Santé

Continuer de boire des coups pour sauver sa santé mentale

Après un an de « restez chez vous », la troisième vague psychiatrique est dévastatrice, surtout pour les jeunes.
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« Chacun chez soi et les moutons seront bien gardés », depuis un an le vieil adage a pris des tournures de cauchemar. Pour préserver votre santé et celle des autres, il faudrait rester chez soi. C'est le mantra du gouvernement qui alterne les confinements (avec ou sans attestation), les couvre-feux (20h, 18h puis 19h), et les restrictions (pas de musées, pas de cafés mais des magasins  bondés), histoire de nous faire croire que les choses changent alors qu'à la fin, on est toujours enfermés (sauf pour aller bosser). Pendant ce temps-là, la troisième vague psychologique fait des ravages dans la quasi indifférence générale. Le virus lui, est toujours là. Comme dans toute crise, on aime trouver le coupable idéale, surtout quand celui-ci n'a rien demandé et qu'il n'a pas les moyens de se défendre. Depuis un an le coupable est jeune, insouciant et il sort voir ses amis sans respecter les gestes barrières. C'est donc de sa faute si le Covid-19 circule, même si les contaminations dans le milieu amical (21%) arrivent en troisième position après celles dans le cercle familial (33%) et le milieu professionnel (29%), d'après les chiffres de Santé Publique France.

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« Ai-je vraiment besoin d'aller à cette fête ? »

L'été dernier, l'OMS exhortait les jeunes à ne pas « baisser la garde » et de cesser de se croire « invincibles. » S'adressant directement aux concernés, l'épidémiologiste irlandais Michael Ryan disait : « Posez-vous la question : ai-je vraiment besoin d'aller à cette fête ? » Pour beaucoup de ceux que nous avons interrogé, la réponse est oui. « C'est une question de survie, pas un caprice d'ado attardé », répond Amandine, 21 ans. « Au début, je respectais à la lettre les mesures. Puis j'ai fini par péter un plomb. Donc oui je suis sortie. Sans mes amis je ne sais pas où j'en serais aujourd'hui. »

Pour la psychologue clinicienne et auteure Marie-Estelle Dupont, sortir voir des gens relève d'un réel besoin, et non d'un simple désir. « Il y a un vrai problème de sémantique, on dit aux jeunes de faire un effort. Mais ce n'est pas un effort qu'on leur demande, c'est un sacrifice. » Pour l'auteure de Se libérer de son moi toxique (Larousse), rester seule avec soi même pour travailler, manger et regarder Netflix est exactement « l'inverse de ce dont vous avez besoin ». Discuter à la pause après votre cour, aller boire des coups après votre journée de boulot, se retrouver le samedi soir pour vous raconter votre semaine, parler du dernier film que vous avez vu ou même de votre ex, ces petites choses du quotidien, loin d'être futiles, sont de « vrais repères », explique la psychologue. « Et aujourd'hui, les jeunes ont perdu tous leurs repères, ils ne peuvent plus se projeter », se désole-t-elle.

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Baptiste, 22 ans, étudiant en musique, nous confie avoir le sentiment « d'être coincée, de manquer d'air ». Par peur de « passer le Covid » à son père, il ne voit qu'un cercle restreint d'amis et ne fait plus aucune rencontre depuis un an. « Les bars me manquent, ils ont quelque chose de rassurant. On s'y sent presque important, intégré au monde. »

« Le manque d'interactions fait perdre l'estime de soi »

Sur le plan psychique, voir des gens est primordial pour sa santé, surtout quand on est jeune, nous explique Marie-Estelle Dupont : « Quand on sort de l'enfance, on doit construire son image de soi, et on le fait en rencontrant de nouvelles personnes. C'est ce qui crée le sentiment d'identité. À terme, le manque d’interactions fait perdre l'estime de soi. » La psychologue voit passer dans son cabinet beaucoup de jeunes sans antécédents qui développent des symptômes parfois très lourds : phobies sociales, troubles anxieux puis dépressifs, troubles alimentaires, addictions, agressivité, scarifications, la liste est longue et terrifiante.

Trois jeunes sur dix affirment avoir « déjà eu des idées suicidaires », selon un sondage Ipsos publié en janvier par Le Parisien, et 40% de ces 18-24 souffrent d'un trouble anxieux généralisé. Des symptômes souvent non pris en charge. Les jeunes souffrant également de précarité n'ont tout simplement pas les moyens de se payer une séance chez le psy quand ils peinent à se nourrir. Quant aux CMP (Centre médico-psychologique), les listes d'attente dépassent parfois les six mois dans les grandes villes. « On assiste à une augmentation de la consommation d'antidépresseurs et benzodiazépines chez ces jeunes », s'inquiète Marie-Estelle Dupont.

