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Comment Amo Achille a fui le Congo et sa famille pour faire de la musique

Son père l'avait banni au Congo, mais un peu plus tard, Amo s'est échappé en Europe. « Toutes les conneries de cette époque, je les ai mises dans mon disque. »

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La rue anonyme dans laquelle nous avons rendez-vous est recouverte d’un épais tapis de neige, comme si la météo voulait souligner un peu plus le long chemin parcouru par Amo Achille (31 ans). Ici à Vilvoorde, le manager d’Amo, Reza Boerhanoeddin, loue une petite cabane où un studio a été construit. Après avoir tous deux connu de courts succès - Amo avec le hit 'Boyz In The Yard' et Reza en tant que manager d'Hamza en début de carrière - ils ont récemment travaillé sur le premier album d'Amo, The Romantic Tragedy of Mistress. Mais Amo n'a pas seulement fait un disque. Il y a également intégré sa jeunesse turbulente en Afrique.

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J'ai discuté avec Amo de la dictature militaire de son père, de la manière dont il avait rompu son contrat avec Warner Music et de son immense amour pour sa petite amie. Mais aussi, pour lui-même.

VICE : Salut Amo, tu es sur le point de sortir ton premier album. Comment te sens-tu ?
Amo Achille : Tout d’abord, je tiens à dire que cette interview me rend particulièrement nerveux. Dans la vie de tous les jours, je discute beaucoup et j’ai plein d’avis sur tout, mais durant les entretiens, j'estime que je dois donner les bonnes réponses. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu te rencontrer ici en studio, où je me sens chez moi, avec Reza et Klara. Pour l’album, j’ai le sentiment que c’est mon premier projet tout à fait correct, qui est cohérent. Bien qu'il ne comporte que sept chansons, il pose enfin une structure et un ordre dans ma folie créative. Jusqu’à il y a peu, je mélangeais tout, sans réfléchir. J'ai aimé vivre comme ça, mais si tu veux toucher un certain public, tu dois développer ta propre voix et ton propre son.

J’avais déjà commencé à bosser doucement sur cet album pendant l’été 2017, mais j’ai rapidement abandonné. Cet été, je suis parti en Croatie avec ma Klara et j'ai recommencé à travailler dessus. Au lieu de venir y ajouter des choses, j’en a laissé certaines de côté.

« Mon père était dans l'armée congolaise et ne voulait pas que je devienne l'enfant gâté typique des politiciens africains. »

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Ton clip pour Sloppy Master a aussi été tourné en Croatie. Quand quelqu'un là-bas te demandait d’où tu venais, que répondais-tu ?
Pretoria, Afrique du Sud. J'ai grandi là-bas, mais mes parents sont congolais. Petit, j'ai aussi vécu en Belgique pendant un an environ, mais mon père ne voulait pas que je devienne l’enfant gâté typique des politiciens africains, un ado occidentalisé qui ne respecte pas l'autorité et qui a une grande gueule. Il faut savoir que mon père occupait un poste élevé dans l'armée congolaise et était très catholique. Nous avons donc tous déménagé en Afrique du Sud, mes frères et soeurs compris, où nous aurions plus de possibilités qu’au Congo mais où nous serions toujours en Afrique. Une fois là-bas, j’ai commencé à me rebeller, mais c’est normal.

Pourquoi c’est normal ?
Tous les ados font ça.

« Parfois, je restais là-bas trois à quatre jours, jusqu'à ce que je sois totalement bousillé. Je savais bien qu'il y aurait une punition quand je rentrerais chez moi. »

Certains plus que d’autres.
C'est vrai, plus ton éducation est extrême, plus tu y réagis. Par exemple, on n’avait pas le droit de regarder la télévision chez nous, alors qu’on en possédait une. À l’école, je devais écouter mes camarades blancs me raconter quelles séries et films géniaux ils avaient tous regardé. J'avais tout en main, mais à un moment donné, je suis devenu obsédé par « the hood ». J’allais dans des townships (le township désigne, en Afrique du Sud, des quartiers pauvres et sous-équipés réservés aux non-blancs, ndlr) où les adolescents faisaient ce qu'ils voulaient sans être redevables à personne. Parfois, je restais trois ou quatre jours, jusqu'à ce que je sois complètement bousillé. Quand je rentrais à la maison, je savais qu’un punition m’attendait. Je devais aller à l’école à pied plutôt qu’en voiture. Toute la merde que j’ai fait à cette époque, je l’ai mise dans mon disque.

