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Photo: Jarrad Seng
Culture

De célèbres photographes bousculent les clichés du tourisme

Afin de remédier au manque de diversité dans l’imagerie aseptisée du monde du voyage, le All-Inclusive Photo Project (AIPP) a fait appel à des monuments de la photo, comme Annie Leibovitz.

Que ce soit sur les pages d’un magazine de voyage, les gigantesques panneaux de l’office du tourisme ou ces innombrables Reels, la vision de lieux lointains et idylliques nous fait souvent rêver d’une téléportation express.

Mais sommes-nous capables d’ignorer les mannequins blancs ciselés aux normes corporelles irréalistes qui dominent ces visuels ? Surfeurs souriants aux six packs dorés, meufs en bikini dont le body a toujours été beach ready, blondes aux lèvres peintes qui sirotent des mimosas au bord de la piscine, couples hétéros avec un gosse aux yeux azur explorant main dans la main un pays inconnu… Ils sont partout.

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The All-Inclusive Photo Project, une initiative visant à combler ce manque de diversité dans l’imagerie marketing touristique, appelle aujourd’hui les compagnies de voyage à remédier à ce déficit. Le projet, lancé par la compagnie de croisières Celebrity Cruises, fait appel à certains des photographes les plus renommés au monde, comme Annie Leibovitz et Giles Duley. Leur mission est de créer la première bibliothèque d’images open source axée sur la diversité. Tout le monde est libre d’utiliser ces images gratuitement, en particulier les compagnies de voyage, les médias et les agences de pubs qui cherchent à rendre leurs supports marketing plus inclusifs.

UN GROUPE D’AMIS SE MARRE SUR LE PONT D’UN BATEAU DE CROISIÈRE. PHOTO : GILES DULEYA

UN GROUPE D’AMIS SE MARRE SUR LE PONT D’UN BATEAU DE CROISIÈRE. PHOTO : GILES DULEYA

« La blancheur n’a pas le monopole des loisirs », déclare à VICE la photographe Naima Green, qui prend part à cette initiative. « Il est de notre devoir de recadrer tout ça et de montrer différentes représentations de celles et ceux qui profitent de ces voyages. Les décors et les images [du projet] sont luxueux, chics et de qualité supérieure parce qu’il existe aussi ce préjugé comme quoi qualité égale blancheur. »

L’idée de montrer un groupe diversifié qui passe simplement un bon moment, sans message ouvertement politique, a toujours été au cœur du travail de Green. Dans sa série de 2013 « Jewels from the Hinterland », elle a capturé des artistes, écrivains et créatifs noirs dans des espaces urbains verdoyants.

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MICHAELA DUERSON, MANNEQUIN, ACTRICE ET ARTISTE DE DOUBLAGE, SE DÉTEND EN FAISANT DU YOGA SUR LE PONT D’UN BATEAU DE CROISIÈRE. PHOTO : NAIMA GREEN

MICHAELA DUERSON, MANNEQUIN, ACTRICE ET ARTISTE DE DOUBLAGE, SE DÉTEND EN FAISANT DU YOGA SUR LE PONT D’UN BATEAU DE CROISIÈRE. PHOTO : NAIMA GREEN

Green ajoute également que notre apparence « ne doit pas nécessairement correspondre » à notre identité. « On peut être hyper féminine et s’identifier comme genderqueer », dit-elle. Cependant, Green n’écarte pas les photographies à caractère plus politique concernant les personnes queer et les personnes de couleur. « Les images plus luxueuses ne limitent pas les autres façons d’exister. Elles ne nient pas non plus les Noirs qui vivent dans les centres-villes ou le fait que nos quartiers sont sous-financés. Mais ce qu’elles dépeignent est tout aussi réaliste : nous aimons flâner dans les parcs, aller à la plage ou au spa. Il ne faut pas toujours nous maintenir enfermés dans des espaces concrets de négligence. »

L’idée de représenter des personnes de tous horizons se prélassant dans la sérénité est également au cœur des images du photographe australien Jarrad Seng. La plus frappante est celle d’un homme en fauteuil roulant sur une plage à l’eau turquoise, accompagné de sa femme, de son fils et d’un kangourou.

« C’était le cliché de rêve », raconte Seng. « Il faisait assez gris quand nous sommes arrivés. Mais dès que j’ai sorti mon appareil photo, les nuages se sont dissipés, le soleil est apparu et les kangourous ont commencé à bondir. »

Pour Seng, qui est d’origine sino-malaisienne, le besoin de voir des gens comme lui à l’écran n’est devenu évident qu’en 2017, lorsqu’il a passé un casting pour l’édition australienne du jeu télévisé américain Survivor.

