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J'ai mis 15 000 euros dans les cryptomonnaies pour espérer une vie meilleure

C'est mon seul espoir de gagner un peu d'argent autrement qu'en touchant un héritage.
cryptomonnaies bitcoin

Comme tout le monde, je ne gagne pas assez de sous à mon goût. Je gigote comme un animal pathétique pour coffrer un peu plus en marge de mon emploi mais ça ne suffit pas. Alentours, des gens « bien nés » achètent des appartements, des gens à peine plus pauvres que moi décrochent des logements sociaux, et je ne vous parle même pas des avantages de mes amis qui bossent chez Radio France. 

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En tant que môme de pavillon de banlieue, je ne fais partie d’aucune de ces équipes. Je suis au milieu, dans une « killing zone » de lassitude et de sables mouvants : trop riche pour obtenir une aide significative, trop pauvre pour décrocher un crédit intéressant. Autrement dit, trop normal pour susciter le moindre intérêt. Je suis un « homme blanc hétérosexuel cisgenre » sans talent particulier comme il en existe des centaines de millions. Je ne suis pas particulièrement travailleur. Sans coup de chance, je suis condamné à une vie de stagnation financière et sociale puis à une mort sans relief : « Une petite vie, des petites économies, une petite retraite, et puis une petite tombe. » 

Peut-être existe-t-il une petite échappatoire, un petit espoir : les cryptomonnaies. J’ai loupé le coche à plusieurs reprises. Je me rappelle en avoir entendu parler très tôt sur 4chan : les premiers investisseurs créaient des dizaines de fils de discussion pour faire la promotion du Bitcoin. Le « B » barré deux fois pour rappeler le dollar faisait passer ce truc pour une arnaque. En acheter était également difficile d’un point de vue technique. Pendant des années, j’ai donc regardé les courbes grimper sans rien faire en me disant que tout ceci était vain. Puis les dark markets sont arrivés. 

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Les dealers du dark web ont été les premiers à accepter le Bitcoin. J’ai acheté mes premières unités pour financer mes soirées au début de ma vingtaine. Je serai bien incapable de vous dire combien j’ai mis dedans à cette époque, mais un Bitcoin valait environ 150 euros. J’ai perdu une partie de cet argent en le laissant traîner trop longtemps dans mon portefeuille sur Dream Market. Les traces « solides » qui restent de cette époque montrent que j’ai viré des montants équivalents à environ 7500 euros aujourd'hui. 

Je me suis renseigné en détail sur la décentralisation et la blockchain pour un article publié en 2016 sur Vice. Une fois de plus, je me suis dit que tout ceci était un rêve de nerd dont rien ne sortirait. Deux ou trois ans plus tard, installé dans le lit depuis lequel je tape désormais cet article, j’ai failli acheter deux Bitcoin pour environ 10 000 euros et 5000 euros d’Ethereum. J’avais scanné ma carte d’identité et mon passeport pour sécuriser le virement mais rien ne s’est produit et j’ai laissé tomber, trop préoccupé à l’idée de perdre mon petit pécule. 

Les banques dans lesquelles je garde mon argent ont toujours été insupportables. Sans cesse occupées à prélever quelques euros par-ci par-là pour des raisons fallacieuses, elles me contactent régulièrement pour me proposer des placements de merde. Je me sens désolé pour les conseillers qui tentent tant bien que mal de faire grimper leur prime en me ventant un PEL chaque fois que je viens chercher un chéquier. Ces boîtes ont besoin de moi bien plus que je n’ai besoin d’elles. Et quand j’ai besoin d’elles, elles me prennent encore plus pour un con.

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L’année dernière, je me suis présenté dans plusieurs banques pour réclamer un crédit avec comme apport l’épargne constituée à la sueur de mon front depuis que je travaille – environ 30 000 euros. Elles m’en ont proposé au mieux 150 000 sur 20 ans, sans frais ni assurance et pour une résidence principale. Je pensais obtenir de quoi acheter un appartement en petite couronne pour le louer et gagner enfin assez d’argent pour ne plus vivre en colocation à l’approche de mes 30 ans. Je suis sorti de chaque agence un peu plus convaincu de n’être qu’un petit machin.

Cependant, je ressens aussi comme un besoin de vengeance et de liberté : je dispose de mon argent, donc de ma vie, donc de moi-même

Il a bien fallu que je me rende à l’évidence : ma seule chance de générer un vrai billet par les temps qui courent sont les cryptomonnaies. Je viens de placer la moitié de mon épargne, soit 15 000 euros, dans le Bitcoin et l’Ethereum. C’est dix fois plus que mon investissement foireux dans GameStop. Les courbes ont monté un peu avant de plonger mais je ne ressens aucune angoisse : je fais partie des optimistes qui pensent que le Bitcoin va atteindre les 100 000 dollars et l’Ethereum les 10 000 dollars, peut-être avant la fin de l’année. 

Je pense que les cryptomonnaies vont et ont déjà commencé à changer le monde. Cependant, je ne fais pas partie des zélotes qui mettent tous leurs sous dans des actifs obscures par militantisme. Comme pour GameStop, je suis dans le coup avant tout par appât du gain. Cependant, je ressens aussi comme un besoin de vengeance et de liberté : je dispose de mon argent, donc de ma vie, donc de moi-même. Je suis seul responsable en cas de foirage catastrophique comme de réussite éclatante, et ça fait du bien : mon placement a beau être risqué, il me donne la possibilité d’espérer en un mieux que les banques et autres institutions n’auraient jamais pu m’offrir. « High risk, high reward. » 

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Manifestement, beaucoup de « nobodies » dans mon genre ressentent la même chose que moi. Certes, certains de mes amis boursicoteurs-cryptomonnayeurs sont dans le truc pour le frisson plutôt que pour les bénéfices. Leur épargne est assez significative pour leur permettre ce genre de passe-temps. Cependant, les forums grouillent aussi de « rêveurs » qui placent quelques milliers de dollars sur le Bitcoin avec, au ventre, l’espoir insensé de déménager un jour de la cave de la maison familiale. Ces gens suent à grosses gouttes quand une chute brutale des cours leur fait perdre 200 dollars mais ils tiennent bon.

Beaucoup de boursicouteurs du dimanche optent aussi pour les marchés classiques grâce à des applications comme Robinhood ou eToro. Certains deviennent riches sur un coup de chance, d’autres perdent tout. Certains se suicident. Entre les deux, des milliers de « petits porteurs » empochent ou se délestent de quelques dollars au prix de longs mois d’angoisse. Entre-temps, ils font partie de quelque chose. Peut-être pas une armée, sans doute pas une révolution, mais au moins une masse de jeunes gens désespérément ordinaires qui sont prêts à perdre leur argent pour en gagner plus. Je crois que ce sentiment d’appartenance est au cœur de l’enthousiasme des « gens moyens » pour ce genre de jeux d’argent.

En ces temps de chute des cours, les messages de soutien et les appels au calme fleurissent sur les forums consacrés aux cryptomonnaies. Les vétérans rassurent les nouveaux investisseurs. Les optimistes voient dans le « dip » une opportunité d’attirer toujours plus de joueurs tout en faisant fuir les « panic sellers ». Les plus sombres rappellent que les risques sont sérieux. Personne ne sait ce qui se passe mais tout le monde tente de prédire le futur, ce qui ne change pas vraiment de la finance « historique ». Des prophètes annoncent que le Bitcoin vaudra un million de dollars dans dix ans. D’autres le voient passer sous le dollar par unité avant quatre ans. Nous verrons bien. 

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