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À cause de mon comportement, j'ai passé un certain temps dans une maison de redressement et après ça, plus aucune école décente ne m'a admis. En guise de punition, j'ai été renvoyé au Congo.

« Un sculpteur de l'Académie de Kinshasa m'a expliqué le fonctionnement d'un beat et la profondeur du Wu-Tang. »

C’est super radical. Moi, quand j’étais puni, je ne pouvais plus jouer à la PlayStation.
Oui, je vivais avec une tante qui était tellement croyante qu'elle considérait la musique comme l'œuvre du diable. Mais Kinshasa s’est révélé être également très instructif. À la maison, nous n’avions pas le droit de parler lingala, parce que mon père le trouvait trop vulgaire. De retour au Congo, je me suis complètement immergé dans la culture congolaise. Je restais souvent dans les chambres d'étudiants à l'Académie d’art. À Kinshasa, personne ne contrôlait qui avait le droit d’être là ou pas. Récemment, j’ai retrouvé un sculpteur que j'avais rencontré là-bas qui était venu en Belgique grâce à une bourse. Lorsque nous avons à nouveau discuté, je me suis rendu compte qu'il était le premier beatmaker que j'avais connu. Il avait le logiciel Cubase et essayait de m'expliquer dans sa chambre comment fonctionnait un beat Je ne pigeais rien à l'époque, car je m'intéressais plus au dessin qu'à la musique. Il me parlait aussi de la profondeur du Wu-Tang clan, haha.

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Combien de temps es-tu resté au Congo ?
Quelque chose comme trois ans. Mon père et ma belle-mère m’avaient confisqué mon passeport, mais j’étais déjà majeur. J’ai donc été demander un nouveau passeport à l’ambassade Sud-Africaine à Kinshasa, pour pouvoir partir en Suisse où habitait une tante de ma mère. La demande a duré au total huit mois, car tout devait être retrouvé : ma date de naissance, combien de temps j'avais vécu en Afrique du Sud, quand j'avais été naturalisé, … Juste avant de partir, ma belle-mère a découvert mon plan. On en a parlé, mais elle n'a pas pu m'arrêter.

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Pourquoi avoir choisi la Suisse ? Parce que c’est le pays le plus à l’antipode du Congo ?
Haha, non. Parce que je n’avais pas besoin de visa pour la Suisse. Au final, ça a juste été temporaire, l’histoire de quelques mois pour que je puisse tout régler pour mon retour en Belgique.

« Via Facebook, j'ai supplié les producteurs de m'envoyer des beats et Darrell Cole a sans doute reçu des messages de ma part, mais il ne s'en souvient plus. »

Tu avais tout juste vingt ans et te voilà débarquer en Belgique. As-tu pensé : putain, et maintenant, qu’est-ce que je fais ?
En fait, je voulais seulement vivre mon adolescence en différé. Être totalement libre et faire ce que je voulais. Toutes ces sorties et ces soirées ont duré jusqu’à mes 26 ou 27 ans. À cette époque, j’ai fait la connaissance de Jazz Maeson (beatmaker pour K1D, ndlr). Ça peut sembler idiot, mais j’ai parfois écrit de la poésie. Quand je faisais du freestyle dans les rues d’Afrique du Sud, par exemple. Mais à ce moment-là j'apprenais encore comment structurer les notes. Jazz Maeson était déjà beaucoup plus loin dans ce domaine.

J'ai ensuite supplié les rappeurs et les producteurs via Facebook de m’envoyer des beats sur lesquels je pourrais faire du rap. Bien sûr, personne ne me connaissait et ils ne m’ont jamais répondu. Darrell Cole a aussi reçu des messages de ma part, mais il ne s’en souvient sûrement pas.

