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Un mur "anti-migrants" qui encercle une station-essence où s’arrêtent certains camions. Un camp d’exilés érythréens se trouve à quelques mètres. Toutes les photos sont de Paloma Laudet / collectif Hors Format
Société

À Calais, la ville s'emmure

Animée par une politique d'inhospitalité envers les exilés qui cherchent à rejoindre l'Angleterre, la ville voit se multiplier les dispositifs « anti-migrants ».
Pierre Longeray
Paris, FR

De hauts grillages blancs et tristes, surmontés de barbelés acérés comme des lames de rasoir. Voilà à quoi ressemble l’horizon dans certains coins de Calais, ville-passage obligée pour les exilés qui cherchent à rallier le Royaume-Uni. Du côté du port de la ville, de la gare de Calais-Fréthun où passent les Eurostar, ou encore à proximité de l’entrée du tunnel sous la Manche, des murs ou des sortes de palissades aux mailles resserrées et quasi-infranchissables délimitent la zone. Jusqu’à donner l’impression que la ville s’emmure. 

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En contrebas de la N216 où passent les véhicules qui se rendent au port.

« Avant il y avait les fortifications de Vauban, maintenant il y a celles de Madame Bouchart », souffle Brigitte, retraitée qui habite du côté de la route de Gravelines, non loin de l’ancienne grande « Jungle », depuis démantelée. Si la mairie de Calais, dont la locataire, Natacha Bouchart, n’est pas la seule responsable de ces fortifications (Bouchart s’était d’ailleurs opposée à la construction d’un mur jouxtant la Jungle, qui sortira quand même de terre), les montures grillagées se multiplient dans la ville depuis maintenant près de deux décennies. Notamment grâce à l’aide des autorités britanniques, qui ont poussé pour placer la frontière franco-anglaise à Calais. Dès 2000, le port de Calais se retrouvait déjà entouré d’un grillage de 2,80 mètres de haut pour empêcher les migrants de pénétrer dans les camions qui embarquaient en direction de l’Angleterre.

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Calais est le premier port français pour le trafic transmanche. De nombreux camions venus d'Europe et d'Afrique y transitent.

« Pendant un temps, l’objectif de ces dispositifs – type grillages ou barrières – était d’empêcher les passages », explique François Guennoc, responsable de l’Auberge des migrants à Calais. Mais les exilés tentaient quand même leur chance. « Ils prenaient beaucoup de risques pour rentrer sur les secteurs de passage, et nombre d’entre eux revenaient avec la peau déchirée », se rappelle Guennoc. Puis au fil du temps, les passages par les points d’entrée classiques sont devenus presque impossibles. « À une époque, on a fourni des pinces pour découper les grillages, des exilés en achetaient aussi. Mais là, c’est impossible, il faudrait des scies à métaux. Puis c’est surveillé, il y a des caméras, la police… On ne fait pas ce qu’on veut à Calais la nuit. » 

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La voie rapide N216 passe devant un des camps. Cette nationale mène au port où les camions embarquent sur les ferries en direction de l’Angleterre.

Aujourd’hui, l’objectif de ces dispositifs « anti-migrants » prend un tournant un peu différent : empêcher les exilés de se réinstaller sur les emplacement dont ils sont expulsés. Ainsi, dans les zones où l’on recensait quelques campements, des grillages sortent de terre. Notamment à côté de chez Brigitte, qui ouvre depuis près de 15 ans son garage aux exilés qui veulent recharger leurs portables ou boire un petit thé. « Tout est fermé, grillagé, » peste celle qu’on appelle « Mama-charge ». « J’ai les photos avant, après, et bah c’est pas joli. C’est grillage, grillage, grillage. »

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Une maison route de Gravelines où se trouvait la plupart des camps au début de l'année 2020.

Mais les zones en bordure de la ville ne sont pas les seules concernées, dans le centre-ville aussi, des squares sont grillagés et fermés à double-tour pour empêcher aux migrants d’installer une tente de fortune en espérant une nuit pouvoir rallier le Royaume-Uni. Des lumières bleues sont installées sous les ponts pour dissuader ceux qui voudraient s’y abriter pour passer la nuit. Et régulièrement, les forces de l’ordre viennent expulser les exilés qui s’y étaient installés, avant qu’une entreprise vienne y poser d’imposantes grilles pour éviter qu’ils reviennent – quand ce ne sont pas des arceaux à vélos qui sont fixés pour entraver toute pose de tentes.