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C'est le cas de Camille, 29 ans, angoissée à l'idée de ressortir après des mois restée seule chez elle. « C'est ce qu'on appelle le syndrome de la cabane, explique la psychologue. C'est la peur de sortir de son lieu d'enfermement, de reprendre contact avec le monde extérieur. » Un phénomène assez commun depuis l'épidémie du Covid-19. « Il y a un sentiment de l'à quoi bon qui s'est développé chez beaucoup de jeunes. Au début ils se sont adaptés, et à partir d'octobre, le manque de perspectives a créé un sentiment de perte de sens. »

« Continuer de boire des coups, c'est limite un instinct de survie »

Pour y remédier beaucoup sont ceux qui comme Victoria ont décidé de « continuer de boire des coups », chez des potes ou dehors. « C'est limite un instinct de survie », affirme cette étudiante de 20 ans en riant. « C'est la seule chose qui nous reste pour avoir un semblant de vie normale. Je culpabilise, mais j'y vais quand même ». Victoria avoue le côté paradoxal de ses choix, qui sont au final, tout aussi rationnels que ceux de nos dirigeants. « Je n'ai toujours pas compris en quoi déambuler dans un musée serait plus dangereux que faire ses courses. Ce sentiment que le gouvernement fait des choix irrationnels joue sur la dégradation de ma santé mentale également. » Métros pleins à craquer, cinéma vidés, écoles ouvertes et facs fermées, on a en effet du mal à comprendre le sens de ces mesures.

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« On a l'impression que tout ça est normal, proteste Eric Labbé, co-auteur de la tribune « Culture confinée, métros bondés : en finir avec la politique bipolaire », publiée dans Libération. Alors qu'aucun pays n'a fait de choix aussi démesuré. »  Ce spécialiste de la nuit et des pratiques festives aurait préféré un confinement strict qui permette la réouverture des terrasses et des activités en plein air au printemps, le climat nous permettant de se réunir en extérieur, là où les contaminations sont largement réduites. « On est en train de perdre du temps. La réflexion sur l'organisation des réouvertures aurait due se faire pendant l'hiver. On peut penser avec la météo, mettre en places des jauges réduites, des QR codes, des solutions il y en a. »

Inaudible pour le gouvernement qui a décidé, après une la lutte acharnée contre « l'effet apéro », de mener une guerre sans fin contre ceux qui boivent des coups dehors. Ainsi tous les week-end des policiers évacuent les quais de Seine et autre lieu de rencontre ensoleillé de la capitale sur ordres de Didier Lallement. Le préfet de police a également décrété l'interdiction de consommer de l'alcool dès 11 heures du matin dans certaines rues. Pourtant, selon le département d'épidémiologie de l'Université de Californie, qui a analysé plusieurs études sur les modes de transmission du Covid-19, les contaminations en extérieur représenteraient moins de 10% des infections. La rave-party du nouvel an à Lieuron, qui avait déchaîné les foudres, n'avait d'ailleurs pas créé de cluster. Mais puisqu'on vous le dit, la propagation du virus, c'est la faute à l'apéro. Dernière mesure en date : l'interdiction et la verbalisation des rassemblements de plus de six personnes en extérieur sur tout le territoire, demandée par Gérald Darmanin.

« Il vaut mieux se balader sur les quais plutôt que se rassembler à l'intérieur, insiste Eric Labbé. Il y a des dizaines de milliers de jeunes qui souffrent de troubles psy, on ne peut pas le nier et leur dire rester chez vous. » Eric Labbé, pointe « un impensé » du gouvernement en matière de solitude. « Pour ceux qui nous dirigent, rester chez soi c'est quand même être en contact avec sa famille, ses collaborateurs, son cercle d'amis. Pour beaucoup de jeunes mais aussi pour des minorités comme les LGBT, ils n'ont personne, ils ont besoin de l'inconnu. » Un constat que fait aussi Marie-Estelle Dupont. « C'est normal qu'ils n'aillent pas bien, on leur retire toutes leurs pulsions de vie. Ces jeunes, ce sont les adultes de demain, ils devront tout reconstruire. Le problème c'est qu'ils risquent de devenir suradaptés, et n'auront même plus leur liberté intérieure. »

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