cannibalisme

Plusieurs scientifiques se sont posé la question : dans un futur proche, l'humain pourrait être contraint de manger ses morts pour survivre.
Justine  Reix
Paris, FR

Dans quelques années, se cuisiner un bon petit plat sera bien plus cher et bien plus compliqué à faire qu’aujourd’hui. On peut légitimement s’avancer puisqu’au-delà de l’inflation, certains ingrédients commencent déjà à manquer et, dans le monde entier, pèse au-dessus des têtes une épée de Damoclès ; les abeilles dépérissent à vue d’oeil alors qu’elles jouent un rôle vital pour 80 % des plantes à fleurs. Quasiment tous les fruits et légumes en dépendent, tout comme les épices, le café et le cacao.

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Si l’on ne parvient pas à stopper ce processus, quelques abeilles survivantes feront de ces produits un luxe inaccessible pour le commun des mortels. Quelques entreprises décideront de polliniser elle-mêmes, pour un coût considérable et des aliments au prix tout aussi exorbitant. Effet domino oblige, cela impactera également le bétail et la viande se fera beaucoup plus rare.

Quelles solutions en cas de crise alimentaire ? Finira-t-on par bouffer son voisin ? Cette hypothèse paraît saugrenue mais la science y a déjà pensé. Notamment Magnus Söderlund, professeur et spécialiste du comportement, qui a envisagé le cannibalisme comme issue pour sauver la planète.

Ce chercheur de l’école d’économie de Stockholm a réalisé une étude intitulée Vous imaginez-vous manger de la chair humaine ? et interrogé un panel de Suédois sur le sujet. Le but : analyser leur capacité à manger des aliments dont ils n’ont pas l’habitude dans le but de réduire leur consommation de viande.

8 % des personnes interrogées ont levé la main pour dire qu’ils étaient prêts à essayer de la chair humaine dans le cas où la personne serait déjà décédée.

Le cannibalisme est-il la solution à la durabilité alimentaire à l’avenir ? ou encore Sommes-nous trop égoïstes pour vivre de façon durable ? faisaient ainsi partie des nombreuses questions auxquelles devaient répondre les participants. Ces derniers devaient ensuite donner un degré d’acceptabilité quant à la consommation de différents produits ; insectes, animaux de compagnie, cheveux ou encore viande humaine.

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Le chercheur a lui-même été obligé d’aussi répondre à la question tant attendue du cannibalisme : « J’hésite forcément, mais pour ne pas paraître trop réac’, je dirais que je suis ouvert à au moins goûter ». Comme Söderlund, 8 % des personnes interrogées ont levé la main pour dire qu’ils étaient prêts à essayer de la chair humaine dans le cas où la personne serait déjà décédée.

Bien sûr, le but du chercheur n’est pas de promouvoir le cannibalisme mais plutôt de comprendre les limites souvent fixées par des tabous et les religions qui imposent de ne pas toucher aux corps. « On est généralement plus réticents lorsqu’il s’agit de choses qu’on n’a pas l’habitude de manger, comme par exemple des insectes pour les Occidentaux. »

Mais croquer la cuisse de tonton Jacques pour Noël peut-il vraiment sauver la planète ? Plus d’un scientifique s’est intéressé au cannibalisme et l’un d’eux a eu l’idée de calculer la valeur nutritionnelle de la chair humaine. Pour des résultats particulièrement décevants. Par rapport aux autres proies du Paléolithique, les humains ne sont pas particulièrement caloriques pour leur taille.

Pour les mêmes quantités (une portion de 500 g), la viande de sanglier ou de castor représente environ 1800 calories contre 650 pour celle d’humain.

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James Cole, anthropologue et chercheur à l’Université de Brighton s’est attelé à calculer notre aspect nutritionnel, sans avoir besoin d’étudier des cadavres : « En me basant sur les compositions chimiques déjà publiées du corps humain, je me suis concentré sur les valeurs des protéines et des graisses détaillées. Les protéines et les graisses peuvent être converties en calories par une simple équation. Il s’agissait donc de cartographier les calculs avec le corps humain ».

L’universitaire admet avoir été déconcerté par ce calcul qui l’a obligé à imaginer le cannibalisme dans la vie de tous les jours. Pour les mêmes quantités (une portion de 500 g), la viande de sanglier ou de castor représente environ 1800 calories contre 650 pour celle d’humain.