Quand as-tu décidé de te consacrer entièrement à la musique ?
En 2015, j’ai quitté mon job de barman. Je bossais à Kessel, dans une brasserie typique où je servais de la bière toute la journée à des alcooliques blancs qui ne rentraient chez eux qu’à l’heure du petit-déj. Jazz Maeson et moi, on a loué un studio ensemble pour faire de la musique. Tous les jours. Toutes les heures. On n’avait pas d’excuse pour ne pas le faire.

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Quel a été ton premier succès ?
J'avais réalisé un afrobeat que j'ai essayé d’envoyer via Facebook - oui, encore. Il est arrivé jusqu’aux oreilles du manager de Darrell quand ils vivaient ensemble en Espagne. Un jour, Darrell avait besoin d'un bridge pour un numéro et ils m'ont contacté. J'ai donné le meilleur de moi-même pour ce truc. Finalement, la chanson n'est jamais sortie, mais je les avais impressionnés.

C’était le début d’une vague de musique urbaine flamande.
Woodie Smalls venait tout juste de signer, puis Darrell chez Sony. Soudainement, l’industrie musicale n’était plus quelque chose de mythique, c’était devenu une option viable. Bertony (Da Silva, créateur de mode, ndlr) d'Arte nous a également recommandés à tous les gérants de maison de disques qui se pointaient dans son magasin. À cette époque, la même chose s'est produite à Bruxelles. Et puis TheColorGrey a signé, et finalement j'ai moi-même signé avec Warner en septembre 2016. La vidéo de « Boyz In The Yard » a été tournée avant la fin de l'année.

« Boyz In The Yard a été un succès impulsif, je ne voulais pas être un grime rapper, alors j'ai dit à ma maison de disques que j'étais pas bien. »

Tous ceux que tu as mentionné sont maintenant déjà beaucoup plus avancés dans leurs carrières. Que s'est-il passé ?
Je ne vais pas mentir. Ces dernières années, j'ai entendu beaucoup de personnes que je connaissais à la radio et je les voyais sur des affiches alors que j'étais tout seul chez moi. Mais je n'étais tout simplement pas prêt pour ça. Je pensais qu’avoir la grosse machine d'un label derrière moi me rendrait heureux, mais ce n'était pas le cas. « Boyz In The Yard » a été un succès inattendu comme tout ce que j'ai fait à l'époque. Je ne voulais pas du tout être un grime rapper. Alors j'ai dit à ma maison de disques que j'étais pas bien, sans beaucoup plus d'explications. C'était moi, pas eux. Après j’ai pu rompre le contrat grâce à Asian Jesus ici présent (il montre son manager Reza d'origine indo-chinoise, ndlr). Warner n'a pas vraiment rendu ça difficile non plus. J'étais plus devenu un souci qu’autre chose pour eux.

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Tu es fier d’être maintenant un artiste totalement indépendant ?
Oui, d'office. L’année dernière, j’ai publié track après track pour m’exercer un peu. Maintenant, je gère un peu Photoshop, le montage, je comprends beaucoup mieux l’ensemble du business. Mon premier album est le résultat d’une courbe d’apprentissage, de tout un processus. Maintenant je suis vraiment prêt.

Sur The Romantic Tragedy of Mistress, peut-on entendre que tu as changé en tant que personne ?
J'ai toujours été plus chanteur que rappeur. Il faut voir les centaines de chansons sur mon disque dur. Les paroles sont plutôt sombres, mais c'est ce que je suis. J'avais l'habitude de penser que je devrais être plus heureux, mais je ne vais pas changer.

Il y a quelques années, j'ai eu une conversation avec l'une de mes sœurs, Pamela. Elle a admis que c'était complètement dingue de voir comment ma personnalité avait été niée dans notre famille. Être excommunié dans une famille africaine, c'est vraiment pas pour rigoler. Aujourd'hui, mes sœurs font écouter ma musique à leurs enfants et elles ne gardent plus le silence. Cette conversation et ma relation avec Klara ont changé ma vie. Ça m’aide aussi que mes parents ne soient plus là. Maintenant, j’apprécie mes faiblesses et j'ai retrouvé l'enfant au fond de moi. C'est comme tomber amoureux de soi-même. Ça peut sembler un peu narcissique, mais pour le moment je n'écoute que ma propre musique. Ça, je n'avais jamais osé le dire à personne.

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