Mirano Bruxelles
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Culture

Dans les archives de la nightlife bruxelloise avec le fondateur du Mirano

Comment donner un sens à ces traces qui évoquent des souvenirs nocturnes ?
Romain Vennekens
Brussels, BE

C’est au début des années 80 que Paul Sterck et ses associés fondent Le Mirano Continental, à Bruxelles. Le club novateur s’inspire du mythique Studio 54 à New-York et veut proposer une expérience totale. Designers, musicien·nes, boss, journalistes, têtes couronnées, tou·tes veulent en être. Chaque semaine durant près de 30 ans, les fêtes battent leur plein à grands coups de décors, de costumes, de spectacles et de musique.  

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Aujourd’hui, c’est dans les archives personnelles de Paul qu’on peut retrouver des fragments de ce temps révolu. Ça fait une dizaine d'années qu’il a commencé ce long travail qui consiste à organiser les milliers de documents qu’il a collectés. Les parcourir, c’est plonger dans un monde libre et expressif, et redécouvrir une époque où sortir en club avait un tout autre sens. Mais archiver l’histoire du monde de la nuit est compliqué. Comment donner un sens à ces traces qui évoquent des souvenirs nocturnes dont la spécificité est de l’ordre de l’intime, de l’excès, de la fugacité ? Que peuvent-elles nous apprendre ? Comment et où les conserver ? 

On s’est assis avec Paul, dans son garage transformé en caverne des souvenirs, pour consulter ces documents et évoquer avec lui la vie nocturne de ces dernières décennies.

Paul Sterck fait partie du panel d’intervenant·es de la conférence Archiving nightlife: How do we remember the Night. Ça se passe le samedi 2 avril au Listen! Festival, à Bruxelles.

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VICE : Salut Paul. Tout ça, ça a commencé comment ?
Paul Sterck :
Ça a commencé il y a plus de 50 ans maintenant. J’avais 15 ans et j’ai créé un ciné-club. J’invitais l’école à venir voir des films dans une petite salle des fêtes. Il n’y avait rien pour les jeunes dans le quartier où je vivais et je voulais changer ça. À un moment, j’ai commencé à organiser aussi des soirées, des boums dans des garages. C’était l’après-midi, souvent le samedi. De fil en aiguille, je me suis associé avec quelqu’un qui avait du matériel et ces événements se sont professionnalisés. Quelques années plus tard, on m’a proposé de reprendre un club, le Canotier, à Auderghem. C’était les années 70, on y organisait des projections de films, des concerts. Personne ne faisait ça à l’époque. Le Mirano est arrivé par la suite, au début des années 80, quand on a cherché un lieu plus grand pour continuer nos activités.

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Quand t’as ouvert le Mirano, tu voulais en faire quoi ?
Je voulais ouvrir un lieu unique qui placerait Bruxelles au centre de la carte. Un lieu transversal qui pourrait accueillir toutes sortes d’évènements. Quand on a ouvert le Mirano, j’ai été demander l’autorisation au bourgmestre de Saint-Josse pour créer une boîte de nuit internationale. Il a tout de suite compris et il a soutenu le projet. C’était nécessaire parce que je savais que ça allait produire un relatif mécontentement dans le quartier. À l’époque, les habitant·es allaient encore à la messe et à 7h du matin, sur le parvis devant l’église, croisaient nos client·es. C’était pas triste. Dans ces années-là, on fermait facilement à 9h du matin. On faisait tout, même l’after, et il y avait des gens qui étaient tout de même arrangés.

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Justement, niveau drogue, c’était comment ? 
Il y avait de la drogue récréative évidemment, ça faisait partie de l’anti-fatigue. Et si notre public consommait au bureau, il consommait aussi au Mirano. Mais ça restait récréatif et ça n’a jamais été glauque. On faisait la chasse aux dealers ; ça, je n’en voulais pas. Un jour, on a eu une descente spectaculaire des flics, avec des chiens et des mitraillettes. Je me souviens des client·es qui faisaient la révolution sur la piste de danse, en criant sur les flics. Ça faisait partie du spectacle. 

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Aujourd’hui, tu portes quel regard sur le monde de la nuit actuel ?
J’ai le sentiment que les boites sont devenues plus monotones, rien ne change si ce n’est les DJs. Les soirées à thèmes n’existent plus, les gens sortent avec les mêmes habits qu’ils ont portés la journée. C’est d’une banalité déconcertante. Avant, on se préparait, on faisait des pré-soirées pour s’habiller. Et puis on retrouvait tous ces gens, comme ça dans le métro, ils arrivaient avec le dernier, repartaient avec le premier. C’était fabuleux. On construisait des décors, on organisait des spectacles. On a fait plus de 2 700 soirées à thèmes. 

