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Société

On a parlé cheveux naturels avec les visiteurs d’un festival afro hair à Anvers

La base : regarder mais pas toucher.

À l'occasion du Black History Month, on revient sur l'histoire de la diaspora africaine, on célèbre sa culture et on creuse les questions que soulèvent le colonialisme.

Mais les admirer par contre, ça on peut. Toute la semaine, on a attendu avec impatience le Kroeshaar Festival (littéralement : festival du cheveu crépu) qui se tenait à Anvers le week-end dernier. Headwrap, tresses, braids et coupes afro y étaient célébrés avec amour. Les cheveux naturels avaient eux aussi une place de choix. Pluie ou pas, chaque visiteur irradiait la fierté de par sa coiffure. Sur place, ils ont pu participer à des ateliers organisés pour apprendre à gérer les cheveux crépus ou encore assister à un défilé de mode ne faisant défiler que des mannequins « nappy hair » (contraction des mots anglais natural et happy). La ferveur avec laquelle les femmes noires et métissées ont massivement lissé leurs cheveux avec des produits chimiques et un fer brûlant semble peu à peu s'essouffler. L’acceptation des cheveux crépus, à la fois par les Noirs eux-mêmes et par la société, a fait son bout de chemin mais est encore loin d’être pleinement établie, ça c’est certain. Et cette observation ressort aussi des conversations qu’on a eues avec certains visiteurs. On est partis à la recherche des coiffures les plus extraordinaires et on a pris le temps de discuter de cheveux naturels mais aussi d’appropriation culturelle avec eux.

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Meantha (32 ans)

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VICE : Hey Meantha, tu trouves qu’un tel festival est nécessaire ?
Meantha : Oh oui, plus que nécessaire. Faut pas croire, il y a aussi des mamas noires qui ne savent pas comment s'y prendre ni quels produits utiliser. On a tous des cheveux crépus, mais il existe différents types. Un festival spécialement conçu pour les cheveux crépus n’est pas seulement important pour les personnes noires, mais également pour les parents adoptifs qui ont des enfants aux cheveux crépus.

Y a-t-il suffisamment de produits disponibles dans les magasins ? Ou y a-t-il encore place à amélioration ?
J'aimerais surtout voir des cosmétiques sans produits chimiques. Mais avant, il n'y avait rien du tout dans les magasins, donc on ne va pas se plaindre…

Tu t’es fait tresser les cheveux ici ?
Les perles et les bijoux viennent d’ici, mais j'ai fait faire les tresses jeudi dernier pour gagner du temps. Avant, j’avais juste un afro. Dix-sept personnes étaient modèles aujourd'hui, moi y compris. Une telle coupe de cheveux prend environ une heure si le travail est bien fait.

Quand as-tu été fière de tes cheveux naturels ?
J'en ai toujours été fière et satisfaite, mais comme je ne savais pas comment m'en occuper, à l'âge de dix-sept ans ma mère m’a défrisé les cheveux pour qu’ils soient aussi lisses que possible. C’est sympa et facile le matin, il suffit de peigner, de faire une boule et ensuite vous êtes partie. Mais après six ans de défrisage, les cheveux se décomposent à cause de tous les produits chimiques. Alors j’ai sauté le pas. Y a pas mal de vidéos sur YouTube qui vous apprennent comment faire.

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Tu as déjà rencontré des difficultés à cause de tes cheveux crépus ?
Écoute, j'ai vécu au Suriname. C'est normal là-bas si tu te promènes avec tes propres cheveux. Je n'ai jamais eu le sentiment de ne pas pouvoir me promener avec mes propres cheveux.

Et ici en Belgique ?
Oui, ici en Europe ça m’est déjà arrivé. Je suis ici depuis 2013. Je me souviens que je travaillais dans un restaurant belge et que quelqu'un m'a dit : « Qu'est-ce que tu as sur la tête ?? » J'ai répondu que c'était simplement mes cheveux. Je n'ai pas travaillé longtemps là-bas. Mais bon, je peux comprendre, si vous n’y avez jamais été confronté, c’est normal de ne pas savoir ce que c’est.

Est-ce que les gens touchent parfois ton afro ?
Non, mais celui de ma fille, ça oui.

Tu trouves ça dérangeant ?
Ça dépend. Parfois tu veux dire quelque chose et en fait ils ont déjà touché tes cheveux. Je peux comprendre. Enfin non, j’aimerais comprendre.

