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Dans le métavers, Somnium Space promet la vie éternelle à ses utilisateurs

L'entreprise veut développer un moyen de communiquer avec les morts. Tout ce dont elle a besoin, c’est d’un bon paquet de données personnelles.
Métavers
Photo credit : Somnium Space

Il y a presque cinq ans, le père d’Artur Sychov a été frappé par un cancer très agressif. Le diagnostic était formel : il ne lui restait plus que quelques années à vivre. Cette nouvelle l’a dévasté. « J’ai compris que le temps qu’il me restait avec lui était compté », me confiait-il la semaine dernière. À l’époque, ses propres enfants étaient encore très jeunes, et la simple idée qu’ils puissent grandir sans le moindre souvenir de leur grand-père lui faisait énormément de peine.

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Artur a alors commencé à se demander s’il n’existait pas un moyen pour que ses enfants puissent entrer en conversation avec leur grand-père, même après sa mort. Il faut savoir qu’Artur est le PDG et fondateur de Somnium Space, l’une des nombreuses versions du métavers ayant vu le jour ces dernières années. Contrairement à beaucoup de ses concurrents, Somnium Space est déjà compatible avec les casques de réalité virtuelle, ce qui permet une expérience immersive en 3D.

C’est la mort de son père qui a servi d’inspiration à Artur pour ce qu’il appellera le mode « Live Forever ». Cette future fonctionnalité de Somnium Space permettra aux utilisateurs de stocker leurs mouvements et leurs conversations sous forme de données, puis de les dupliquer pour en faire un avatar qui bouge, parle et sonne exactement comme eux — et qui pourra continuer à le faire longtemps après leur mort. Dans la tête d’Artur Sychov, c’est tout un rêve qui se réalise : on pourra discuter avec nos proches décédés dès qu’on en aura envie.

« Littéralement, si je meurs — et que mes données ont été collectées — les gens pourront venir, ou mes enfants pourront venir et avoir une conversation avec mon avatar, qui aura ma gestuelle, ma voix », m’a-t-il expliqué. « En fait, on va vraiment pouvoir rencontrer la personne. Peut-être même que pendant les dix premières minutes, on ne devinera tout simplement pas qu’il s’agit d’une IA. C’est le but. »

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Pour Sychov, c’est ce genre de possibilités d’innovation qui permet au métavers d’amener l’expérience humaine à un autre niveau, dans lequel il vaut la peine d’investir. « Les gens pensent qu’il s’agit surtout de vendre des NFT et une occasion de plus pour les marques de commercialiser leurs produits, mais c’est beaucoup plus profond que ça. »

« Nous pouvons prendre ces données, y appliquer l’IA et vous recréer sous forme d’avatar sur votre parcelle ou dans votre monde NFT, et les gens pourront venir vous parler » - Artur Sychov

Sychov a eu cette révélation lorsqu’il a réalisé l’impressionnant potentiel de collecte de données de la réalité virtuelle, une technologie qu’il a qualifiée de « magique » lors de notre entretien. « La quantité de données que nous pourrions enregistrer sur un individu est probablement de l’ordre de, soyons réaliste, 100 à 300 fois plus importante qu’avec un téléphone mobile », a-t-il déclaré. La technologie de la réalité virtuelle peut recueillir la façon dont vos doigts, votre bouche, vos yeux et votre corps tout entier bougent, pour vous identifier rapidement « et de façon beaucoup plus précise que les empreintes digitales », m’a confié Artur.  

Les recherches disponibles confirment ses affirmations. Une étude d’octobre 2020 publiée dans Nature, par exemple, a conclu qu’après moins de cinq minutes de suivi des mouvements d’une personne, la technologie de réalité virtuelle pouvait l’identifier avec une précision de 95 % parmi 500 autres individus. « C’est la raison pour laquelle la RV est si puissante », a-t-il déclaré. « Il n’y a pas moyen de la tromper ».

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Somnium Space s’est également associé et a investi dans Teslasuit, une entreprise sans lien avec Elon Musk qui développe une combinaison haptique intégrale pour la RV. Selon Sychov, cette combinaison permettra non seulement à ceux qui la portent de recevoir des signaux électriques comparables au toucher humain, mais aussi de fournir des données supplémentaires grâce à l’inclusion d’un scanner biométrique de qualité médicale, qui recueille les niveaux de cardio et de stress.

Sychov a également affirmé que les données seront en mesure d’enregistrer la façon dont vous parlez et le niveau sonore, bien qu’il n’ait pas fourni beaucoup de détails sur cette technologie — à part pour mentionner comment lui-même se fait parfois avoir pendant un instant lorsqu’il discute avec des chatbots. « Le même phénomène se produira sans doute avec la RV » a-t-il suggéré, « mais de manière encore plus convaincante ». 