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Les soirées que tu organisais au Mirano ont encore quelque chose à voir avec ce qui se fait aujourd’hui ?
Pas du tout, le monde a changé. Les gens venaient costumés, il y avait des décors, des spectacles. D’une manière générale, on attirait un public hyper créatif. C’était les gens des radios-libres, de la mode, de la pub, de la musique. Tou·tes venaient chez nous. On a raflé comme ça tout le monde artistique. Les agences de pub étaient ici, des clips qu’on voyait dans le monde entier se faisaient ici, on organisait des défilés de mode… Dries van Noten a fait son premier défilé au Mirano. Il y avait vraiment de la création à l’époque. Tout ça engendrait une dynamique, un engouement, une envie de faire les choses. Il y avait aussi beaucoup moins de réglementations, ce qui permettait d’être très libres dans les processus créatifs. La particularité, c’était que chacun·e était chez soi au Mirano. On ne faisait pas de photo, on laissait les gens tranquilles, qu’ils soient connus ou pas, on restait discret. 

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Il y avait vraiment de grosses pointures ?  
Quand le Prince Philippe, qui est devenu roi depuis, s’est présenté à l’entrée du Mirano, le portier ne l’a pas reconnu. Il est arrivé tout endimanché. Sa tenue, c’était bon pour aller à la messe, ça ne passait pas au Mirano. Alors le portier l’a refusé et lui, bien éduqué, il est parti, tout simplement. Moi, j’ai appris ça beaucoup plus tard, quand sa sœur, la princesse Astrid me l’a raconté. Elle était cliente de temps en temps et elle m’avait demandé d’organiser une soirée à l’occasion de son mariage. Je me suis un peu demandé ce que j’allais faire avec cette soirée en robe longue, mais je me suis dit que ça risquait d’être amusant. On s’est mis d’accord pour que je privatise le lieu jusqu’à 1h du matin et ça s’est bien passé. Là, le Prince Philippe est revenu et je suis allé le voir pour m’excuser. Mais il n’était pas fâché, sinon il aurait pu dire à sa sœur, « Jamais au Mirano ! », mais il n’a rien dit. 

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T’as récemment travaillé sur une exposition sur l'histoire du Mirano. En quoi archiver l'histoire de la nuit, c'est important pour toi ?
C’est important de transmettre. Mais ce qui est compliqué, c’est d’avoir les ressources pour le faire. Et je dois te dire que de ce côté-là, je suis un peu déçu. J’ai pris beaucoup d’initiatives, mais je n’ai pas senti un engouement pour ces archives. Alors oui, à la ville Bruxelles, à Saint-Josse, les archivistes sont d’accord pour stocker des documents, même si ça bloque encore au niveau du conseil communal. Mais les stocker, ce n’est pas s’y intéresser.

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Tu penses que les gens ne s’intéressent pas aux archives ?
Le problème des archives, c’est que les gens trouvent ça ringard. Pour les intéresser, il faut raconter une histoire. Il y a tout un effort à faire pour rendre ces archives attrayantes et accessibles. Et pour faire ça, il faut avoir un savoir-faire, de l’envie et des moyens.

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Comme le film Sound of Belgium qui utilise les archives pour raconter l’histoire d’un courant musical.
Oui, c’est ça. Un film peut aider à mettre les archives en perspective et à raconter les histoires qui entourent ces documents.  Là, je travaille aussi sur un livre qui reprend toute l’histoire du Mirano. Mais ces processus sont compliqués parce qu’il n’y a pas de ressources financières. Il faut se débrouiller sans moyens, en travaillant durant son temps libre. C’est la même chose pour la gestion des archives, tout ce travail, je le fais bénévolement. Il faudrait que de vrai·es archivistes, des gens formés s’intéressent à tout ça. Mais je comprends que sans être payé·e, peu de personnes soient prêtes à faire ce travail.

Pourtant, quand je vois les pièces que tu m’as montrées, toutes ces affiches dessinées à la main, ces collages, c’est très créatif, ça raconte une époque et ça vaut la peine que tout ça soit conservé.
Bien sûr, mais c’est comme pour tout, si on veut que ça change, il faut que le politique s’y intéresse. Quand Philippe Close a commencé à s’intéresser au city marketing pour faire de Bruxelles une destination attirante pour les jeunes au niveau de la vie nocturne, les choses ont commencé à bouger. À ce moment-là, j’ai fait des propositions pour que lorsqu’on octroie des subsides, on rende un dossier pour les archives. La ville de Bruxelles demande bien les publications publicitaires et les conservent, mais personne ne fait le travail de compiler ça. Alors ça se retrouve dans des dossiers et puis ça va à la cave. Ma grande crainte, c’est qu’ils vont bientôt déménager et que tout ça finisse dans un container. 

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Ces archives que tu m’as montrées, tu les retrouvées comment ?
Je ne les ai jamais jetées tout simplement. J’ai toujours eu des endroits assez vastes où je les stockais. Le Mirano est gigantesque et je conservais toutes les affiches, les flyers.

Qu'est-ce qui t’a motivé à commencer ce travail de classement de tes archives ?
J’ai fait ça par respect pour le travail des gens avec qui j’ai collaboré. J’ai toujours eu le sentiment de m’être entouré de gens talentueux. Et quelque part, c’était important pour moi de pouvoir conserver une trace de leur travail. J’étais fier de travailler avec ces gens.

Le film Mirano 80 – L’Espace d’un rêve est disponible en ligne sur RTBF auvio.

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