Que penses-tu des Blancs qui portent des tresses ?
Pourquoi pas ? Pour être honnête, ça ne fait que depuis récemment que je sais que ça peut être un problème. En temps normal, ça ne me dérangerait pas personnellement, parce que ce n'est qu'une coiffure. Si tu veux porter ça, libre à toi. Tant que tu ne leur donnes pas un autre nom, comme des boxer braids, ou que tu penses que ça vient de Kim Kardashian. C'est archi-faux, ma grand-mère et mon arrière grand-mère en avaient déjà à l’époque et ce n'était définitivement pas populaire. Chacun est libre, tout le monde possède des cheveux sur la tête, alors chacun fait ce qu’il veut !

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Kilow (27 ans)

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VICE : Salut Kilow, comment étaient tes cheveux avant ?
Kilow : C'était un peu pareil que maintenant, mais pas aussi propre. J'ai fait les tresses la semaine dernière. C'est la première fois que j'ai des tresses, normalement j'ai toujours un afro. Ou parfois je fais un genre de dreadlocks, tournées avec les doigts et puis du gel.

As-tu déjà défrisé tes cheveux ?
Avant oui. Ça a été la plus grosse erreur de ma vie, car ça abime vraiment les cheveux.

Quand as-tu été fier de tes cheveux naturels pour la première fois ?
Depuis toujours, mais à partir de 12 ans j'ai vraiment commencé à les apprécier. C'est aussi spécial. On peut faire plein de choses avec nos cheveux. On peut les rendre durs ou souples, faire pousser un afro ou ajouter des rasta. Et ça repousse facilement. Si vous faites une connerie, attendez un mois et vous pourrez recommencer.

« Tu devrais pouvoir faire ce que tu aimes avec tes cheveux. Rien n’appartient à une culture. »

Tu viens des Pays-Bas. Tu remarques une différence avec la Belgique ?
Culturellement parlant, oui. Les Néerlandais sont plus ouverts aux choses et je pense qu'ils sont plus développés. Ici, c’est un super événement, mais aux Pays-Bas, ce serait plein de monde. Pluie ou pas. C'est bien de voir sa culture quelque part. Rencontrer des personnes de la même culture ou de cultures différentes, c’est toujours super important. Certainement pour les enfants et surtout en cette période dans laquelle on vit. Il est important qu'ils sachent que le monde dans lequel ils grandissent a aussi des côtés positifs.

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On te touche souvent les cheveux ?
Depuis que j’ai ces tresses, oui. Mais toujours d’une façon positive.

Tu es ok avec les blancs qui portent des tresses ?
Oui, bien sûr. Pourquoi pas ? Ce sont des cheveux. Tu devrais pouvoir faire ce que tu aimes avec tes cheveux. Rien n’appartient à une culture. On a tous des cheveux et on doit pouvoir expérimenter comme on le souhaite.

Zaida (18 ans)

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VICE : Quand as-tu été fière pour la première fois de tes cheveux naturels ?
Zaida : Quand j'ai commencé à l'accepter moi-même et que les gens autour de moi me trouvaient mieux comme ça. J'ai d'abord porté des tresses et des rajouts, jusqu'à ce que ma mère, mes amis et mes sœurs complimentent mes cheveux naturels. J'avais seize ans.

Ça ne fait pas si longtemps.
Non. Les filles à la peau claire reçoivent plus d'attention à cause de leurs cheveux raides et de la couleur de leur peau. Je veux changer ça, c'est pourquoi je participe à ce festival.

As-tu déjà reçu un commentaire négatif à propos de tes cheveux ?
Oui, on m'a dit que mes cheveux étaient trop courts ou trop drus. Ou quelqu'un m'a dit de changer ma coiffure. Toutes sont des réactions des personnes pour lesquelles j'ai travaillé. Une agence de mannequins m'a même dit que mon corps était trop exotique.

On te touche souvent les cheveux ?
Oui. C'est pourquoi les t-shirts des mannequins portent l’inscription : Don’t touch my hair. Quand j'ai eu un afro court, mes camarades de classe m'ont jeté un stylo à bille dans les cheveux.

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Que penses-tu des femmes blanches qui portent des tresses ?
Je trouve ça chouette. Elles veulent aussi en avoir, je peux comprendre. Si tu coiffes tes cheveux d'une certaine façon, je voudrai sans doute faire pareil moi aussi. Je n'ai rien contre. Si ça leur plait, ça leur plait. Il faut juste rester soi-même. Si vous voulez essayer des choses, faites-le. Mais n'en abusez pas.

