Société

Confiné avec ma famille musulmane, je suis obligé de faire le ramadan

« En général, je passe mes journées de ramadan à l’extérieur avec mes potes et je rentre le soir pour manger. Mais cette année, j’ai pas trop le choix. »
Souria Cheurfi
Brussels, BE
Obligé de faire le ramadan
Photo via

Étant moi-même issue d’un mariage mixte et d’une famille musulmane - mon père est algérien, ma mère est belge convertie à l’islam et j’ai une soeur aînée et un petit frère -, j’ai eu un parcours religieux un peu particulier. Ma relation avec la religion a évolué au cours de ma vie, et aujourd’hui, à trente ans, je ne me considère plus comme musulmane. Pourtant, aujourd’hui, à trente ans, je continue de le cacher à mon père. Heureusement, je vis ma vie de manière indépendante et mis à part quelques mensonges ci et là et un compte Insta privé, cette situation n’est pas si contraignante.

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Quand ma famille m’a rappelé il y a quelques jours que le ramadan commençait, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit a été : « Comment j’aurais fait si j’avais été confinée en famille ? »

J’ai parlé à Abdel* (24 ans), étudiant issu d’une famille musulmane, pour savoir comment il appréhende ce ramadan un peu particulier, confiné avec sa famille pratiquante.


« Je vis avec mes parents et mes trois sœurs, toutes plus jeunes que moi. Jusqu’ici, mon confinement se passe bien. On vit dans une grande maison avec jardin et je sors une fois par jour.

Je viens d’une famille musulmane. Depuis tout petit, je rends visite à ma famille au Maroc chaque année et j’ai commencé à faire le ramadan à l’âge de 12 ans, l’âge auquel on commence tou·tes. Mais aujourd’hui, toute ma famille est croyante et pratiquante… sauf moi.

Jusqu’à la fin de l’école primaire, j’allais à la mosquée pour suivre des cours de religion islamique. Ça se passait bien, j’étais même le premier de la classe. Puis on a déménagé et la mosquée était un peu plus loin ; donc une fois en secondaire, j’ai commencé à décrocher de plus en plus.

À la fin de mes études primaires, ou début des secondaires, j’ai commencé à découvrir les soirées entre potes puis les soirées à l’extérieur. À cette époque j’étais fort influençable et, même si ce n’est probablement pas l’unique raison de ce changement, je crois que je voulais transgresser “les règles”. Petit à petit, je me suis éloigné de la religion jusqu’à m’avouer que je n’étais plus pratiquant. Je ne faisais plus rien vis à vis de la religion, donc ça n’avait plus de sens pour moi de dire que je suis musulman.

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« Je respecte totalement celleux qui pratiquent, mais j’ai décidé que c’était fini pour moi pour le moment. Je dis “pour le moment”, parce que ça m’arrive d’y repenser parfois et je me pose pas mal de questions sur mes choix. »

Je respecte totalement celleux qui pratiquent, mais j’ai décidé que c’était fini pour moi pour le moment. Je dis “pour le moment”, parce que ça m’arrive d’y repenser parfois et je me pose pas mal de questions sur mes choix. Peut-être qu’un jour ça changera, mais la religion islamique n’est pas compatible avec mon mode de vie actuel.

À l’époque, on donnait encore des cours de religion dans l’enseignement primaire et secondaire. À l’heure du cours de religion, la classe se divisait pour suivre les cours de religion islamique, catholique etc. C’est marrant parce que jusqu’en 4ème, j’étais dans une école catholique donc je suivais des cours de religion catholique. Mais en 5ème et 6ème, j’ai changé d’école, et j’ai pris l’option islamique - en même temps je me voyais mal dire autre chose à mes parents. Mais ça se passait bien, j’y ai appris pas mal des trucs sur l’Islam. Je ne partageais simplement pas mon avis avec les autres élèves. En fait je garde ça pour moi, car ce genre d’informations circule vite et j’ai peur que ça arrive aux oreilles de mes soeurs. Ça juge et ça parle…