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En contrebas de l'A16 qui mène au port.

« Et depuis quelques temps, il y a aussi des déboisements », indique Brigitte à côté de chez qui des arbres sont régulièrement coupés pour annihiler toute installation de migrants, qui – faute d’autre alternative – s’installent dans les bois histoire d’aménager un campement de fortune, malgré le froid qui fait rage cet hiver. Enfin, point d’orgue de cette politique d’inhospitalité qui règne à Calais, ce sont désormais des pierres qui sont posées aux emplacements où les associations distribuent des repas et des vêtements chauds aux exilés. « Après avoir empêché les passages, empêché les campements, l’objectif des dispositifs est désormais aussi d’entraver l’action des associations », souffle de son côté François Guennoc. 

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Le 1er décembre 2020, la « Lande du Virval » a été rasée après l'évacuation du camp (où vivaient 500 personnes) en septembre. Près de 3 000 mètres carrés de végétation y ont été rasés.

Conséquence de la fortification exponentielle des zones de passages dans Calais et à proximité de Calais – par le port, par camions, ou encore par le train – les exilés se trouvent repoussés vers des alternatives encore plus périlleuses, comme les traversées de la Manche sur de petites embarcations depuis les plages situées non loin de Calais. « Quand vous créez un obstacle, les gens trouvent un moyen de le contourner », pointe Guennoc, pour qui la multiplication des tentatives par bateau n’est que la conséquence d’une quasi-impossibilité de rallier l’Angleterre par camion ou conteneur. « S’ils construisent un mur tout le long de la côte pour empêcher les départs en bateau, et bien les gens iront en Normandie pour prendre la mer, et cela a déjà commencé, » continue le président de l’Auberge des migrants. 

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Daniel, exilé érythréen, s'est blessé en tentant de franchir une clôture barbelée. Il est resté à l'hôpital près de 7 semaines.

Un point de vue partagé par le géographe Stéphane Rosière, qui a récemment consacré un ouvrage aux « frontières de fer » qui pullulent un peu partout dans le monde, et notamment à Calais. « Si vous voulez, ces barrières sont comme des serrures : toutes les serrures finissent par s’ouvrir peu importe leur complexité, cela prend juste plus ou moins de temps à les ouvrir. Et bien pour les barrières, c’est pareil, si les gens veulent les passer ils trouveront un moyen », image Rosière pour qui ces dispositifs sont donc « au bout du compte de l’argent public foutu en l’air ». Pour le géographe, qui enseigne à l’université de Reims, on n’arrête pas les migrations avec des barrières. Celles-ci n’entraînent que des contournements plus longs, plus dangereux, mais aussi plus coûteux. « En compliquant le contournement de ces barrières, les coûts des franchissements de celles-ci augmentent alors, ce qui enrichit les entreprises mafieuses qui proposent des alternatives. »

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Une des entrées du port de Calais.

Autre bénéficiaire économique pointé par le géographe : ce qu’il nomme le complexe « sécuritaro-industriel », remplaçant du secteur militaro-industriel, impacté par la fin des grandes guerres. « Ces entreprises ont glissé vers la sécurité, qui est une corne d’abondance. Ce secteur sécuritaro-industriel se nourrit donc en produisant des systèmes de sécurité qui s’adaptent à toutes les échelles et à tout type de clients : des particuliers, des entreprises ou des Etats. Les clôtures aux frontières ne sont pas bien différentes de celles qu’on trouve aux abords des aéroports ou des zones franches, ce sont les mêmes matériaux, ce qui permet de faire des économies d’échelle. » Un filon d’autant plus porteur que d’après Rosière, trois quart des barrières dans le monde datent du XXIe siècle et que le processus de construction de barrières est « continu ». À Calais et ailleurs.

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Un graffiti "Calais Apartheid Bouchart coupable » sur le mur anti-migrants qui entoure une station-essence Total. C'est ici que les camions s’arrêtent avant de partir pour l’Angleterre.

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