Capilla Del Monte
Le mont Uritorco à Capilla Del Monte / Mariela Atia / AFP
Culture

Dans la ville qui abriterait une mystérieuse cité extraterrestre

À Capilla Del Monte en Argentine, de nombreux récits font référence à ERKS, une base secrète située à des centaines de mètres sous le sol et peuplée d'êtres venus d’ailleurs.

« Il faut que tu ailles à Capilla Del Monte, c’est la capitale spirituelle du pays », s’est exclamée une vendeuse ambulante de cristaux quand je lui ai confié ma spécialité en tant que journaliste : les croyances et spiritualités. Non loin de la ville argentine de Cordoba où je faisais étape, le lieu avait de quoi aiguiser ma curiosité. Ce village attire chaque année des dizaines de milliers de touristes ésotériques et autres pèlerins cosmiques en tout genre. Et pour cause, Capilla Del Monte est réputée pour ses fréquentes apparitions d'ovnis, au point que la presse locale est allée jusqu’à la surnommer « la ville où tout le monde a vu un ovni ».

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Du désert chilien en passant par Nazca au Pérou, les histoires de lieux liés aux ovnis ne sont pas rares sur cette partie du continent. Un mois auparavant, dans l’Etat de Bahia au Brésil, un guide de randonnée me confiait n’avoir peur ni des jaguars ni des serpents venimeux, mais d’être terrifié par les « êtres entrants et sortant à bord de leurs nefs dans des bases situées sous les collines du parc national de la Chapada Diamantina. » Selon ses dires, les créatures avaient « mixé leur ADN avec la population locale, ceci expliquant l’attitude “perchée“ des gens du coin » – que d'autres attribuent simplement à la weed.

« Le malheureux, qui présentait vraisemblablement des signes d’ébriété, soutenait avoir été enlevé par des extraterrestres lui ayant fait subir "des choses horribles" »

Bien que beaucoup confondent phénomènes naturels et autre ballons météo avec des soucoupes volantes, disons-le d’emblée : les phénomènes ovnis sont réels. Des témoins qu’il est difficile d’accuser de prendre des vaisseaux pour des lanternes, comme des pilotes de chasse américains, tous font état d’étranges objets volants durant leurs missions. En juillet dernier, des responsables de la Navy affirmaient leur existence. Ce qui n’est pas sans inquiéter le gouvernement américain, y voyant une menace potentielle pour la sécurité aérienne. Si ces observations n’ont pas d’explication unanime et officielle, cela n’empêche pas des myriades d’ufologistes d’élaborer, en dehors des cadres de la recherche scientifique classique, toutes sortes de thèses, de théories en tout genre, voire de doctrines religieuses – pensons par exemple au mouvement raelien.

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Et Capilla Del Monte, petite ville de la province de Cordoba en Argentine, est emblématique de l'effervescence entourant les histoires d’ovnis. Le matin de mon arrivée sur les lieux, un site d'actualité local rapportait la plainte déposée par une citoyenne en panique après que son mari a disparu quelques jours. Le malheureux, qui présentait vraisemblablement des signes d’ébriété, soutenait avoir été enlevé par des extraterrestres lui ayant fait subir « des choses horribles ».

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Photo de Marc Bonomelli à Capilla Del Monte.

La popularité du village commence le 9 janvier 1986, quand trois locaux, dont un enfant, affirment avoir vu un énorme vaisseau rond pourvu de fenêtres se poser près d’une montagne environnante, laissant une marque de 12 mètres de long sur 64 de large sur l’herbe calcinée. Depuis, les langues se délient et de plus en plus de personnes affirment voir des phénomènes étranges dans les environs : sphères lumineuses volant en formation, soucoupes, apparitions de formes humanoïdes, spectres de lumière, etc. La ville a su tirer profit de cet engouement en misant sur le tourisme ufologique, avec un festival dédié, de nombreuses boutiques et librairies, et des agences proposant des excursions en vue d’observer des ovnis, voire de communiquer avec eux. Un centre d'observation (le CIO) est d'ailleurs installé ici depuis 21 ans. Des locaux disent aussi que la NASA a une base non loin de là, mais je n’ai pas pu vérifier cette information.