Comment est-ce qu’on peut en abuser ?
Tout le monde possède sa propre culture. J'ai des amis asiatiques, ils savent très bien faire des nouilles. J’en raffole. Je suis une Surinamaise fière de l’être. Je porte un pangi sur la tête. Tous les Africains connaissent ça ici, ce n'est pas nouveau. Si une personne blanche vient à moi et en veut un aussi, pas de problème. C'est bien, ça montre qu'elle souhaite s'intéresser à notre culture.

Henna (69 ans)

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VICE : Qu’est ce qui vous amène ici ?
Henna : Je vis au Royaume-Uni, mais je vais rendre visite à mon fils à Krommenie aux Pays-Bas. On va tous ensemble au camping de Nieuwpoort pendant quatre jours.

Vous allez faire quelque chose à vos cheveux ici ?
Non, la couleur été déjà comme ça. Et on doit arriver à temps au camping. On ne peut pas arriver en retard, tu sais.

Avez-vous toujours été fière de vos cheveux naturels ?
C'est l'air du temps qui prévaut. On suit toujours une mode. Si quelqu'un utilise du défrisant, vous le faites. Si vous voyez quelqu'un avec des boucles, vous allez essayer. Il y a des années, j'avais les cheveux bouclés, mais j'ai vieilli un peu. Bientôt, j’aurai septante ans, alors j’ai à nouveau opté pour le look naturel.

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« D’après moi, les gens apprécient toujours plus les cheveux blonds. Cette image idéale doit disparaître. Nous avons tous notre importance. »

Il faut d'abord que vous preniez que vos propres cheveux peuvent aussi être beaux. Je suivais principalement les tendances de la mode. Quand les cheveux raides étaient in, j'en avais. Maintenant, c’est bien plus pratique comme ça. Je ne suis plus obligée de passer des heures chez le coiffeur à chaque fois. Je peux tout faire moi-même.

Cette coiffure aussi ?
Oui, je fais tout moi-même.

Vous trouvez ça important de célébrer les cheveux crépus ?
Oui, c’est certain. D’après moi, les gens apprécient toujours plus les cheveux blonds. Cette image idéale doit disparaître. Nous avons tous notre importance. Il doit y avoir des différences, non ?

Que pensez-vous de Blancs qui arborent des braids ?
Ça ne me dérange pas plus que ça. On peut se prendre des choses les uns des autres, non ? Mais il faut connaître l'origine de ce qu'on emprunte. Il ne faut pas penser qu'on a découvert un truc nouveau, ça je n'apprécie pas.

Ibrahim (19 ans)

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VICE : Salut Ibrahim, qu'est-ce qui t’amène à Anvers ?
Ibrahim : Je rends visite à ma famille. Ma soeur a un stand de vêtements ici.

Tu vas faire un truc avec tes cheveux ?
Oh, on peut faire ça ici ? Je ne savais pas. Oui, peut-être.

Quand as-tu été fier de tes cheveux naturels ?
En toute honnêteté, c'était il y a seulement six ans. Je n'aimais pas trop mes cheveux. Je ne savais pas comment gérer ça. Ensuite, j'ai commencé à regarder des vidéos sur YouTube et ma sœur m'a aussi appris un ou deux trucs.
Si vous ne savez pas comment traiter vos cheveux, ça peut être très frustrant. Mais une fois que c’est maîtrisé, vous allez enfin pouvoir en profiter et aimer vous coiffer.

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Depuis quand as-tu un afro ?
Je fais pousser mes cheveux depuis 2016. Parfois, je le porte simplement comme ça, parfois avec un bandeau, ou bien je fais des nattes ou des tresses.

« Certaines n'ont jamais vu une coupe de cheveux comme la mienne ou ne comprennent pas ce que je fais avec. »

Tu reçois beaucoup de commentaires ?
Non, pas à Londres, car beaucoup de gens ont les mêmes cheveux. Je reçois plein de compliments, de toutes les races.

Et comment ça se passe en Belgique ?
C'est complètement différent, parce que certaines personnes n'ont jamais vu une coupe de cheveux comme la mienne ou ne comprennent pas ce que je fais avec. Beaucoup de gens regardent mais ne disent rien.

Que penses-tu des Blancs qui se promènent avec des tresses?
Je trouve parfois ça un peu étrange, mais chacun a son propre style, jamais je ne jugerais les cheveux de quelqu’un. Mais je pense que beaucoup ne comprennent pas très bien. Si les femmes africaines portent des perruques ou des tissages, ça signifie également que ce ne sont pas leurs cheveux naturels. Mais ce que les gens ne comprennent pas, c'est que les femmes le font souvent pour faire pousser leurs cheveux naturels et les épaissir. Beaucoup ne pigent pas encore ça.

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