Pourquoi les jeux vidéo de guerre sont – et seront – toujours les meilleurs

FYI.

This story is over 5 years old.

Gaming

Pourquoi les jeux vidéo de guerre sont – et seront – toujours les meilleurs

Buter des soldats au gaz moutarde ou des civils innocents pose certes des problèmes éthiques, mais sérieux, qui s'en soucie ?
Paul Douard
Paris, FR

Capture d'écran tirée du jeu Battlefield 1 

Récemment, une bonne partie de ma vie sociale – et sexuelle – a brusquement disparu au profit de quelque chose de tout aussi jouissif mais de foncièrement plus solitaire : Battlefield 1. J'ai passé moult nuits à contempler des soldats turcs s'étouffer dans un nuage de gaz moutarde, à tuer des soldats allemands à coups de baïonnette dans la gorge et à piétiner quelques Britanniques depuis mon cheval.

Publicité

Je pense avoir apprécié la plupart des jeux vidéo de guerre qui existent depuis l'Atari 2600. Non pas que je sois particulièrement accro au sang et à la tuerie de masse, mais je dirais simplement que ces jeux sont souvent meilleurs que les autres, car nettement plus excitants – j'ai tendance à prendre le plaisir comme critère déterminant pour juger de la qualité d'une oeuvre, je l'assume. Il est clair que dans le lot, certains resteront gravés dans mon esprit pour toujours. Prenons la série des Medal of Honor par exemple, qui a fait son apparition sur Playstation en 1999, puis sur PC en 2002 avec l'épisode intitulé Débarquement allié. Ce dernier plongeait le joueur dans la peau d'un soldat lambda pendant la Seconde Guerre Mondiale. C'était une réussite absolue. Comment oublier la scène du débarquement en Normandie ? Une véritable réplique d' Il faut sauver le soldat Ryan.

La série des Call Of Duty – surtout les Modern Warfare qui sont, avouons-le, de bien meilleurs épisodes que les autres – a elle aussi su faire son effet. Le joueur y remplit des missions impossibles, comme sauver un pote soldat retenu dans une forteresse située au milieu de l'océan et infestée d'ennemis à tuer, et ne se pose pas de questions quant à la faisabilité de ses missions. « On est en face des films Marvel du jeu vidéo – tout le monde veut les voir chaque année même si beaucoup les critiquent », m'explique Yohan "Panthaa" Bensemhoun, journaliste pour Jeuxvideo.com.

Publicité

Au-delà de l'aspect évidemment anxiogène de tels jeux, qui plongent le joueur dans des situations de stress intense où il faut prendre une décision très rapidement, les FPS de guerre représentent tout ce que notre vie n'est pas, ou plus. Il ne s'agit pas de dire que la vie, c'était mieux quand les bombes tombaient sur l'Hexagone – quoi que – mais simplement d'établir un parallèle avec ce que nous sommes aujourd'hui. Dans ce type de jeu, on rentre dans la peau d'un mec courageux qui ne recule devient rien pour défendre son honneur – une figure de l'Homme tel qu'il devrait être pour certains. On est loin du cadre sup' qui se pisse dessus dès qu'un jeune basané lui demande une clope. On prend du plaisir parce qu'au-delà du simple héros, ces jeux mettent l'accent sur des valeurs positives : l'héroïsme, la bravoure et la fidélité – avec des phrases du type « Non, on ne laisse personne derrière ». Mais ce n'est que lorsque la mise en scène et le scénario sont à la hauteur que l'identification – ou du moins l'empathie – pour les personnages apparaît, et décuple le plaisir.

C'est ce que me confirme Yohan : « Le côté « militaire » de ces FPS impose des structures dirigistes, scriptées, ce qui permet de mettre le paquet côté mise en scène et d'optimiser l'épopée à l'intérieur d'un couloir dans lequel le studio a la mainmise sur les sensations de jeu et sur le spectacle offert. » L'aspect épique de ces jeux nous donne toujours l'impression de faire le bien, sans vraiment y réfléchir une seule seconde. J'imagine que la logique à l'oeuvre est un peu la même que dans un gang, ou n'importe quel groupe un poil délinquant : on se laisse guider par la vague en se disant que tout ça a un sens, que tabasser quelques étrangers est « normal ».

Publicité

C'est en tout cas ce qu'affirmait le psychiatre Stéphane Mouchabac dans une interview pour le site ZDNet: « Les joueurs font appel à des circuits psychologiques qui ne sont plus forcément réfléchis. Des états réflexes, automatiques, où le jugement de valeur n'a plus sa place. Ainsi, la violence devient ludique. C'est le paradoxe des jeux violents. »

Capture d'écran tirée du jeu Medal of Honor : Débarquement allié

Cette violence est bien entendue liée à la dimension caricaturale des FPS de guerre, qui ne présentent qu'un certain aspect de la guerre. Je veux bien sûr parler des « forces spéciales », comme nous le rapportions récemment. On parle ici de types blindés d'armes qui fument des cigares quand tout explose autour d'eux. Pour les éditeurs de jeux vidéo, ces soldats d'élites ont permis d'exacerber ce côté « méchants contre gentils » très présent dans les FPS, et de justifier le meurtre de centaines d'ennemis en proposant évidemment de jouer les gentils – blancs, cela va sans dire. Ils ne représentent pas une armée d'invasion et ne sont pas sur une ligne de front. Ils ne passent pas leurs journées à entendre une bataille hypothétique. A priori, ils ne commettent pas de bavure. Ils se trouvent loin des civils et ne combattent que des armées privées ou des terroristes – arabes, russes ou noirs, cela va sans dire.

