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Crime

Mes parties de billard illégales avec les mafieux de la Roumanie communiste

Dans l'Ancien monde, j'ai joué avec des mecs qui s’appelaient « le Boucher » et « le Barbier ».

Au cours des deux décennies qui ont précédé l'implosion de l'URSS, les dictateurs d'Europe de l'Est pouvaient vraiment être de bons gros hypocrites. L'exemple le plus parlant est le bannissement du billard par le régime communiste roumain – le jeu étant considéré comme un symbole de la décadence occidentale. Il fut donc interdit pour tous les Roumains – à l'exception évidemment du dictateur Nicolae Ceausescu, qui continuait d'y jouer tranquillement chez lui.

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Ceausescu jouant au billard.

Ceausescu jouant au billard

Le problème ne résidait pas dans le jeu lui-même mais plutôt dans le danger potentiel qu'il représentait au niveau des paris, interdits en Roumanie. Le billard étant illégal, il n'y avait donc plus aucune table disponible pour le citoyen roumain ordinaire. Les endroits où vous pouviez en dénicher une étaient rares : dans quelques hôtels et dans des clubs réservés aux riches expatriés et à l'élite politique du pays.

Tout ceci a conduit à une nouvelle forme de dissidence – des clubs de billards illégaux où les joueurs pouvaient parier se sont formés. Les plus audacieux jouaient de grosses sommes en devise étrangère et ne se faisaient appeler que par leur surnom – comme « L'Infirme », « Le Boucher », « Le Matelot » et « Le Barbier ».

J'ai pu contacter l'un des survivants de cette époque des billards illégaux, Valerian Atomulesei. Celui-ci se faisait appeler « Vali Carambole », en référence à son amour pour le billard français – dit Carambole – qui, avant l'interdiction, était le plus prisé par les Roumains.

Les photos dans cet article proviennent des archives personnelles de Vali Carambol.

Les photos de cet article proviennent des archives personnelles de Vali Carambole. Elles datent de la fin du communisme en Roumanie, en 1989.

VICE : Où et comment pouviez-vous jouer au billard sous Ceausescu ?
Vali Carambole : À cette époque, il y avait trois salles à Bucarest où vous trouviez des tables de billard. Il s'agissait de boîtes de nuit dirigées par le pouvoir communiste et/ou réservées aux étrangers. Les billards étaient des billards français, sans trous dans les coins. Le seul endroit où vous pouviez trouver un billard américain, c'était dans l'hôtel Intercontinental. Vous deviez insérer un dollar pour jouer – ce qui rendait son accès illégal à tous les Roumains. Mais je connaissais un mec qui bossait là-bas et qui me laissait jouer gratuitement.

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Comment avez-vous appris à jouer au billard alors que le jeu était interdit ?
Je travaillais au ministère du Tourisme, au sein du département qui possédait et gérait les tables de billard officielles. J'ai voyagé à travers tout le pays pour livrer et installer ces tables dans tous les clubs de l'élite étrangère et nationale. C'est comme ça que j'ai rencontré tout un tas de joueurs qui m'ont appris les rudiments.

À quel moment avez-vous commencé à jouer pour de l'argent ?
À partir de 1979. Je perdais beaucoup d'argent au départ, je devais donc faire attention pour ne pas me faire prendre par les autorités. On jouait aussi contre des repas, des montres, du salami, du bacon, du vin, du whisky et de la vodka. Les mafieux jouaient pour des appartements et des voitures. Lorsque nous jouions de l'argent, nous utilisions nos gains pour nous payer des dîners dans des restaurants chics. L'équipe victorieuse devait toujours payer une tournée pour tout le monde. Vous ne pouviez jamais tout dépenser d'un coup, tout simplement parce qu'il était illégal de dépenser autant d'argent en une seule fois.

Qui étaient les meilleurs joueurs à l'époque ?
Vous ne pouviez pas battre les vieux mafieux qui jouaient toujours pour de l'argent – vous pouviez simplement vous entraîner avec eux en échange d'un petit billet. Ils avaient tous un surnom, comme Cornel le Barbier, qui était le gérant d'un salon de coiffure tendance à Bucarest. Il y avait aussi Petrică le Matelot. La plupart des gens qui jouaient étaient les directeurs et gérants des clubs huppés : la classe supérieure du communisme. Les paris étaient évidemment illégaux, mais ça n'a arrêté personne.

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Avez-vous eu des problèmes avec la police ?
Ils n'ont jamais pu me faire me tomber pour jeu ou pari illégal. Ils pouvaient simplement vous mettre en prison si vous étiez suspecté de paris illégaux – je me suis fait arrêter plusieurs fois à cause de ça.

Comment c'est arrivé ?
Eh bien, la première fois, je travaillais dans un parc d'attractions – un lieu avec des manèges, des tables de ping-pong et un club où certains pouvaient venir jouer. Lorsque Ceausescu est venu le visiter, ses hommes ont fait une descente dans tout le parc. Sept ou huit mecs ont défoncé la porte du club de billard, ont confisqué notre argent et ont pris tout un tas de photos. Après quoi ils nous ont arrêtés.

Qu'est-ce qu'ils vous ont dit ?
Ils nous ont menacés de six mois de prison. Selon eux, j'encourageais les paris illégaux, alors que j'avais accroché plusieurs panneaux dans le club qui disaient explicitement « paris non autorisés ». J'ai passé une nuit en prison, avant de me retrouver au tribunal le lendemain. J'ai été libéré juste après – j'étais un employé du parc, ils m'ont donc laissé partir. Durant une autre descente, on m'a dit de vider mes poches, qui étaient pleines de fric. J'ai menti en disant que cet argent provenait des revenus du club où je travaillais. Ils m'ont pris l'argent et m'ont laissé partir. Mon patron s'est rendu au commissariat le lendemain pour récupérer l'argent.

Combien d'argent aviez-vous accumulé lorsque le régime est tombé ?
Énormément, mais j'ai pratiquement tout perdu d'un coup – ma maison a été cambriolée dans les années 1990 et tout mon argent a été volé. Par chance, il me restait la maison, une voiture et une queue de billard. À cette époque, le billard classique américain a commencé à se développer en Roumanie. J'ai donc ouvert mon propre club de billard à l'endroit même de l'ancien parc d'attractions dans lequel je travaillais, l'Atomic Club.

À quoi ressemblait cette « scène billard » après la chute du communisme ?
Elle était assez réduite à Bucarest, surtout entre 1994 et 1996 lorsque la pauvreté, la corruption et le chômage étaient omniprésents. On jouait avec des devises différentes – ça n'avait pas d'importance. J'ai même joué une fois pour des florins néerlandais. Lorsque j'ai entendu parler d'une salle qui ne possédait qu'une seule table mais acceptait des paris plus élevés, je me suis pointé à six heures du matin et je l'ai réservée pour toute la journée. Les expatriés anglais et irlandais étaient emmerdés que leur table habituelle soit prise, et ils devaient donc jouer contre moi. 15 euros allaient au vainqueur, qui jouait la partie suivante. Je suis resté toute la journée.