Une fois toutes ces données stockées, Somnium Space s’efforcera de créer une image miroir immortelle des utilisateurs, qui possèdera les mêmes mouvements visuels et la même façon de parler qu’eux. Un projet qui a déjà fait l’objet de presque trop d’œuvres de science-fiction, si l’on pense à Dollhouse, Dune ou encore Man of Steel, dont l’intrigue tournait autour de Henry Cavill, Michael Shannon et une clé USB contenant une représentation sensible de Russell Crowe, qui, bien que mort depuis longtemps, cherchait à servir de mentor à son fils Cavill.

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« Nous pouvons prendre ces données, y appliquer l’IA et vous recréer sous forme d’avatar sur votre parcelle ou dans votre monde NFT, et les gens pourront venir vous parler », m’a expliqué Sychov.

« Avec la progression de l’IA, nous pourrons encore améliorer votre avatar dans des années, même si on n’utilise que la quantité de données actuellement recueillies à votre sujet » - Artur Sychov

La première étape consistera à lancer le processus d’enregistrement et de stockage des données de ceux qui souhaitent payer pour prendre part au mode « Live Forever ». Somnium Space prévoit de s’y atteler dès cette année, tout en limitant la collecte de données aux mouvements et aux sons émis par les utilisateurs lorsqu’ils se trouvent sur leurs propres terrains, appelés « parcelles » dans le langage du métaverse.

Somnium Space espère déployer la première série de versions IA de ses utilisateurs d’ici l’année prochaine. Les individus seront recréés sous forme d’avatars possédant leur gestuelle et leurs capacités basiques de conversation.

Mais la beauté de l’idée, selon Sychov, est que cette autre version de vous-même pourra continuer à évoluer avec la technologie de l’intelligence artificielle, même si la collecte des données a été faite il y a longtemps. « Imaginez que vous mourrez », m’a expliqué Sychov. « Avec la progression de l’IA, nous pourrons encore améliorer votre avatar dans des années, même si on n’utilise que la quantité de données actuellement recueillies à votre sujet ».

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La perspective qu’une entreprise de réalité virtuelle ait accès à autant de données sur ses utilisateurs est pour le moins inquiétante, ce que Sychov n’a pas démenti lorsque je l’ai interrogé à ce sujet. « C’est pour cette raison que Facebook effraie à ce point », m’a-t-il dit lors de notre premier entretien. « C’est effrayant d’avoir Facebook comme principal métavers. »

« Si vous ne payez pas, nous ne collecterons jamais la moindre donnée, car nous ne les vendons pas. Vous avez le contrôle. » - Artur Sychov

Contrairement à Meta, anciennement connu sous le nom de Facebook, Somnium Space ne gagne pas d’argent en vendant les données de ses utilisateurs aux annonceurs. « Nous nous posons en tant que monde décentralisé », a déclaré Sychov. « Nous n’avons pas besoin de connaître votre nom. Nous ne nous soucions pas de savoir qui vous êtes. »

Sychov estime qu’il crée un modèle économique plus responsable qui, espère-t-il, permettra aux utilisateurs de se sentir à l’aise pour confier à l’entreprise des quantités illimitées de données à des fins d’analyse. La fonctionnalité « Live Forever » sera désactivée par défaut et l’entreprise affirme qu’elle ne collectera pas de données sur les utilisateurs, sauf s’ils choisissent de payer pour. Si la société espère établir un tarif aussi bas que possible — Somnium Space demandait environ 40 euros par an aux premiers utilisateurs — Sychov a quand même admis que les coûts élevés du stockage de données nécessiteront toujours une contrepartie financière.

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(« Si vous ne payez pas, nous ne collecterons jamais la moindre donnée, car nous ne les vendons pas », a-t-il souligné. « Vous avez le contrôle. »)

Ceux qui choisissent de participer pourront activer et désactiver la fonction d’enregistrement et demander à l’entreprise de supprimer toutes leurs données dès qu’ils le souhaitent. Sychov a quand même rappelé que plus Somnium aura collecté de données à votre sujet, plus l’autre version de vous-même pourra gagner en précision dans le futur.

Bien qu’il s’agisse d’une jeune entreprise, Somnium Space a déjà dû faire face à la mort sur sa plateforme. L’un de ses propriétaires fonciers est décédé de façon inattendue, ce que Sychov m’a décrit comme un moment tragique pour l’entreprise. À la demande de la famille, la société a transféré les droits de propriété de ses parcelles à un ami qui y a construit un mémorial, toujours debout dans le métavers.

Mais même avec toute la préparation et l’expérience éthique que l’entreprise peut rassembler, surgiront toujours des questions éthiques inévitables et justifiables sur le fait de permettre à une version d’un soi de se perpétuer. Que se passera-t-il si, par exemple, les enfants d’un utilisateur décédé trouvent douloureux de savoir qu’il continue à vivre sous une forme ou une autre dans leur métavers ?

« Ce sont des situations que nous devrons résoudre avec notre équipe juridique », a déclaré Sychov, « et également avec nos utilisateurs ».

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