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Illustration : Michelle Urra 
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Pourquoi la croisade contre Pornhub va mal finir

Depuis des années, les organisations de lutte contre la traite des êtres humains pratiquent un vigilantisme qui compromet la sécurité des travailleurs du sexe.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Nous sommes en février 2021 et un groupe chrétien extrémiste appelle à la mort d'un cadre de Pornhub sur le réseau social d'extrême droite Gab. « WANTED ! Pour des crimes contre les femmes et les enfants. Aidez-nous à traduire les pornstars en justice. Sauvez vos enfants de l'idéologie LGBT. Empêchez votre fille de devenir une pute. Sauvez la race blanche ! » Le groupe explique que Pornhub est un « cartel » et que si le Canada ne condamne pas à mort les employés de Mindgeek, la société mère du site, ses membres les exécuteront eux-mêmes. On retrouve le hashtag #Traffickinghub, le nom de la campagne visant à fermer Pornhub, lancée par Laila Mickelwait et « alimentée » par Exodus Cry, une organisation confessionnelle de lutte contre la traite des êtres humains, affiliée à une méga-église homophobe qui veut mettre fin à l'industrie pornographique.

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Le 1er octobre 2020, Exodus Cry a publié un billet de blog invitant les lecteurs à « rejoindre la lutte pour exposer Mindgeek et traduire ses 'vrais' cadres en justice pour avoir tiré profit de crimes sexuels. » Le post disait que « tous les producteurs, spectateurs et stars du porno doivent faire face à la justice pour leurs crimes ». L'objectif explicite de la campagne Traffickinghub d'Exodus Cry est de supprimer Pornhub entièrement : « Nous demandons que Pornhub soit fermé et que ses dirigeants soient tenus pour responsables de ces crimes. »

Beaucoup des posts de ces groupes extrémistes sont des appels au recrutement de nouveaux membres pour patrouiller les frontières ou s'engager dans un « activisme direct ». Les membres s'affichent avec des masques de crâne, des croix gammées, des armes et autres symboles de haine. Un post indique que « des volontaires à Los Angeles effectuent des patrouilles, à la recherche de putes, de proxénètes et de monstres trans. Les femmes doivent se protéger à tout prix, car le gouvernement Biden ne le fera pas et la situation ne fera qu'empirer ! Défendez les femmes et les enfants, abolissez le travail du sexe et les droits des trans. »

Si les organisations Traffickinghub et Exodus Cry n'ont jamais explicitement appelé à la violence contre Pornhub et ont clairement condamné ces messages, les idéologies qu'elles colportent encouragent les extrémistes : tout travail sexuel est une traite, l'industrie pornographique doit être éradiquée et les salons de massage sont des repaires d'activités criminelles.

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Un porte-parole de Pornhub m’explique que l'équipe de sécurité de l'entreprise surveille constamment les activités en ligne et en personne pour assurer la sécurité des employés. « La rhétorique anti-porno omniprésente a considérablement augmenté les cas de menaces de mort et de doxing contre nos employés, dit-il. Malheureusement, cela a également été préjudiciable aux centaines de milliers de modèles qui utilisent notre plateforme pour gagner leur vie. »

Selon Mary Moody, de l'Adult Industry Laborers & Artists Association, des organisations comme Exodus Cry et le National Center on Sexual Exploitation (NCOSE) tentent d'éradiquer l'industrie pour adultes en faisant craindre aux travailleurs du sexe pour leur vie. « L’imagerie violente de leurs sympathisants est le résultat direct de leur rhétorique violente contre les travailleurs du sexe, dit-elle. Le NCOSE et Traffickinghub attisent la frénésie meurtrière de leurs membres. C’est leur objectif, et ils sont responsables de la peur dans laquelle vivent les travailleurs du sexe et des décès qui en découlent. »

« Plus récemment, ces groupes ont utilisé un langage extrémiste et exploité le sentiment de QAnon à l'égard du trafic d'enfants, il est donc logique que leur rhétorique ait attiré et mobilisé certains des coins les plus sombres d'Internet, dit le porte-parole de Pornhub. Il est inquiétant et dangereux, mais pas le moins du monde surprenant, de voir des extrémistes utiliser un attirail nazi, des menaces de mort et des photos d'armes aux côtés du logo Traffickinghub d'Exodus Cry. »

