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Ça ira mieux demain

Jeunes et juifs : pourquoi quittent-ils la France ?

« En France, tu n’es pas français, tu es juif ! »
Reuters/Kieran Doherty

L’année dernière, 5 000 juifs de France ont fait leur « alya ». En clair : ils ont déménagé en Israël. La moitié d’entre eux a moins de 35 ans. Sam et Julia sont de ceux-là. Pas encore trentenaire, ce jeune couple de Parisien tendance « bobo cool » - elle est styliste pour la presse mode, il travaille dans la tech – ont récemment pris la décision de s’installer à Tel Aviv. S’ils vantent la « qualité de vie » de celle qu’on surnomme la « ville blanche », ses plages interminables et ses falafels démentiels, Sam et Julia ne cachent pas non plus ce qui les a conduit à quitter la France : la montée de l’antisémitisme.

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Julia et Sam, Tel-Aviv, juin 2017. Photo : Julia Jedlinski.

Trois ans tout juste après l’attentat de l’Hyper Casher, Julia vient de rejoindre son compagnon, parti il y a déjà plusieurs mois, en éclaireur. L’idée peut paraître absurde puisque les attentats contre les juifs y sont, finalement, plus nombreux. Mais pour eux, la question n’est pas là . « On n’est pas parti par peur », lance Sam, qui tient tout de suite à préciser qu’il n’a jamais « craint pour sa vie » en France. La raison est en réalité bien plus politique : « c’est plutôt un ras-le-bol de vivre dans un pays où les juifs ne sont pas considérés comme des vrais français ». Julia confirme : « En France, tu n’es pas français, tu es juif ! ».

« Si Mohamed Merah avait tiré devant une école publique, tout le monde serait descendu dans la rue ! » - Sam

La sentence est cinglante. Mais le couple assume. « Ça a commencé avec Mohamed Merah, qui a tiré sur des enfants devant une école juive, à Toulouse. Là, j’ai compris qu’en tant que juif, on était une cible », raconte Julia. Plus tard, les attentats de Charlie Hebdo, et la grande vague d’émotion qui a suivi, leur ont laissé un goût amer : « si Mohamed Merah avait tiré devant une école publique, tout le monde serait descendu dans la rue ! Bien sûr que tuer des journalistes, c’est barbare. Mais tuer des enfants, ça l’est – au moins - tout autant. Or, l’attaque de l’école Ozar Hatora n’a pas suscité la même émotion », analyse Sam. Ensuite, il y a eu l’attentat de l’Hyper Casher. « Mon premier réflexe, ça été de me dire « je ne partirai jamais, je ne lâcherai rien ! », se souvient Julia. Et puis, « de cas isolé en cas isolé », le couple a fini par se sentir de moins en moins à l’aise dans son propre pays – et surtout, moins considéré : « ce qui m’insupporte, c’est la langue de bois permanente. On n’ose pas dire qu’il y a de l’antisémitisme en France. Ca n’est pas politiquement correct d’en parler et pourtant, c’est une réalité ! », s’agace Sam. « Prenez le meurtre de Sarah Halimi, poursuit Julia. Cette femme juive a été étranglée par son voisin qui a crié « Allah Akbar ». Pourtant, les médias l’ont présenté comme un fou, un dérangé… C’est sans doute vrai, le type avait certainement des problèmes psychiatriques pour faire un truc pareil : mais ça n’en n’est pas moins un crime antisémite ! Pourquoi est-ce si difficile à dire, en France ? ».

« Quand on était ados, il n’y avait pas ce truc entre « les juifs » et « les arabes »…» - Julia

Alors, à force, Sam et Julia ont décidé de partir en Israël. Pas forcément de gaieté de cœur. Tous deux ont été élevé dans des foyers pratiquants, mais laïcs. Et se sont toujours sentis parfaitement français. « Le peuple juif est apatride. Il n’a pas de terre, donc l’assimilation est fondamentale pour nous. Je me suis toujours sentie française avant tout », explique Julia. Du coup, leurs amis n’ont pas forcément compris leur choix. Beaucoup ont été étonnés, choqués et et parfois même scandalisés par ce « repli communautaire » inattendu. D’autant qu’ils sont issus de toutes confessions : « quand on était ados, il n’y avait pas ce truc entre « les juifs » et « les arabes ». On n’avait pas ce genre de problème, soupire Julia. Aujourd’hui, les choses ont changé et malheureusement, c’est la société qui nous pousse à ce repli ». Et Sam d’ajouter : « il n’y a pas un juif de France qui n’a pas pensé, un jour, à quitter le pays. Pas forcément pour aller en Israël mais, juste, pour respirer… ».