Santé

Ma pote est dans une relation malsaine, comment lui dire ?

« Je ne sais pas tout de leur relation et je ne veux pas porter de jugement. Mais mon amie me manque et je suis inquiète. »
Vincenzo Ligresti
Milan, IT
relazione tossica amico
Illustration via Adobe Stock. 

« Ask VICE » est une rubrique dans laquelle vous demandez à VICE de répondre aux questions qui vous taraudent, voire de vous aider à résoudre vos problèmes. Amour non réciproque, coloc ingérable, qu’importe. Aujourd’hui, nous espérons aider une lectrice qui aimerait aider sa pote à sortir d’une relation malsaine, mais ne sait pas comment.


Salut VICE,

E. est l’une de mes amies les plus chères. Elle est actuellement dans une relation qui, vue de l’extérieur, me semble assez déséquilibrée. Je sais que le mot « toxique » est souvent galvaudé, alors je n’irai pas jusque-là. Cela dit, j’ai quand même quelques inquiétudes.

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Cette étrange dynamique de couple m’est apparue progressivement, au cours des deux dernières années. Lorsqu’il est là, le partenaire de E., R., a tendance à la rabaisser devant tout le monde. On les voit toujours à deux, E. n’est jamais seule. J’ai aussi entendu R. lui dire à plusieurs reprises des choses comme « tu ne comprends rien » ou prendre des décisions pour eux deux, sans la consulter.

Quand ça se produit, E. se fait plus petite, sourit de façon embarrassée ou prend la chose à la légère sans vraiment répliquer. Elle laisse couler. Je ne sais pas s’ils font pareil en privé, mais je ne trouve pas ça sain.

Je connais E. depuis des années. Avant, on traînait beaucoup ensemble. On sortait jusqu’à l’aube, et si on n’était pas ensemble physiquement, on était en train de papoter au téléphone. C’était encore le cas au début de leur relation, quand tout semblait parfait. Maintenant, on se voit de moins en moins et on ne s’appelle presque plus. E. me dit toujours qu’elle a déjà d’autres trucs de prévu avec R. ou que « R. préfère qu’on soit juste tous les deux ».

Attention, je ne lui en veux pas. Je sais juste reconnaître ce genre de dynamique, car j’ai moi-même vécu des expériences similaires. Mais quand j’en parle à E., elle minimise la situation. Je ne veux pas que notre amitié devienne encore plus tendue qu’elle ne l’est déjà, mais je ne veux pas non plus qu’E. se réveille un jour, comprenne la situation et me reproche de ne pas lui avoir dit ce que je pensais à l’époque.

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Alors, comment aborder le sujet sans passer pour la mauvaise ? Existe-t-il des moyens de dire des choses pas faciles à entendre sans avoir l’air de vouloir enfoncer le couteau dans la plaie ?

Merci,

A.


Bonjour A.,

Tes observations attentives font de toi une très bonne amie, notamment parce que tu rassembles des informations avant de décider des actions à entreprendre. Refuser d’utiliser le terme « toxique » pour décrire cette relation est également une sage décision. Peut-être sais-tu que s’il était utilisé à ton encontre, tu le vivrais toi-même comme une injustice, et sans doute es-tu au courant que les relations sont des choses complexes, où certains aspects dysfonctionnels peuvent apparaître et s’estomper avec le temps.

Cela dit, le fait que ton amie se fasse dénigrer en public par son partenaire est un signe qui doit enclencher la sonnette d’alarme. Selon Dania Piras, psychologue clinicienne et sexologue, rabaisser de façon répétée son ou sa partenaire est un comportement dysfonctionnel classique qui apparaît souvent dans les relations amoureuses, et ce pour diverses raisons.

D’après ta description, il pourrait s’agir « d’une relation homme-femme où il y a encore, malheureusement, un fossé entre les sexes et des attitudes paternalistes », explique Piras. Cette situation pourrait également résulter du fait que « les deux partenaires ont grandi dans un environnement où le dénigrement était monnaie courante », poursuit-elle. Malheureusement, les personnes qui subissent ce genre de dynamique de pouvoir n’en sont pas toujours conscientes, surtout si elles sont amoureuses ou si elles ont été conditionnées par des pressions sociales ou culturelles.

