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Stups

« Aujourd’hui, on meurt d’overdose à domicile – pas dans la rue »

Le journaliste Alexandre Kauffmann a passé un an aux côtés de l’unité « Surdose », une brigade des Stups spécialisée dans les OD mortelles. Interview.
Photo Yann Stofer

À Paris, quand le corps d’un tox est retrouvé sans vie, c’est le groupe « Surdose », une unité spéciale de la brigade des Stups, qui débarque. Sa mission ? Retrouver le dealer qui a vendu le produit, l’arrêter et le transférer au procureur qui le poursuivra pour homicide involontaire.

Le journaliste Alexandre Kauffmann s’est immergé pendant près d’un an dans le quotidien de ces sept policiers d’un genre particulier. Écoutes téléphoniques, planques, filatures, perquisitions, auditions : il a tout vu – et tout noté. De cette expérience hors du commun, il a tiré un livre qui l’est tout autant : Surdose (éditions de la Goutte d’Or) se dévore comme un polar à suspens et pourtant, tout est vrai. On y apprend, par exemple, que s’il y a 25 ans, la quasi-totalité des morts par overdose étaient dues à l’héroïne, aujourd’hui, c’est la cocaïne, et surtout les drogues de synthèses, qui en sont responsables. Alors que son livre vient de sortir en librairie, on a demandé à Alexandre Kauffmann comment il avait survécu à cette année au pays de l’O.D.

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Vice : Comment êtes-vous entré en contact avec cette fameuse brigade « Surdose » ?
Alexandre Kauffmann : À l’origine, je les ai approchés en tant que romancier. Je travaillais sur un livre fiction, Stupéfiants (Flammarion) dans lequel l’un des personnages mourrait d’overdose et j’avais besoin de connaître certains détails pour crédibiliser l’histoire. Mais très vite, le journaliste que je suis s’est évidemment dit que cette unité, unique en France, ferait un bon papier ! Après la parution de mon enquête dans Le Monde, j’ai été contacté par les éditions de la Goutte d’Or qui m’ont proposé d’y consacrer un livre. Ça tombait bien parce que j’étais frustré de ne pas être resté plus longtemps à leurs côtés.

Ces policiers ont-ils facilement accepté votre présence ?
J’ai passé beaucoup de temps à expliquer ma démarche… La présence d’un journaliste est compliquée à gérer pour des flics. D’abord parce que la Police a, par nature, le culte du secret. Et aussi le monopole de la question. Plus que ma présence, c’étaient mes interrogations qui perturbaient les flics : d’habitude, ce sont eux qui posent les questions !

Comment s’est installée la confiance, entre vous ?
La clé, c’est le temps. J’allais les voir très souvent : j’étais un peu pot-de-colle ! Au bout d’un moment, ils se sont habitués à moi et ont commencé à m’emmener avec sur leur terrain. Et là, ça a basculé : quand on reste dix heures en planque dans une voiture avec quelqu’un, on apprend à le connaître ! C’est un moment privilégié, une certaine intimité se crée et la parole se libère…
Au bout d’un moment, ils m’ont même intégré à leur dispositif : j’ai participé à un repérage dans un bar à chicha de Sevran. Les flics voulaient s’assurer que c’était bien un lieu de trafic. Ils m’ont demandé de me faire passer pour un client lambda et d’observer ce qui se passait… C’était un vrai jeu d’acteur : j’étais persuadé que le patron m’avait grillé en deux secondes mais en fait, non.

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Est-ce qu’à force, vous vous êtes pris pour un flic ?
De fait, les mecs qui se font arrêter te prennent pour un flic. Ça m’a un peu fait flipper d’ailleurs. Surtout quand j’ai croisé, en bas de chez moi, un mec que j’avais vu en interrogatoire, quelques jours plus tôt ! Ce qui est vrai, c’est qu’en passant près d’un an avec des flics, j’ai adopté certains de leurs réflexes. À la fin, je voyais du vice et du mensonge partout ! J’ai commencé à être vachement suspicieux. Je m’en suis rendu compte quand, un jour que j’étais dans la cave, je me suis imaginé des trucs super gores en entendant mon voisin qui rangeait simplement des trucs dans son box…

Cette expérience a-t-elle changé votre regard sur la Police ?
Avant ça, les flics, je les avais surtout vus quand ils m’avaient mis en garde à vue ! En passant du temps avec eux, j’ai découvert les hommes derrière les uniformes. On a même fini par nouer des liens d’amitié.

Et sur les dealers ?
J’ai toujours eu de l’empathie pour les mecs qui se font arrêter. Contrairement aux membres de l’unité « Surdose » qui n’ont pas d'estime pour eux. À mes yeux, les trafiquants ne sont que des pauvres types qui se cherchent une place dans le monde du capitalisme sauvage.

Au final, qu’avez-vous appris sur la consommation de drogue à Paris ?
Ce qui m’a le plus surpris, c’est combien les gens qui se droguent sont insérés socialement. La figure du junkie squelettique errant en guenilles sous les ponts a disparue des tableaux de l’unité « Surdose ». Aujourd’hui les victimes d’overdose se plient aux impératifs de la vie en société : ils sont informaticiens, dentistes, étudiants… En réalité, on meurt plus souvent d’overdose à domicile que dans la rue.

Surdose, Alexandre Kauffman, éditions de la Goute d'Or, 269 p.,17 euros