Ça fait donc quelques années que je ne fais plus le ramadan. En général, je passe mes journées de ramadan à l’extérieur avec mes ami·es et je rentre le soir pour manger. C’est simple. Mais cette année, étant donné que je suis confronté à ma famille H24, j’ai pas trop le choix. Je le fais par respect pour ma famille. Par contre, je ne compte pas prier, car je sais que mon ramadan n’a aucune de valeur religieuse. Comme je me suis mis au sport, ce sera une sorte de régime drastique que je m’impose !

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L’avouer à mes parents est tout simplement impensable. J’ai pas toujours été un enfant sage et j’en ai déjà fait voir de toutes les couleurs à mes parents, genre vraiment. Iels ont assez de soucis comme ça et de toute façon, je trouve que ça ne concerne que moi. Je n’ai pas envie que mes parents se remettent en question quant à l’éducation qu’iels m’ont donnée car la religion est importante chez nous. Iels penseraient que c’est de leur faute. Si je les savais dans cet état, je me sentirais coupable. Je pense sincèrement que je ne leur dirai jamais la vérité à ce sujet. Je me dis que tant que mes parents ne sont pas au courant, il n'y a que moi que ça touche.

« Je pense sincèrement que je ne leur dirai jamais la vérité à ce sujet. Je me dis que tant que mes parents ne sont pas au courant, il n'y a que moi que ça touche. »

De toute façon, mes parents ne me posent jamais de questions directes sur ma foi. Mon père me demande parfois quand je vais me mettre à prier, mais je tourne un peu autour du pot. Mes petites soeurs, elles, prient. Elles sont beaucoup plus entourées de personnes pratiquantes que moi. Je vois bien qu’on n’a pas trop la même vie donc on n’échange pas trop non plus là-dessus.

Par contre, j’ai un cousin au Maroc qui est dans la même situation que moi. C’est lui qui m’a un peu montré les bails sombres du Maroc ! Il est aussi le fils aîné de la famille et il y a deux ans, en discutant, on s’est rendu compte que ni lui ni moi ne pratiquait. La différence, c’est que lui se considère musulman, alors qu’il fait tout faux. Pour moi ça n’a pas de sens, mais au moins ses parents savent qu’il ne pratique pas et j’imagine que ça les rassure de se dire qu’il est quand même “musulman”.

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Au final, j’accepte assez bien toute cette situation et le fait de devoir faire le ramadan cette année ne me dérange pas plus que ça. Je pourrais très bien manger en cachette dans ma chambre, mais je trouve ça nul donc je ne le fais pas. Ce qui m’inquiète plutôt, c’est l’avenir, surtout au niveau des relations. J’ai eu des copines, dont deux que j’ai présentées à mes parents. Elles étaient belges et mes parents me répétaient toujours qu’à long terme, ça poserait problème notamment pour l’éducation de nos enfants, etc. Iels fourraient un peu leur nez dans notre relation.

« J’ai quand même 24 ans et je pense petit à petit à me poser. Je suis le seul mec de la famille et l’aîné en plus… Si je me marie avec une belge, c’est compliqué. »

Plus récemment, j’ai rencontré une fille marocaine qui me plaisait, et bizarrement, j’ai pris peur et j’ai rapidement mis des distances. En fait je me rends compte que je ne sais pas trop comment ça marche une relation avec une femme musulmane. Je ne savais pas ce que je pouvais ou ne pouvais pas faire, et ça m’a bloqué. C’est dommage, parce que je pense que je l’aimais bien.

J’ai quand même 24 ans et je pense petit à petit à me poser. Je suis le seul mec de la famille et l’aîné en plus… Si je me marie avec une belge, c’est compliqué.

C’est facile de se cacher quand ça n’engage que toi, mais une fois que ça touche d’autres personnes, ça devient compliqué. »

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