Qu’est-ce qui explique alors qu’on a mangé pendant un temps de la chair humaine alors qu’on chassait des animaux beaucoup plus gros et dont la viande était plus nutritive ? Des archéologues ont trouvé des preuves de cannibalisme datant d’au moins 800 000 ans à travers des os découpés ou rongés, bien que l’on ne puisse pas en déduire les motivations. De nombreuses parties retrouvées ainsi laissent supposer que cette pratique était assez courante.

La viande humaine étant souvent mélangée avec de la viande animale, James Cole en a déduit - comme d’autres anthropologues - qu’il ne s’agissait pas d’une situation d’urgence alimentaire mais bien d’un choix délibéré de dévorer son prochain. Les hypothèses envisagées seraient que la chair humaine était un complément à l’alimentation ou que les humains mangés n’étaient pas membres du groupe et donc des étrangers dont il fallait se prémunir - et quel meilleur moyen que de s’en repaître.

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Si James Cole a adoré se pencher sur le cas du cannibalisme, le scientifique admet être dépassé par le caractère historique qui entoure ses recherches. L’aspect peu nutritionnel de la chair n’apporte pas un éclairage décisif sur la pratique. Nos ancêtres ne comptaient pas les calories comme nous le faisons aujourd’hui et ils consommaient de la viande pour se nourrir, sans avoir le choix. 

« Lorsque les chrétiens s’engagent dans l’Eucharistie, c’est l’un des plus grands actes métaphoriques du cannibalisme par la consommation du corps et du sang du Christ. »

Dans certaines tribus indiennes, le cannibalisme servait à faire vivre un proche à travers soi après la mort et quelle meilleure sépulture que le corps de ses proches ? L’anthropologue écrivait en 1972 à ce sujet dans Chronique des Indiens Guayaki : « Le traitement qui est réservé au cadavre dans l’endocannibalisme indique la volonté de nier le processus de mort et de perpétuer le défunt dans le circuit vital. Le cannibalisme affirme une continuité entre la vie et la mort et entre les générations. Il concrétise en quelque sorte la dette payée aux ancêtres. ». Ce repas s’inscrit dans un fantasme de survie et d’immortalité dont le prix à payer est sa dépouille physique. Une pratique qui pourrait tout à fait s’ancrer dans une crise climatique.

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Si le cannibalisme existe dans tout le règne animal et qu’on ne fait pas exception à cette pratique, elle est devenue petit à petit le pire des crimes. Malgré cet interdit, l’anthropophagie persiste encore à notre époque et il ne serait pas étonnant de la voir revenir. « Lorsque les chrétiens s’engagent dans l’Eucharistie, c’est l’un des plus grands actes métaphoriques du cannibalisme par la consommation du corps et du sang du Christ. De même, lorsque certaines personnes consomment le placenta après l’accouchement, ce sont des actes de cannibalisme aussi. Je pense donc qu’il est plus courant dans la société moderne que nous voudrions peut-être l’admettre ou le reconnaître nécessairement. »

Depuis qu’ils sont impactés par les effets du changement climatique, les ours blancs ont plus tendance à s’entre-dévorer pour survivre qu’en temps normal.

Mais le cannibalisme n’est pas sans danger. Entre 1950 et 1965, 2 500 membres d’une tribu en Papouasie-Nouvelle-Guinée sont morts d’une maladie dégénérative du système nerveux. La raison de ces décès fulgurants : une protéine infectieuse trouvée dans des tissus cérébraux humains des morts qu’ils mangeaient qui a contaminé tout le groupe. Tout comme n’importe quelle viande, la chair humaine doit être consommée avoir précaution pour éviter ce genre de catastrophe.

Si on ne sauvera pas la planète en se bouffant, il y a des chances que l’on puisse se bouffer les uns les autres si on finit par crever la dalle. C’est déjà le cas chez certains animaux qui peinent à se sustenter. Dans l’Arctique russe, le cannibalisme est, par exemple, en hausse chez les ours blancs. Depuis qu’ils sont impactés par les effets du changement climatique, ces animaux ont plus tendance à s’entre-dévorer pour survivre qu’en temps normal.

James Cole espère un réveil rapide et global pour éviter que cette pratique s’applique également aux humains : « J’espère que nos dirigeants mondiaux prendront rapidement des mesures sérieuses et concertées pour lutter contre ces changements climatiques qui touchent déjà de nombreux hommes. Nous avons besoin d’un avenir plus vert où nous verrions ce scénario cauchemardesque de voir le cannibalisme devenir une réalité et une option alimentaire dominante. »

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