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« Tous les récits font référence à la mystérieuse ERKS, une cité, ou plutôt une sorte de base galactique située à des centaines, voire des milliers de mètres sous le sol des monts Uritorco, Les Terrones et El Pajarillo »

Rien que la réception de mon auberge de jeunesse annonçait la couleur : statuettes de Jésus, de Bouddha, d’elfes et d’extraterrestres siégeant ensemble dans un joyeux syncrétisme. Car pour bon nombre de pèlerins ovnis-friendly venant ici, anges, figures religieuses ou fantastiques et passagers des soucoupes volantes prennent part à un meme panthéon cohérent.

« À Capilla Del Monte, m’a annoncé Claudio guide de montagne lors d’une excursion à Les Terrones (l’un de massifs montagneux environnants), il y a les sceptiques et les mystiques. Pour les uns, il faut voir pour croire, et pour les autres, croire pour voir ». Et si les premiers sont peut-être plus pertinents, j’ai pris le parti de m’acoquiner avec les seconds. Claudio, un colosse aux allures de ranger, la tête bien sûr les épaules, semble entre les deux camps. C’est avec une certaine distance qu’il relate les croyances de ces mystiques. Tous les récits font référence à la mystérieuse ERKS, une cité, ou plutôt une sorte de base galactique située à des centaines, voire des milliers de mètres sous le sol des monts Uritorco, Les Terrones et El Pajarillo. Là, seraient basés des êtres venus d’ailleurs, d’une autre dimension, voire du futur selon certains, ayant pour tâche d’enseigner l’humanité. Les montagnes au-dessus agiraient comme des « portails d’énergie », ouvrant le voile entre les deux mondes, et laissant passer des vibrations positives bénéficiant aux travaux ésotériques des différents médiums, chamanes, channels, guérisseurs et autres mages venant s’abreuver à cette centrale cosmique.

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Mariela Atia / AFP

Le mont Uritorco, là où serait cachée sous terre une base galactique. Mariela Atia / AFP

Selon Claudio, les lieux sont sacrés depuis la nuit des temps, en particulier pour les indiens Comechingones, qui vivaient dans la province avant d’être quasiment exterminés par les conquistadors, ou mélangés avec eux. « Des traditions rapportent que les survivants Comechingones se seraient enfuis dans les montagnes où ils se seraient immolés, car ils ont disparu sans laisser de trace. Mais beaucoup croient qu’ils ont rejoint là citée intraterrestre par des tunnels secrets », indique notre guide.

De retour dans le centre-ville, je cherchais à en savoir plus sur cette légendaire cité. Dans une boutique d’objets mystiques, deux livres étaient présentés côte à côte sur la fameuse ERKS, la ville intraterrestre où des Maîtres de Lumière guident l’humanité vers la civilisation de l’unité. J’ai pensé, avec un a priori ironique : « Je parie que les deux auteurs, qui écrivent être en contact avec ces entités et en mission pour "Être Amour" et "Partager l’amour avec l’humanité", ne peuvent pas se saquer entre eux ». Ce que me confirma quelques instants plus tard la vendeuse, au moment de l’achat, sans que j’aie à lui demander quoi que ce soit.

« Il voit même la région comme une arche de Noé potentielle qui servira de refuge après les cataclysmes qui marqueront notre Ère »

Mon dévolu s’est donc jeté sur le livre d’un certain Ariel Pro, intitulé Les cinq exercices cosmiques de ERKS. L’auteur se décrit comme un « guide mystique cosmique », ayant reçu une longue formation ésotérique, énergétique, religieuse et spirituelle en Espagne avant d’être, au gré de synchronicités et de messages de lumière, appelé par les Guides de ERKS, lesquels seraient :
« Des êtres sages d’antiques civilisations terrestres et de savoir ancestral ». Sa mission ? « Annoncer et préparer une alliance entre l’univers et l’être humain » notamment par « l’éveil de l’hémisphère droit du cerveau », lié à des facultés comme l’intuition, l’imagination, la créativité, l’inspiration, l’art et l’amour. Ariel Pro se présente aussi comme un « skywatcher », attelé à photographier et filmer les phénomènes ovnis, qu’il publie sur son site. Pour cela, il a été reçu par des médias de divers pays d’Amérique, et même du Japon.