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Quoi qu’il en soit, le fait est que E. et R. sont toujours en couple pour le moment, et que ce qui nous occupe à ce stade, c’est ton malaise personnel face à cette situation. La question que tu dois te poser, selon Piras, est la suivante : quel est ton objectif ? Que veux-tu vraiment lui dire ?

Lorsqu’on commence à fréquenter quelqu’un, il est normal de se concentrer sur cette personne et de mettre nos autres relations en veilleuse. C’est particulièrement vrai dans de nombreuses relations monogames, « qui ont tendance à suivre les règles inconscientes de la mononormativité », poursuit Piras. « La priorité est donnée au partenaire, les amis viennent après, et on les laisse un peu de côté ».

En même temps, il est également possible que la jalousie de son partenaire contribue à l’éloignement de ton amie. Indépendamment du genre et de l’orientation sexuelle, certains partenaires peuvent « se sentir menacés par l’intimité étroite que nous partageons avec une autre personne », explique Piras. Néanmoins, il s’agit d’une question nuancée, et il ne faut pas tirer de conclusions hâtives.

« Si ton amie ne semble pas gênée par la situation ou ne t’a pas demandé de l’aide, tu ne peux pas espérer débarquer comme ça et lui dire tout ce que tu penses, sans aucun filtre », continue Piras. La clé, c’est de se concentrer sur l’expression sincère de tes sentiments. « Il y a une différence entre porter un jugement sur les relations des autres — “Il te traite mal” ou “tu dois le quitter” — et communiquer sur ce que l’on ressent. »

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Piras te conseille d’entamer la discussion d’un point de vue personnel, par exemple : « depuis que tu es avec R., je me sens un peu à l’écart. La relation que nous avions me manque, j’aimerais te voir plus. Qu’en penses-tu ? Comment te sens-tu par rapport à ça ? »

Tu pourrais également essayer d’apprendre à mieux connaître R.. Devenir plus proche de lui pourrait, par extension, réduire la distance entre toi et ton amie, tout en te permettant d’évaluer la situation de manière plus approfondie. En fin de compte, si tu as toujours l’impression que la relation de E. est problématique, tu peux commencer par parler de tes propres expériences et lui poser prudemment quelques questions.

La meilleure approche pour engager ce type de discussion se base sur l’authenticité et l’honnêteté. « Il faut une très forte conscience de soi et une bonne capacité de mise à distance pour parler de sa propre expérience sans laisser entendre que c’est ce qui se passe chez les autres », poursuit Piras. « Si tu ne veux pas que ton amie se ferme directement, il faut garder ça à l’esprit ».

Par exemple, tu pourrais dire un truc du genre : « quand R. te rabaisse devant tout le monde, je me sens mal à l’aise parce que je pense que tu mérites d’être traitée avec respect. Comment te sens-tu lorsque ces choses se produisent ? Je vois que tu ne réagis pas, ça te convient ? », suggère encore Piras.

La pire chose à faire est d’entamer cette conversation avec la certitude que tu seras immédiatement entendue, ou présumer que ton amie réagira d’une certaine manière. Tu ne dois jamais perdre de vue que E. « est une personne capable de penser par elle-même, qui vit ses émotions, ses désirs et ses perspectives de manière autonome », ajoute Piras. Donc, même si tu penses avoir traversé une situation similaire, il te faudra rester attentive au « risque de partialité, et à l’inclinaison à rendre ta propre expérience universelle. »

En fin de compte, ton amie n’écoutera et n’acceptera de l’aide que lorsqu’elle sera prête. Si E. continue de refuser de se montrer vulnérable ou se met sur la défensive dès que tu abordes le sujet, tu peux simplement lui dire : « désolée, mais j’avais besoin de partager ça avec toi. Sache que je suis toujours là si tu as des problèmes ». Planter cette petite graine, c’est déjà la moitié de la bataille.

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