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UN COUPLE MARIÉ, JESSIE STOELWINDER ET EM WILLIAMS, PROFITE D’UNE PROMENADE À CHEVAL AVEC LEUR PETITE FILLE. PHOTO : JARRAD SENG

UN COUPLE MARIÉ, JESSIE STOELWINDER ET EM WILLIAMS, PROFITE D’UNE PROMENADE À CHEVAL AVEC LEUR PETITE FILLE. PHOTO : JARRAD SENG

« Lorsque l’animateur m’a demandé de nommer certains de mes candidats favoris de l’édition américaine, je n’ai réussi à me souvenir que des deux seuls Asiatiques ».

Seng a finalement été pris, mais c’était la première fois qu’il réalisait que ce n’était pas une coïncidence si ses anciens candidats favoris étaient asiatiques. « Si vous parvenez à en trouver, les personnages asiatiques masculins à la télévision sont souvent des hackers ou des nerds. En me plongeant dans le secteur du tourisme, j’ai peu à peu remarqué que tous les humains sur ces images se ressemblaient, et qu’il n’y en avait aucun auquel je pouvais m’identifier. »

Le pouvoir des images et leur marque indélébile se sont révélés d’une manière plutôt dramatique pour Giles Duley. Pendant longtemps, Duley a été le photographe attitré de magazines tels que GQ, Esquire et Arena. Il a tiré le portrait à Mariah Carey, Marilyn Manson et Lenny Kravitz, pour ne citer que quelques noms.

En 2000, un petit moment a profondément changé sa vie.

« Une dispute avait éclaté en plein milieu d’un shoot à propos de la robe d’une actrice », se souvient Duley. « Le rédac chef gueulait et l’actrice pleurait. J’étais resté assis tout en me disant que ce n’était pas le monde dont je voulais faire partie. J’avais jeté mon appareil photo par la fenêtre après avoir réalisé que je n’utilisais cet outil incroyablement puissant que pour perpétuer des stéréotypes. »

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Duley a ensuite pris une pause pour réfléchir à l’usage qu’il faisait de son talent et de ses compétences. « Quand je suis revenu à la photographie, c’était parce que j’avais envie d’utiliser ce même pouvoir de manipulation pour raconter l’histoire d’autres personnes », explique-t-il. « On parle de donner une voix aux gens. Je ne donne pas de voix à qui que ce soit, les gens ont la leur. Je voulais enlever mon ego de tout ça et utiliser mon privilège d’homme blanc pour simplement être un miroir qui reflèterait leurs histoires. »

AMY CONROY, BASKETTEUSE PARALYMPIQUE BRITANNIQUE, FAIT UN HIGH-FIVE SUR LA PLAGE À TIM, UN MANNEQUIN. PHOTO : GILES DULEY

AMY CONROY, BASKETTEUSE PARALYMPIQUE BRITANNIQUE, FAIT UN HIGH-FIVE SUR LA PLAGE À TIM, UN MANNEQUIN. PHOTO : GILES DULEY

Au début des années 2000, alors qu’il documentait la guerre en Afghanistan, Duley a perdu trois de ses membres après avoir marché sur une mine. Depuis, ses œuvres n’ont fait que refléter des vérités plus profondes. « On dit que faire face à l’adversité aide à développer la compassion, et l’art de Giles semble bien confirmer cette hypothèse », a un jour déclaré Angelina Jolie à propos de son travail.

Dans le cadre du All-Inclusive Photo Project, l’une des photographies de Duley montre Monique Dior Jarrett, mannequin et championne internationale de danse en fauteuil roulant, en train de chiller avec ses amis sur un bateau de croisière.

Pour Dudley, il est important d'ajouter que ces images n’ont pas la prétention de représenter la vérité d’une communauté dans son ensemble — noire, homosexuelle ou en situation de handicap — mais seulement une de ses nombreuses vérités.