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Une réunion de « La communauté des lumières » de Cordoba. Photo de Fraternitade.

Mais Ariel n’a pas donné suite à ma demande d’interview. A la place, j’ai déjeuné avec Raul, lui aussi « auto-convoqué » par les entités du coin. L’homme, également guide de montagne, ne présente aucun signe apparent de folie ou de bizarrerie. C’est un père de famille à la présence apaisante, qui refuse que je le prenne en photo devant une statue de petit-gris fixée à un banc. « C’est à cause de ce genre d’imageries que les gens ne nous prennent pas au sérieux, ce folklore ternit la vérité de Capilla Del Monte », insiste t-il. Raul prend sa mission au sérieux. Il explique qu’à l’instar de lieux sacrés comme Shamballa, Asgard en Russie voire Montségur dans les Pyrénées, ERKS est l’un des épicentres les plus importants pour l'éveil de la conscience. Il voit même la région comme une Arche de Noé potentielle qui servira de refuge après les cataclysmes qui marqueront notre époque. Enfin, il m’assure que j’ai un rôle à jouer dans l’ascension planétaire.

« Ils vivent dans une dimension plus subtile que le monde physique, mais grâce à leur technologie, ils peuvent modifier leur fréquence et se rendre visible, ce qui explique comment les vaisseaux apparaissent et disparaissent en un clin d’œil » – Ana Maria, guérisseuse

De retour à mon auberge, j’ai fait connaissance de Mattias, mon camarade de dortoir, lequel semblait passer le plus clair de ses journées à dormir. Tout de go, ce vingtenaire originaire de Buenos Aires m’a raconté la raison de sa venue ici. Autiste et souffrant de schizophrénie, il était harcelé par des voix qu’il entendait jour et nuit, mais le courant ne passait pas avec les psychiatres classiques. Jusqu’au jour où quelqu’un lui a recommandé Ana Maria, une guérisseuse installée à Capilla Del Monte. Sa spécialité ? Des soins à l’aide de symboles et de pentacles que lui ont révélés, m’assure-t-on, des grands êtres vivant sur l'étoile Arcturus par voie télépathique. Mattias me confiait aller beaucoup mieux depuis qu'il suivait ce traitement cosmique : maintenant, les voix ne prenaient pas le dessus sur lui. Au contraire, elles lui servaient. Une aubaine pour moi : ce jour-là, ses voix lui dirent de m’aider, et de me présenter sa chamane galactique. Que nos échanges seraient fructueux, car cette dame avait été Française dans une vie antérieure.

Une fois à son domicile et cabinet, cette diplômée en psychologie m'éclairait davantage à propos des extraterrestres. « Ils vivent dans une dimension plus subtile que le monde physique, mais grâce à leur technologie, ils peuvent modifier leur fréquence et se rendre visibles, ce qui explique comment les vaisseaux apparaissent et disparaissent en un clin d’œil », énonce-t-elle. Mais s’il est possible de voir les habitants de ERKS à l’œil nu, c’est surtout par le biais de nos facultés intuitives qu'ils se révèlent à nous. De ce fait, difficile de faire la différence entre l’imagination et la réalité. Mais cette distinction ne semble pas avoir beaucoup de sens pour ceux qui adhèrent à cette sous-culture du mysticisme ovni. L’imaginaire est une couche du réel. Et, conclue Ana Maria, les entités ne se montrent pas à ceux qui ont « un ego de peur », qui restent dans Le mental et ne savent pas « ouvrir leurs cœurs »…

En sortant, j’étais troublé. Difficile de discerner les expériences réelles que font ces gens, et leurs croyances qui s’y surimposent. J’ai terminé mon séjour en visitant la petite église de la municipalité. Les thèmes les plus surnaturels du catholicisme paraissaient bien Terre à terre à côté de ce que j’avais entendu ici.

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