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Militants anti-porno, néonazis et organisations de lutte contre la traite

Rien qu'aux États-Unis, il existe des centaines d'organisations de lutte contre la traite des êtres humains. L'écrasante majorité d'entre elles défendent une approche de la prostitution appelée « modèle nordique », qui criminalise l’achat de services sexuels et le proxénétisme. Néanmoins, les groupes de défense des travailleurs du sexe, ainsi que les organisations mondiales de défense des droits de l'homme, dont Amnesty International, l'ACLU et Human Rights Watch, ont mené des études qui démontrent que ce modèle ne ferait qu'exposer les travailleurs à davantage de risques. Le travail du sexe ne disparaîtrait pas d’un seul coup, il deviendrait simplement moins visible et plus dangereux.

La traite des êtres humains à des fins sexuelles est un problème réel et tragique, mais les organisations qui luttent contre cette pratique assimilent souvent l'ensemble de l'industrie des adultes, dont la pornographie, à l'exploitation, et dépeignent les travailleurs du sexe comme des victimes qui ont besoin d'être secourues. Aucun être humain raisonnable n'est favorable à la traite des êtres humains, mais ces organisations se servent de cette cause pour stigmatiser les travailleurs du sexe. Malgré tout, elles rejettent l'idée que leur représentation négative du travail du sexe et de la pornographie pourrait conduire à de la violence dans le monde réel. Laila Mickelwait va même jusqu'à suggérer, sans aucune preuve, que les messages sur Gab pourraient avoir été postés par Pornhub afin de saper sa campagne de fermeture du site. « En tant que fondatrice du mouvement Traffickinghub, je condamne fermement ce compte et ces horribles posts remplis de haine qui utilisent abusivement le hashtag TH, écrit-elle dans un tweet d'octobre 2020. Je ne serais pas du tout surprise que Pornhub en soit à l'origine pour promouvoir un faux récit. » 

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« Visuellement, ces groupes utilisent l'imagerie néonazie, notamment les croix gammées, le soleil noir (sonnenrad) et les masques de crâne, explique Joshua Fisher-Birch, chercheur au Counter Extremism Project. Ces éléments sont assez typiques du suprémacisme blanc en ligne et correspondent au modèle de propagande relayé par les groupes néonazis qui encouragent les actes de violence. »

Ces groupes partagent également certaines idéologies des groupes incel (abréviation de « involuntary celibate », « célibataire involontaire » en français). Le 16 mars, un homme blanc de 21 ans a ouvert le feu dans trois salons de massage d'Atlanta, tuant huit personnes, dont six employées asiatiques. Selon les autorités, il a invoqué sa « dépendance au sexe », décrivant ses victimes comme des « tentations qu'il voulait éliminer ». On ne sait toujours pas si ces femmes étaient bel et bien des travailleuses du sexe, mais les organisations de lutte contre la traite des êtres humains ont toutefois décidé de rejeter une partie de la responsabilité sur ces salons, qu'elles décrivent comme des rouages de la machine mondiale du trafic sexuel.

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Exodus Cry a écrit sur Facebook qu'il est « clair » que les victimes de la fusillade étaient exploitées sexuellement, citant comme seule preuve un obscur post Instagram rédigé par un internaute. « Il est doublement tragique que beaucoup de ces victimes n'aient probablement jamais eu la chance d'échapper à une vie d'exploitation ou d'obtenir justice avant que leurs vies ne soient prises, dit le post. Nous vous prions de continuer à prier pour les familles des victimes et de vous joindre à nous pour dénoncer le trafic dans les salons de massage à travers les États-Unis. » Le post ne fait aucune mention du meurtrier, ni ne condamne ses actions.