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« Dès que je prends une photo, je pointe mon appareil dans une certaine direction. Personne d’autre ne sait ce qui se trouve derrière moi ou à mes côtés. Je ne sélectionne qu’une fraction de seconde d’une journée, je ne peux pas vous dire que c’est la vérité », poursuit-il. « Mais je peux vous assurer de l’honnêteté. Aujourd’hui plus que jamais, la photographie s’accompagne d’une grande responsabilité. Et dieu sait comme nous avons tous besoin d’être confrontés à une vision plus large du monde. »

Découvrez ci-dessous d’autres images issues du projet :

WARIS SINGH AHLUWALIA, DESIGNER, ACTEUR ET ACTIVISTE SIKH AMÉRICAIN, MÉDITE DANS SA CABINE. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

WARIS SINGH AHLUWALIA, DESIGNER, ACTEUR ET ACTIVISTE SIKH AMÉRICAIN, MÉDITE DANS SA CABINE. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

PAOLA MATHÉ, D’ORIGINE HAÏTIENNE, ENTREPRENEUSE, DIRECTRICE CRÉA ET FONDATRICE DE FANM DJANM (QUI SIGNIFIE « FEMME FORTE » EN CRÉOLE HAÏTIEN), SE PRÉLASSE AVEC SON FILS DANS LE JARDIN SUR LE PONT D’UN BATEAU DE CROISIÈRE. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

PAOLA MATHÉ, D’ORIGINE HAÏTIENNE, ENTREPRENEUSE, DIRECTRICE CRÉA ET FONDATRICE DE FANM DJANM (QUI SIGNIFIE « FEMME FORTE » EN CRÉOLE HAÏTIEN), SE PRÉLASSE AVEC SON FILS DANS LE JARDIN SUR LE PONT D’UN BATEAU DE CROISIÈRE. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

COURTNEY JONES ET MICHAELA DUERSON (DEVANT) PRENNENT UN VERRE DANS LA PISCINE D’UN BATEAU DE CROISIÈRE PENDANT QUE MICAH RAMOS LIT DERRIÈRE. PHOTO : NAIMA GREEN

COURTNEY JONES ET MICHAELA DUERSON (DEVANT) PRENNENT UN VERRE DANS LA PISCINE D’UN BATEAU DE CROISIÈRE PENDANT QUE MICAH RAMOS LIT DERRIÈRE. PHOTO : NAIMA GREEN

ABBY CHAVA STEIN, AUTEUR, MILITANTE, BLOGUEUSE, MANNEQUIN, CONFÉRENCIÈRE ET RABBIN TRANSGENRE AMÉRICAIN, SE DÉTEND SUR LE PONT D’UN BATEAU DE CROISIÈRE. ABBY EST LA PREMIÈRE FEMME OUVERTEMENT TRANSGENRE ÉLEVÉE DANS UNE COMMUNAUTÉ HASSIDIQUE. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

ABBY CHAVA STEIN, AUTEUR, MILITANTE, BLOGUEUSE, MANNEQUIN, CONFÉRENCIÈRE ET RABBIN TRANSGENRE AMÉRICAIN, SE DÉTEND SUR LE PONT D’UN BATEAU DE CROISIÈRE. ABBY EST LA PREMIÈRE FEMME OUVERTEMENT TRANSGENRE ÉLEVÉE DANS UNE COMMUNAUTÉ HASSIDIQUE. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

JILLIAN MERCADO, ACTRICE ET MANNEQUIN AMÉRICAINE, L’UNE DES RARES MANNEQUINS DE MODE PROFESSIONNELLES PRÉSENTANT UN HANDICAP PHYSIQUE VISIBLE, SAVOURE UN REPAS. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

JILLIAN MERCADO, ACTRICE ET MANNEQUIN AMÉRICAINE, L’UNE DES RARES MANNEQUINS DE MODE PROFESSIONNELLES PRÉSENTANT UN HANDICAP PHYSIQUE VISIBLE, SAVOURE UN REPAS. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

RACHEL FLEIT, ÉCRIVAIN BASÉE À BROOKLYN, DIRECTRICE CRÉATIVE DE KILLER FILMS MEDIA ET FIÈRE DÉFENSEUR DES FEMMES ATTEINTES D’ALOPÉCIE, FAIT TREMPETTE DANS L’OCÉAN. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

RACHEL FLEIT, ÉCRIVAIN BASÉE À BROOKLYN, DIRECTRICE CRÉATIVE DE KILLER FILMS MEDIA ET FIÈRE DÉFENSEUR DES FEMMES ATTEINTES D’ALOPÉCIE, FAIT TREMPETTE DANS L’OCÉAN. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

TARANA BURKE, FONDATRICE DU MOUVEMENT METOO. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

TARANA BURKE, FONDATRICE DU MOUVEMENT METOO. PHOTO : ANNIE LEIBOVITZ

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