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La Corée du Sud interdit les tatoueurs de tatouer

Au moins un million de Sud-Coréens possèdent un tatouage, mais cet art corporel n’est légal que lorsqu’il est effectué par un professionnel de la santé. Les tatoueurs sont vénères.
Junhyup Kwon
Seoul, KR
LA CORÉE DU SUD EST LE SEUL PAYS DÉVELOPPÉ OÙ LE TRAVAIL DES TATTOO ARTISTS EST ILLÉGAL. PHOTO : VICE
South Korea is the only developed nation where tattoo artists’ work is illegal. Photo: VICE

LA CORÉE DU SUD EST LE SEUL PAYS DÉVELOPPÉ OÙ LE TRAVAIL DES TATTOO ARTISTS EST ILLÉGAL. PHOTO : VICE

SÉOUL — La Cour constitutionnelle de Corée du Sud a confirmé fin mars l’interdiction du tatouage, une décision qui a frustré les nombreux tatoueurs et amateurs de body art dans le pays.

Pendant des années, les tatoueurs Sud-Coréens ont cherché à contester une loi autorisant uniquement les professionnels de la santé à pratiquer cette procédure, affirmant qu’elle faisait d’eux des criminels. Mais suite à un vote de 5 contre 4, le tribunal a jugé que la législation était constitutionnelle, confirmant la Corée du Sud comme le seul pays développé où le travail des tatoueurs est encore une activité illégale. D’après le verdict, les tatoueurs n’ont pas les qualifications médicales nécessaires pour traiter correctement leurs clients avant et après la procédure. Un syndicat regroupant quelque 650 tatoueurs a condamné cette décision.

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« C’est presque une blague, tellement ridicule que ça en devient risible », a déclaré à VICE World News Kim Do-yoon, chef du syndicat et tatoueur réputé. Plus connu sous le nom de Doy, cet artiste a encré des stars de la K-pop et des célébrités hollywoodiennes comme Brad Pitt et Lily Collins.

« C’est une condamnation bien plus misérable que ce à quoi nous nous attendions. Ils n’ont convaincu personne avec le fait que le tatouage serait une activité médicale. Il n’y a personne pour penser ça. »

LES ŒUVRES DE DOY, UN TATOUEUR CORÉEN RENOMMÉ. PHOTO : AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE DOY

LES ŒUVRES DE DOY, UN TATOUEUR CORÉEN RENOMMÉ. PHOTO : AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DE DOY

Selon une enquête réalisée par le syndicat, au moins six artistes ont été condamnés à des peines de prison depuis avril de l’année dernière, généralement d’une durée de deux ans. En décembre, Kim a lui-même été condamné à une amende de 3770 euros suite à une vidéo YouTube devenue virale. On l’y voit tatouer un acteur coréen. Il a promis de se battre contre cette sanction.

En Corée du Sud, les pro-tattoo affirment que cette loi sur le tatouage ne répond pas à la demande et à la popularité croissante de cet art, en particulier chez les jeunes. L’année dernière, un sondage réalisé par Gallup Korea rapportait que sur 5 Sud-Coréens âgés de 20 ans et plus, 4 étaient favorables à la levée des restrictions sur le tatouage. Dans l’ensemble, 51 % des personnes interrogées étaient favorables à cette mesure, tandis que 40 % y étaient opposées.

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« La loi ne reflète pas la réalité. Le nombre de personnes qui se font tatouer augmente rapidement. Les gens veulent se faire tatouer par des tatoueurs, pas par des médecins », a déclaré Lim Bo-lan, directrice de la Korea Tattoo Federation. Elle a ajouté qu’une manifestation sera organisée le mois prochain pour demander la légalisation totale du tatouage.

C’est depuis 1992 que le tatouage par des praticiens non médicaux est illégal en Corée du Sud. À cette époque, une décision de la Cour suprême avait défini le tatouage comme un service médical. En 2016, le panel de neuf juges de la Cour constitutionnelle avait confirmé l’interdiction par un vote à 7 contre 2.

Les associations médicales du pays soutiennent depuis longtemps que seuls des professionnels de santé qualifiés devraient pratiquer cette procédure, car elle peut être dangereuse. En confirmant cette loi, la Cour constitutionnelle affirme que le tatouage pourrait provoquer des infections et d’autres complications, mais d’après Lim, les questions de sécurité peuvent être facilement améliorées, grâce notamment à des formations.

Dans le pays, le tatouage est également tabou car historiquement associé à l’encre utilisée pour marquer de façon permanente les criminels et les esclaves. Les tatouages ont ensuite acquis une connotation criminelle, les gangsters se décorant ouvertement la peau pour afficher leur appartenance à un gang.

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Aujourd’hui encore, les artistes sont tenus de dissimuler leurs tatouages lorsqu’ils apparaissent à la télévision, comme Jungkook, membre de BTS, qui porte des manches longues et un bandage pour dissimuler les siens lorsqu’il apparaît sur le petit écran.

Évidemment, l’interdiction des tatoueurs non médicaux a donné naissance à une industrie clandestine florissante. Selon l’Association coréenne du tatouage, au moins un million de Sud-Coréens seraient tatoués.

Lim nous a d’ailleurs confié que même certaines cliniques médicales engageaient secrètement des tatoueurs pro pour effectuer le travail à leur place. « Les médecins ne peuvent pas faire de l’art, et ne veulent pas non plus en faire ».

Alors qu’il y a quelques années, les tatouages étaient également stigmatisés dans le reste de l’Asie de l’Est, la plus haute cour du Japon a statué en 2020 que les tatoueurs du pays n’avaient plus besoin d’unelicence médicale pour exercer leur activité. Cependant, l’exposition publique de cet art corporel y reste fort controversée, les tatouages étant toujours associés aux yakuzas, les fameux gangsters japonais.

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