Immédiatement après la fusillade d'Atlanta, sur la section /pol/ de 4chan, connue pour ses discours haineux, quelqu'un a posté : « Ce ne sont donc pas les partisans néonazis de la suprématie blanche de Trump qui sont responsables de la fusillade d'Atlanta, mais les vendeurs de porno et de sexe qui ont empoisonné notre société. » Ce sentiment ne fait pas nécessairement écho à l'actualité ; on trouve chaque jour sur 4chan des propos tout aussi dénigrants ou menaçants pour l'industrie pornographique.

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Il existe une longue histoire de chevauchement entre la suprématie blanche et l'opposition à la pornographie, qui remonte au moins aux années 1970. « De nombreux suprémacistes blancs ont un fort ressentiment à l'égard de la pornographie, dit Fisher-Birch. Ils pensent que l'industrie pornographique est contrôlée par les Juifs, qu'elle abuse et corrompt les femmes blanches, normalise les couples mixtes et décourage la procréation chez les Blancs. Dans de nombreux cas, le porno est considéré comme faisant partie d'une vaste conspiration anti-blancs contrôlée par les Juifs. »

Cette haine, combinée à des conceptions misogynes sur le porno, est courante chez ceux qui passent à l'acte. En 1978, le suprémaciste blanc Joseph Paul Franklin a tiré sur Larry Flynt, fondateur du magazine Hustler, le rendant paraplégique. Entre 1977 et 1980, Franklin a tué vingt personnes, en ciblant principalement les Noirs, les Juifs et les défenseurs des droits civiques. Il s’est dit inspiré par « Mein Kampf » d'Hitler. En prison, il a expliqué les raisons qui l'avaient poussé à commettre son crime : « J’ai vu ce couple interracial photographié en train d’avoir des relations sexuelles. Cela m'a juste rendu malade. Les Blancs se marient avec des Blancs, les Noirs avec des Noirs. J’ai jeté le magazine et j'ai pensé, je vais tuer ce type. »

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En 2014, Elliot Rodger, un incel autoproclamé, a tué six personnes et a justifié son crime par le fait d'avoir été exposé au porno à un âge précoce. « C'était une vision à la fois choquante, traumatisante et excitante. Tous ces sentiments mélangés ont fait beaucoup de dégâts sur moi, a-t-il écrit dans son manifeste. Je suis rentré chez moi et j'ai pleuré tout seul pendant un moment. Je me sentais trop coupable de ce que j'avais vu pour en parler à mes parents. » En 2018, Alek Minassian, encore un incel, a tué dix personnes. Il s'est dit obsédé par Rodger, qu'il a présenté comme un héros, et a fait valoir son addiction aux films pornos après son arrestation. Toujours en 2018, Scott Paul Beierle a ouvert le feu dans un studio de yoga : il haïssait les femmes et a attribué son geste au porno sur le thème du yoga.

Les idéologies anti-porno ne sont pas propres aux tueurs en série ; elles sont omniprésentes en ligne, avec des forums entiers dédiés à encourager cette haine. En 2018, des militants anti-masturbation ont tweeté des menaces contre le site pornographique xHamster, appelant à « la peine capitale pour les pornographes » et joignant des images antisémites. Le groupuscule d'extrême droite des Proud Boys voit le refus de la masturbation comme une forme de contrôle : « Aucun frère hétérosexuel de la Fraternité ne doit se masturber plus d'une fois par mois civil, indique leur règlement. Tous les membres doivent s'abstenir de toute pornographie. » D'autres communautés axées sur l'abstinence à la pornographie et à la masturbation défendent une norme impossible de masculinité blanche et considèrent les actrices pornos comme des « sous-femmes ». Dans les communautés incel, la haine pour tous les acteurs de l'industrie, y compris les cam-girls et les acteurs masculins, est grimpante.