Les éditeurs sont donc bien plus à l'aise avec ces personnages et peuvent facilement en faire des héros. On parle de mecs testostéronés au charisme certain, qui emmerdent leur chef et ne reçoivent d'ordre de personne – ce qui plait forcément à des gens qui passent leur vie à recevoir des ordres abscons d'une hiérarchie toujours invisible. Des héros de guerre donc, et non des fantassins qui violent des femmes sur le front. Les FPS de guerre utilisent souvent cette image du soldat d'élite pour présenter la guerre sous un angle particulier afin de ne pas être embarrassés par « la vraie guerre » – celle qui estropie, affame et rend fou.

Publicité

Malgré tout, certains pays n'avaient pas hésité à censurer cette mission – à l'image du Japon et de la Russie. Par la suite, c'est après l'attentat perpétré dans l'aéroport de Moscou-Domodedovo le 24 janvier 2011 que de nouvelles voix se sont fait entendre. Plusieurs médias russes ont pointé du doigt le lien entre ce drame et la mission « No Russian », accusant directement le studio américain à l'origine du jeu, Infinity Ward.

Il est évident qu'une telle mission, déjà controversée en 2009, serait inenvisageable aujourd'hui – ce qui en dit d'ailleurs beaucoup sur l'industrie des jeux vidéo et sa relation au réel. On imagine mal qu'un éditeur sorte un jeu dans lequel on vous proposerait de prendre le contrôle d'un commando de l'État islamique décimant des jeunes gens dans les rues de Paris. Alors, les FPS de guerre doivent-ils se plier à la bienséance et ne plus représenter tout ce qui fait l'atrocité – et la particularité – du monde contemporain ?

Depuis quelques années, des voix se lèvent pour protester contre l'absence de choix imposé par les éditeurs aux joueurs – ce qui conduit les gamers à être passifs et à ne jamais mettre en jeu leur sens moral. S'il est tout à fait logique que le jeu vidéo ne suive pas les mêmes règles que celles qui encadrent nos sociétés, on peut tout de même se demander si l'absence de choix ne pose pas certaines questions quant à la propension de l'être humain à suivre bêtement ce qu'on lui dit de faire. Après, le succès d'un jeu vidéo est bâti sur sa capacité à nous faire incarner une personne étrangère – c'est de cet écart que naît l'intérêt, mais aussi le questionnement éthique. De la même façon qu'un rêve est souvent régi par des lois physiques ou morales bien différentes des nôtres, le jeu vidéo obéit à une logique qui lui est propre.

Mais, après tout, c'est cette liberté créative, assumée par les studios, qui fait des FPS de guerre de véritables œuvres. Demande-t-on au spectateur d'un film de Pierre Schoendoerffer ou d'une exposition photo consacrée au conflit syrien d'être indigné par ce qu'il voit ? Il en va de même pour un gamer, qui accepte son rôle de mec passif dès lors qu'il tient une manette entre les mains.

Il faut donc voir ces jeux comme une œuvre dépassant très souvent les limites du raisonnable pour le plus grand plaisir des gamers, comme moi. Après, il ne s'agit pas d'utiliser cet argument pour légitimer tout et n'importe quoi. C'est aussi l'avis de Yohan lorsqu'il me dit que « la présence de telles scènes doit se justifier dans le scénario pour que l'impact soit fort, compris, et accepté par le spectateur. Quand on regarde par exemple Irréversible, on n'accepte la violence qu'après avoir été témoin de l'acte immonde commis par l'auteur du viol. Sans la scène choquante et atroce du souterrain, le film n'aurait pas la même puissance et le spectateur qualifierait peut-être de gratuite la violence du film. Je pense que c'est exactement pareil dans le jeu vidéo. Si la transgression de l'éthique est utile et qu'elle est habilement montrée, alors elle est justifiée et donne à l'œuvre globale un impact encore plus fort. »

Si je considère les FPS de guerre comme les meilleurs jeux au monde, c'est principalement pour cette raison. La violence y est très souvent amenée avec brio – OK pas dans Postal 2 – et ne choque que ceux qui désespèrent de trouver dans l'univers vidéoludique les racines des nombreux maux qui gangrènent notre société. Avec l'arrivée de la réalité virtuelle, nous pourrons bientôt participer pleinement à une mission d'exfiltration d'un prisonnier syrien ou alors refaire le débarquement de Normandie, tout en restant confortablement installé dans son salon. J'ai hâte.

Paul est sur Twitter.