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« Pour les suprémacistes blancs, un individu qui regarde de la pornographie est un individu qui manque d'autodiscipline, qui est indigne de confiance et qui est corrompu par la culture consumériste moderne. Et dans de nombreuses communautés religieuses, la pornographie est considérée comme un péché, explique Fisher-Birch. Il est essentiel de noter que les idéologies suprémacistes blanches considèrent les femmes comme soumises aux hommes. Le contrôle du corps et de la sexualité des femmes et l'anti-féminisme jouent un rôle important. »

Le 25 mars, la commission des services financiers de la Chambre des représentants des États-Unis a invité Mickelwait à témoigner en tant qu'experte pour un panel virtuel sur la traite des êtres humains. Dans son témoignage, elle a qualifié Mindgeek, la société mère de Pornhub, de « méga-trafiquant sexuel » qui est « infesté de scènes hautement monétisées d'abus sexuels sur des enfants, de viols, d'agressions et d'autres formes de contenu pornographique non consensuel ». Comme toutes les grandes plates-formes Internet, Pornhub connaît des problèmes de harcèlement et d'escroquerie. Mais le site dispose désormais de certaines des meilleures pratiques de vérification d'identité du secteur et de directives plus strictes en matière de publications que Facebook, par exemple, où le matériel pédopornographique représente des millions de téléchargements par an.

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Un vigilantisme dangereux

Les organisations de lutte contre la traite des êtres humains promeuvent et facilitent également un type dangereux de vigilantisme contre le travail du sexe. En 2016, la sociologue Elena Shih a suivi deux ONG chrétiennes évangéliques de lutte contre la traite, Project Rescue LA et Thai Red Light Rescue LA.

Avec Project Rescue LA, elle a accompagné de petits groupes qui partaient en mission de surveillance où ils « avaient pour instruction d'entourer, de surveiller et de profiler un salon de massage », qui n'était identifié que par une petite enseigne aux néons violets indiquant « MASSAGE » dans la vitrine. « Facile à rater au milieu des restaurants gastronomiques, des épiceries et des nombreux autres commerces, c’est bien la preuve que la traite des êtres humains peut se cacher là où on s'y attend le moins », écrit Shih. Les volontaires avaient pour instruction d'enregistrer « le nombre de personnes qui entrent dans l'établissement, leur race/ethnicité, leur sexe, leur âge et la durée de leur visite ». Ils devaient également être attentifs aux signes de traite fournis par le ministère américain de la santé et des services sociaux : une expression de peur, une incapacité à parler anglais ou une absence de papiers d'identité. Les organisateurs étaient fiers de leurs efforts de sensibilisation et espéraient être utiles au département de police de Los Angeles.

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Lors d'une mission de sensibilisation avec Thai Red Light Rescue, le groupe a croisé une femme qui attendait seule dans Koreatown « vêtue d'une mini-jupe moulante, de talons hauts et d'un débardeur tout aussi moulant » et a envisagé la possibilité qu'elle soit une victime de la traite des êtres humains. Ils ont passé beaucoup de temps à l'observer et à se demander comment l'approcher, jusqu'à ce qu'une voiture remplie d'étudiants s'arrête et qu'elle monte dedans. Les militants étaient convaincus qu'ils venaient d'assister à de la prostitution et ont rejeté les soupçons de Shih, qui pense que la femme n'était qu'une étudiante qui attendait ses amis pour sortir.

Ces mêmes pratiques de surveillance, de harcèlement et de pression contre les travailleurs du sexe sont également organisées et légitimé par des dizaines d'organisations à but non lucratif et d'ONG à travers le pays. « Presque toutes ces organisations ont appelé à une surveillance et à un maintien de l'ordre accrus dans les salons de massage, ce qui s'est traduit par des centaines de raids dans tout le pays qui ont terrorisé de nombreux employés, écrit Shih dans une tribune du New York Times sur les fusillades d'Atlanta. Ces formes systémiques de violence ne peuvent être dissociées de la tuerie qui a eu lieu à Atlanta le 16 mars. »

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L'année dernière, l'organisation confessionnelle Street Grace, qui lutte contre le trafic des êtres humains, a récupéré les données d'un forum de discussion en ligne sur la clientèle des salons de massage de la région d'Atlanta et a installé des caméras pour surveiller ces établissements. L'organisation a utilisé ses observations pour faire des suppositions sur ce qui se passait à l'intérieur des salons : « Mettons qu'au moins trois personnes travaillent dans chaque établissement à un moment donné, cela représente environ 500 personnes victimes de l’industrie du massage illicite chaque jour en Géorgie », indique le rapport. Ce vigilantisme pour les salons de massage et le commerce du sexe est un point commun à de nombreuses organisations de lutte contre la traite des êtres humains. Nombre d'entre elles ont une section « agir » » sur leur site, qui comprend généralement des conseils adressés à des personnes non formées sur la façon de repérer la traite dans leur communauté et de la signaler.

« Ces organisations s’inscrivent dans la lignée de QAnon ; ce sont des groupes de réflexion à propagande haineuse qui mettent en danger la vie des travailleurs du sexe, dit Moody. Depuis des décennies, les groupes religieux anti-porno sèment la panique dans tous les secteurs de l'industrie. Avant cela, ils semaient la panique dans le commerce de la drogue. Ne vous y trompez pas, ces groupes célèbrent les attaques d'Atlanta ; ce sont eux qui les ont incitées. »

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La Coalition Against Trafficking in Women (CATW) s’est dit « profondément attristée » par la tragédie, avant de passer immédiatement à la promotion du modèle nordique. « CATW ne peut pas considérer cette tragédie comme une attaque isolée, mais la voit comme possiblement liée au commerce mondial du sexe, dont les fondements reposent sur le racisme et la misogynie systémiques et qui est alimenté par les acheteurs de services sexuels », a écrit l'organisation. « Notre position est claire : nous demandons des lois qui dépénalisent les personnes engagées dans la prostitution ; les individus les plus marginalisés de la société, qui sont en grande majorité des femmes et des personnes transsexuelles de couleur. Nous demandons également que les clients de l’industrie, qui sont presque toujours des hommes, et en grande majorité des hommes blancs, soient tenus de rendre des comptes », nous dit un porte-parole de la CATW.

Le National Center on Sexual Exploitation (NCOSE), une organisation conservatrice anti-porno et anti-travail du sexe anciennement connue sous le nom de Morality in Media, a « exprimé sa sympathie » pour les familles des victimes et a insisté sur le fait que le tireur avait une « dépendance sexuelle » et que les femmes qu'il a tuées étaient une « tentation qu'il voulait éliminer ». « La tragique réalité est qu'il existe une demande substantielle d'achat de services sexuels en Amérique », écrit-elle. Elle cite des « tonnes de preuves » que le travail du sexe est dangereux, mais ne mentionne pas les très nombreuses études réalisées par les grandes organisations, les chercheurs universitaires et les travailleurs du sexe eux-mêmes, qui montrent que la dépénalisation du travail du sexe est le moyen le plus efficace de protéger les droits et la vie de ceux qui travaillent dans ce secteur.

« L’industrie du sexe est un bastion du racisme en Amérique, me dit un porte-parole du NCOSE. Les entreprises de massage illicite à travers l'Amérique sont la preuve du racisme institutionnalisé et fétichisé envers les femmes asiatiques ; tous les hommes qui les fréquentent perpétuent ce racisme. De même, la pornographie grand public est truffée de haine raciste ; tous les consommateurs de pornographie alimentent la demande de violence sexuelle radicalisée. »

Pendant le Super Bowl 2019, Exodus Cry, le groupe conservateur anti-travail du sexe derrière la campagne visant à « fermer » Pornhub, a envoyé une « équipe de sensibilisation » à Atlanta pour confronter « les femmes et les filles sexuellement exploitées à travers Atlanta quotidiennement dans les rues, dans les clubs de strip-tease et en ligne. » Un rapport de 2017 d'Exodus Cry mentionne spécifiquement les salons de massage asiatiques. « Exodus Cry condamne le racisme et la violence sous toutes ses formes, me dit Benjamin Nolot, PDG et fondateur d'Exodus Cry. Mais en ce qui concerne la récente fusillade dans les salons de massage d'Atlanta, les preuves indiquent qu'un trafic avait lieu dans un ou plusieurs de ces établissements. On ne sait pas encore si l'une des victimes était aux prises de ce trafic, mais nous pensons que cette situation justifie une enquête. »

Prendre les menaces « au sérieux mais de manière réaliste »

L'intensification du maintien de l'ordre que ces organisations réclament nuit directement aux communautés de migrants. La police infligeait des violences aux propriétaires et aux employés des salons de massage bien avant que le tireur d'Atlanta ne les prenne pour cible. « Au lieu de protéger, l'application de la loi est en fait la principale source de préjudice contre les travailleurs du sexe, explique Elene Lam, cofondatrice de Butterfly, un réseau de soutien pour les travailleurs du sexe asiatiques et migrants basé à Toronto. Nous devons nous attaquer aux véritables raisons pour lesquelles les personnes qui travaillent dans les salons de massage ou dans l'industrie du sexe, en particulier les Asiatiques, sont vulnérables à la violence et en deviennent les principales cibles. »

Sur les forums extrémistes, les suprémacistes blancs vomissent leur haine contre les trans, les groupes raciaux marginalisés et l'industrie pornographique à grand renfort de mèmes et de hashtags ; les pires pulsions d'une culture qui ne respecte pas les travailleurs du sexe. Selon Fisher-Birch, il est compliqué de déterminer la crédibilité d'une menace. « Il est important de prendre les menaces au sérieux mais de manière réaliste, dit Fisher-Birch. Je pense qu'il est très inquiétant que ces individus profèrent des menaces violentes en ligne contre des personnes trans, des travailleurs du sexe et des militants. Je suis inquiète qu'ils commettent un acte de violence ou un crime d'opportunité dans leur propre zone géographique. »

La plupart des plateformes de réseaux sociaux sont loin d'avoir adopté des politiques efficaces contre les discours de haine. Twitter est connu pour son problème de nazis, et Facebook ne semble pas pouvoir empêcher la prolifération de la désinformation, de QAnon et de l'antisémtisme.

Aux États-Unis, l'obsession pour sauver les femmes du péché sexuel ne vient pas de nulle part. Le sexe et la pornographie sont depuis longtemps accusés d'avoir en quelque sorte détruit le pays. On pourrait remonter au puritanisme, mais même dans un passé récent, l'idée que le discours érotique menace la santé de la société persiste. À l'époque de Regan, on pensait que le porno rendrait les spectateurs violents envers les femmes, ou démantèlerait la cellule familiale, et qu'il fallait donc le réglementer : en 1986, le rapport Meese, rédigé par Edwin Meese, alors procureur général, affirmait que le porno avait des effets néfastes sur les individus et la société, et que l'industrie était un foyer pour le crime organisé. Les défenseurs de la liberté d'expression ont qualifié le rapport de partial et d'imparfait, mais les conservateurs et la droite religieuse s'en sont immédiatement emparés. Le rapport recommandait aux personnes qui s'opposent aux effets « antisociaux » du porno sur la société de prendre des mesures individuelles, notamment en manifestant dans les librairies qui vendent du matériel pornographique et en déposant des plaintes officielles auprès des autorités gouvernementales pour tout matériel jugé « nuisible, immoral ou répréhensible ». « C'est à l'individu de faire pression sur l'État pour qu'il adopte des lois interdisant le porno », indique le rapport.

Le post Facebook d'Exodus Cry sur la fusillade d'Atlanta dit pieusement « il est important de comprendre qui étaient ces victimes », avant de les réduire à des caricatures de la femme asiatique victime de trafic sexuel. Nous savons qui elles étaient parce que leurs proches l'ont dit au monde entier : des mères, des grands-mères, des filles et des amies. Elles ont travaillé de longues heures pour subvenir aux besoins de leurs familles, qui les pleurent aujourd'hui.

Comme nous l'avons vu avec les groupes extrémistes en ligne, de nombreuses personnes sont prêtes à les détester, à les profiler ou à les qualifier injustement de « victimes de la traite ». À moins que ces organisations à but non lucratif qui tentent de faire d'elles les têtes d'affiche de leur propre programme ne commencent à se concentrer sur des questions telles que la sécurité du logement, l'accès à la nourriture, l'égalité des salaires, les droits des migrants et les droits des travailleurs du sexe, elles ne seront pas les dernières victimes de cette violence insensée. L'histoire continuera simplement à se répéter.

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